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Ecosystèmes, fiscalité, infrastructures… Les recettes du Medef pour réduire les fractures territoriales

Huit Français sur dix considèrent que la France est traversée par des fractures territoriales, selon un sondage Ifop publié par le Medef lors d'un wébinaire organisé le 5 mai. L'occasion pour l'organisation patronale d'interpeller les pouvoirs publics à l'approche des échéances électorales et de faire passer quelques idées.

Deux ans après la crise des gilets jaunes et alors que la crise sanitaire n'est toujours pas terminée, la question de la prédominance des métropoles au détriment des "territoires épars" a une nouvelle fois été posée à l'occasion d'un webinaire organisé le 5 mai 2021 par le Medef, qui s'inquiète d'une "France façon puzzle". "80% de l'accroissement du PIB par habitant a lieu dans les quinze plus grandes métropoles", a d'emblée affirmé Paul Hermelin, président de Capgemini et auteur du rapport "Rééquilibrer le développement de nos territoires" de l'Institut Montaigne (voir notre article), poursuivant : "La France est à un niveau extrême, cette proportion est de l'ordre de 50% dans les autres pays de l'OCDE, 40% même en Allemagne. Nous avons favorisé une concentration exagérée de la croissance dans les métropoles, c'est un facteur de déséquilibre." Ces métropoles représentent pourtant seulement 30% de la population française. Si le mouvement des gilets jaunes a jeté une lumière crue sur ce déséquilibre, le ressenti des Français reste très vif. Huit Français sur dix considèrent ainsi que la France est un pays qui recouvre des inégalités entre ses territoires, selon un sondage Ifop "La France et ses territoires" commandé à l'occasion du webinaire par le Medef (voir encadré). Une opinion particulièrement partagée par les plus âgés (85%), les cadres (85%) et les personnes habitant dans des communes rurales (86%).

"Un constat assez sombre"

"A l'inverse, les plus jeunes, les catégories populaires et les habitants de l'agglomération parisienne sont plus enclins à juger la France comme un pays territorialement équilibré", précise le sondage. Autre enseignement : près des deux tiers des répondants estiment que les inégalités se sont aggravées au cours de la dernière décennie. "C'est un constat assez sombre", a souligné Jérôme Fourquet, directeur de l'Ifop, mais aussi auteur de L'Archipel français (Seuil, 2019). La fracture la plus marquée ne se situe pas forcément entre les métropoles et les territoires épars, mais plutôt au sein même des métropoles. "La dichotomie grandes agglomérations versus campagnes est elle aussi sujette à débat", assure l'Ifop, avec 47% seulement des Français donnant l'avantage aux grandes agglomérations. En revanche, pour une majorité de Français, les habitants des centres-villes des grandes agglomérations s'en sortent mieux que les habitants des banlieues (64%). "La fracture est plus douloureusement ressentie au sein même des métropoles", a ainsi insisté Jérôme Fourquet. Un constat partagé par Pierre Veltz, professeur émérite à l'Ecole des Ponts ParisTech, ingénieur, chercheur en sciences humaines. "On a eu un discours caricatural sur ces sujets, on nous disait que la France des métropoles était en pleine santé et la France périphérique à l'abandon, les chiffres, et ce sondage, ne nous disent pas ça. Le revenu moyen est quasiment le même entre les deux types de territoires. Les inégalités ont lieu à une échelle plus fine, et notamment au sein des métropoles." "Pourquoi certains territoires s'en tirent bien ? On ne trouve pas d'explication !", a également déclaré Pierre Veltz.

Se remettre au centre du jeu

Quelques leviers ont toutefois été cités, au premier rang desquels : l'écoute des acteurs locaux pour innover et lancer des "démarches disruptives", à l'image de la ville de Charleville-Mézières. Sur l'idée d'acteurs industriels locaux, une plateforme régionale technologique et scientifique, Platinium 3D, dédiée à l'obtention de pièces métalliques par les procédés de fabrication additive, a été mise en place. Ouverte à tous et équipée d'importants moyens de recherche et développement, elle permet aux entreprises du territoire de travailler sur le prototypage et la fabrication rapides (une dizaine de technologies), la numérisation 3D et l'ingénierie numérique. Elle est le fruit d'une collaboration entre les industriels, les universités, les laboratoires de recherche, les pôles de compétitivité, l'Etat et les collectivités. "Par l'innovation et la formation, nous allons essayer de nous remettre au centre du jeu, cette plateforme permet de générer les technologies les plus modernes", a expliqué Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, qui mise aussi sur le tourisme pour développer l'attractivité de son territoire.

Pour Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, la création par les élus locaux d'écosystèmes favorables aux entreprises est indispensable, tout comme une fiscalité attractive. "Mais ça et là, des élus locaux profitent de la baisse des impôts de production pour remonter les impôts locaux", a-t-il fait remarquer. Une décision selon lui de court terme qui ne permet pas de créer des emplois dans la durée.

Réindustrialiser et diversifier les activités du territoire

Autre levier identifié : la réindustrialisation. Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France, a ainsi mis en avant la stratégie mise en place depuis plusieurs années pour réindustrialiser le territoire régional. "La réindustrialisation des Hauts-de-France est une des clés pour réduire les fractures", a ainsi assuré Xavier Bertrand, qui a développé, dans la continuité du précédent exécutif régional, la troisième révolution industrielle, Rev3, axée sur la transition digitale et les technologies numériques. Une approche qui permet de développer et mettre en œuvre des projets (plus de 800) sur tout le territoire.

La diversification des activités semble aussi une piste intéressante pour assurer un développement économique continu d'un territoire. "La Côte-d'Azur qu'on pensait attractive a été secouée par la crise covid-19", a signalé Philippe Renaudi, président du comité des métropoles du Medef : "Le territoire a une activité de tourisme très développée auprès d'une clientèle à fort pouvoir d'achat, un tourisme d'affaires et de congrès, mais ses forces sont aussi ses faiblesses, avec la crise et les frontières bouclées, nous avons constaté une fragilité sur ce segment. On se retrouve avec l'ensemble des palaces fermés, et tous les congrès, Midem, Mipim, Festival de Cannes, et compétitions sportives annulés ou ajournés." Le choc a été très dur avec une réduction de 10 millions de passagers pour l'aéroport de Nice et un impact considérable sur l'économie locale. D'où la nécessité de diversifier l'économie, ce qui a été engagé avec la technopole Sophia Antipolis, dès 1969, par Pierre Lafitte, ou la filière parfumerie qui s'est développée à Grasse et qui représente maintenant 10% de la parfumerie mondiale. "Mais il faut se rendre à l'évidence, le chemin sera encore très long pour se passer en partie du tourisme ou au moins pour être pluridisciplinaire", a reconnu Philippe Renaudi.

La présence d'infrastructures, la couverture en fibre et l'accès aux soins et aux professionnels de santé sont aussi considérés comme essentiels pour permettre à ces territoires épars de se développer et de devenir davantage attractifs. Dans ces domaines, Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), a regretté que l'Etat n'ait plus de politique d'aménagement du territoire.
Enfin, la coopération entre territoires, une démarche à laquelle Pierre Veltz croit fortement, permettrait aussi de favoriser ce développement. "Il y a encore peu de relations entre les métropoles et les territoires autour, a ainsi affirmé le chercheur ; pourtant, dans les synergies, il y a des potentiels inexplorés, considérables."

  • Des inégalités territoriales en augmentation au cours de la dernière décennie

D'après le sondage réalisé par l'institut de sondage Ifop pour le Medef, huit Français sur dix considèrent que la France est un pays qui recouvre des inégalités territoriales. Et pour près des deux tiers, ces inégalités se sont aggravées au cours de la dernière décennie. Pour ces Français, la réduction des inégalités territoriales passe avant tout par le local : les communes et les associations sont les acteurs en qui les Français ont le plus confiance pour agir (respectivement 75% et 67%). Viennent ensuite les citoyens, les conseils régionaux et départementaux. A l'inverse, moins d'un tiers des Français accordent leur confiance au niveau central dans ce domaine. "Les Français ont compris que les problèmes territoriaux se règlent en mettant autour de la table les acteurs locaux, a signalé Jérôme Fourquet, directeur de l'Ifop, lors de la présentation du sondage le 5 mai 2021 à l'occasion d'un webinaire REF Territoires organisé par le Medef, ils croient plus à ces petits matins qu'au grand soir."

Plus de deux Français sur trois jugent leur territoire attractif. "Derrière un discours spontané critique, la satisfaction est importante", a assuré Jérôme Fourquet. Mais il y a des disparités en fonction de la région et du type d'agglomération : plus des trois quarts des Franciliens jugent ainsi leur territoire attractif, contre à peine plus de la moitié dans le Nord-Est. Même contraste entre les habitants des communes de plus de 100.000 habitants qui sont 84% à juger leur territoire attractif et les habitants des communes rurales, qui ne sont que 53%.

Parmi les dimensions qu'il faut selon eux améliorer : la disponibilité des emplois, la sécurité et l'accès aux soins. Viennent ensuite l'aide aux commerces de proximité, l'implantation d'entreprises, l'accès au réseau internet/téléphone haut débit, et les infrastructures de loisirs. Les attentes varient en fonction de la taille de la commune. Les personnes vivant dans les petites communes sont particulièrement en attente de création d'emplois (36%, soit 7 points de plus que les habitants des plus grandes villes), d'accès aux soins, de commerces de proximité.

Enfin, le sondage signale que près d'un tiers des Français a déjà envisagé de déménager pour un endroit plus attractif, privilégiant la qualité de vie. "C'est particulièrement le cas des moins de 35 ans et des habitants de communes de plus de 100.000 habitants", signale le sondage.