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Pour les métropoles, la coopération "n’est plus une option"

Après deux années de crise, les métropoles ne pourront redorer leur blason qu'en approfondissant les coopérations avec leur environnement proche : c'est le message lancé lors d'un récent colloque intitulé "Pour des métropoles résilientes - Métropoles en transition cherchent trajectoires territoriales". Quasiment au même moment, l'ANCT a mis en ligne les résultats d'un travail conduit en partenariat avec France Urbaine et l'AdCF listant "six facteurs de réussite" pour ces "alliances des territoires".

Malmenées depuis deux ans – crise des gilets jaunes, effets des confinements et de la crise sanitaire -, après avoir été portées au pinacle (loi Maptam de 2014, loi Notre de 2015, Grand Paris…), les métropoles tentent de se refaire une virginité. Récemment, la ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault s'est lancée dans une opération de réhabilitation comparant la situation actuelle à une "guerre froide territoriale". "La décennie s’est achevée dans un climat de dénonciation des métropoles parfois violent, dans le contexte d’une crise sanitaire inédite", a-t-elle affirmé le 21 janvier lors d’un colloque intitulé "Pour des métropoles résilientes Métropoles en transition cherchent trajectoires territoriales", organisé à l’Assemblée nationale par la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) et le Plan urbanisme construction architecture (Puca). "Peu de sujets ont suscité autant de caricatures et de récupérations idéologiques et politiques", a asséné celle qui porte la politique d’aménagement du territoire du gouvernement, critiquant ainsi une forme de "métropole bashing". Pour un peu, on aurait dit le discours prononcé par Edouard Philippe en 2017 lors de la 28e convention nationale de l’AdCF (Assemblée des communautés de France) sur le thème - déjà : "Les défis des solidarités villes-campagnes" (voir notre article).

Preuve que le sujet revient en force : la délégation aux collectivités du Sénat organisera ce jeudi 4 février une table ronde sur les métropoles, en présence de Johanna Rolland présidente de France Urbaine et de Nantes Métropole, qui figure parmi les précurseurs du concept d’ "alliance des territoires" développé depuis quelques années pour sortir des oppositions urbain-rural. Nantes qui avait signé, au printemps 2019, avec le Pays de Retz, le 4e "contrat de réciprocité".

A suivre aussi - mais sur le mode critique - la présentation le même jour à l'Assemblée du rapport de Jean-Michel Thornary, conseiller maître à la Cour des comptes, intitulé "La mise en place des métropoles : un premier bilan peu convaincant". Ce rapport publié il y a deux mois dresse un bilan peu amène de la création des 22 métropoles (voir notre article).

173 coopérations recensées

Pour Jacqueline Gourault, "si les métropoles ne sont pas l’horizon indépassable de notre époque, elles sont avant tout le maillon – certes majeur – d’une chaîne territoriale beaucoup plus large, qui tisse des milliers de liens de complémentarités entre les territoires". Au-delà de la poignée de contrats de réciprocité inventés lors d'un comité interministériel aux ruralités du 13 mars 2015, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ex-CGET), France Urbaine et l’AdCF avaient recensé fin 2018 quelque 173 coopérations entre des métropoles et leurs territoires (dont un quart en projet), dans des thématiques allant de la mobilité au tourisme, en passant par le développement économique, l’alimentation ou même l’énergie... La métropole de Rouen a ainsi l’ambition de multiplier par 2,5 la production d’énergies renouvelables et de récupération, passant de 1.300 à 3.000 GWh par an. Elle entend pour ce faire créer une société locale de développement et d’investissement dont le périmètre sera élargi aux territoires environnants dès cette année.

Le Popsu, qui coorganisait le colloque des 21 et 22 janvier, considère que la coopération "n’est plus une option". "C’est dans la complémentarité et le dialogue avec leurs territoires voisins et non plus dans une posture de surpuissance que les métropoles retrouveront un rôle et une légitimité", souligne-t-il, dans un communiqué. Il préconise ainsi de "bâtir des liens de proximité plutôt que de s’inscrire dans la compétition internationale" et en fait "la nouvelle voie des métropoles résilientes, des métropoles d’après".

Six facteurs de réussite

On comprend donc pourquoi l’ANCT, France Urbaine et l’AdCF se sont penchées sur ces alliances de territoires au sein de ce qu’elles ont appelé la "Fabrique prospective", sorte de club de réflexion réunissant les métropoles de Brest, Nantes, Rouen, Toulouse et leurs territoires environnants. Le fruit de ce travail intitulé "Coopérations entre métropoles et territoires environnants : quels facteurs de réussite" vient d’être publié.

La crise du Covid 19 a "matérialisé" le besoin de coopération, "qu’il s’agisse des coopérations urbain-rural en termes d’alimentation ou des coopérations sanitaires entre territoire", peut-on y lire. Mais coopérer impose de "bien cerner les intérêts et plus-value réciproque". Ce qui avait fait défaut avec le contrat de réciprocité avorté entre Lyon et le Cantal par exemple. Le rapport identifie six facteurs de réussite, à commencer par une connaissance fine des interdépendances : flux d’énergie, d’eau, de matériaux de construction, de produits alimentaires, de déchets mais aussi de capitaux et de revenus, de personnes. Rouen a par exemple mis en place un "observatoire des interrelations" à l’échelle du grand territoire métropolitain, avec l’appui des agences d’urbanisme de Rouen et du Havre.

Il faut ensuite une "vision stratégique" partagée des coopérations et la mise en place d’ "espaces de gouvernance" adaptés. Toulouse s’est par exemple dotée d’une association de "Dialogue métropolitain" à laquelle participent 11 intercommunalités. La région Occitanie en est membre associé. Un réseau "Action Coeur de ville" a été mis en place dans ce cadre dès 2018. Le Fabrique prospective promeut aussi le partage de "compétences métiers", via par exemple les agences d’urbanisme. Celle de Tours est très active dans ce domaine et fait profiter les 9 autres intercommunalités du département d’Indre-et-Loire de ses services. Les présidents des dix EPCI ont ainsi pu arrêter six axes de coopération prioritaires (l’agriculture, le développement économique, le marketing territorial, le tourisme, la mobilité, les déchets et l’énergie) qui se sont traduits dans autant de "contrats de réciprocité" signés en janvier 2019. La métropole de Toulouse réfléchit pour sa part à un "mécénat de compétence" : il s’agirait de "prêter" un agent à une autre collectivité demandeuse.

Les CRTE, une "occasion historique"

La question des financements apparaît aussi un enjeu capital, alors que "les projets de coopération interterritoriale correspondent rarement aux dispositifs d’appui financier classiques". Le rapport préconise d’allouer des moyens spécifiques dans le cadre des contrats de plan Etat régions (CPER) ou dans les futurs programmes européens d’appui au développement régional, soit en y consacrant un volet dédié aux coopérations interterritoriales, soit en intégrant des lignes de crédits destinées aux coopérations dans chaque volet thématique. Autre idée : créer "des mécanismes de financement horizontaux" entre les territoires qui coopèrent, à l’instar des "rétrocessions fiscales" qui existent entre la France et la Suisse pour compenser les déséquilibres de travailleurs frontaliers qui pèsent sur les recettes fiscales. Enfin, la Fabrique prospective propose des pistes d’évolution du cadre juridique qui peut être un frein aux coopérations. C’est le cas par exemple de l’achat de produits agricoles locaux avec l’exigence du respect de la libre concurrence dans les marchés publics. Elle demande un renforcement du droit à la différenciation territoriale, sujet très en vogue.

Alors que les maires ruraux craignent d’être mis à l’écart de la relance, comme l’a redit le président de l’AMRF Michel Fournier, le 28 janvier, devant la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, les CRTE pourraient constituer le moyen de mettre ces belles intentions à exécution. Jacqueline Gourault entend relever le défi. Ces contrats, a-t-elle dit le 21 janvier, constituent une "occasion historique" pour "donner une dimension pratique à la différenciation territoriale" et pour y "inscrire un volet de coopération interterritoriale".