Écoles hors contrat : le Comité national d'action laïque demande le passage à un régime d'autorisation
Une enquête du Comité national d'action laïque pointe les dysfonctionnements d'un certain nombre d'écoles privées hors contrat, notamment des manquements au socle commun des connaissances. Elle propose de calquer le régime d'ouverture de ces établissements sur celui de l'instruction en famille, en passant d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation.
Soumettre les écoles hors contrat à un régime d'autorisation, telle est la principale préconisation du Cnal (Comité national d'action laïque, qui rassemble des membres de la FCPE, de la Fédération des délégués départementaux de l'Éducation nationale, de la Ligue de l’enseignement et des enseignants affiliés à l’Unsa éducation et au SE-Unsa) à l'issue d'une enquête inédite dévoilée le 9 mars.
Le paysage des écoles hors contrat est mal connu au niveau national. Pour mieux le connaître, le Cnal a, en janvier 2021, adressé une demande de transmission des rapports de visite de ces établissements à chaque inspection académique de rattachement. Mais alors qu'il recense quelque 1.800 établissements scolaires hors contrat, le Cnal n'avait reçu onze mois plus tard que 164 rapports, et ce malgré un avis favorable de transmission émis par la Cada (Commission d'accès aux documents administratifs). Le Cnal en conclut que l'Éducation nationale est "rétive à la transparence sur cette question".
Joint par Localtis, Rémy-Charles Sirvent, secrétaire général du Cnal, reconnaît : "On s'est demandé que faire de tout ça. C'est du minerai brut qui n'existe pas en dehors de chez nous. Mais il est tellement brut qu'il faut le polir. Mais sous quel angle ?"
Protéger les enfants
Réaliser un portrait général des écoles hors contrat en France ? La solution a été écartée. Les biais méthodologiques s'avéraient trop nombreux. Seules 9% des écoles étaient visées dans les rapports transmis. Et puis se pose le problème de la restitution, car pour des écoles similaires, certains rapports font deux pages quand d'autres en comptent dix. "Il n'y a pas d'uniformité et cela rend difficile toute comparaison", admet Rémy-Charles Sirvent. Surtout, le classement des écoles par grandes familles pédagogiques ou philosophiques mettaient en lumière un autre biais issu de la transmission des rapports : si parmi les 164 rapports, les 50 traitant d'une école "catholique" et les 52 concernant un établissement "Montessori" offraient un échantillon représentatif, ce n'était pas le cas des écoles présentées comme "juives" ou "musulmanes" qui n'ont fait l'objet respectivement que d'une seule transmission, et encore pour des écoles désireuses de passer sous contrat avec l'État.
Si globalement, il ressort des 164 rapports épluchés que "trois écoles sont excellentes aux côtés d'un gros ventre mou, ni bon ni mauvais, et d'une moitié qui dysfonctionne", selon Rémy-Charles Sirvent, l'enquête du Cnal "ne repose pas sur le fait de savoir combien d'écoles Montessori ou combien d'école Steiner fonctionnent ou dysfonctionnent" : "L'enquête a finalement cherché à savoir s'il existait des situations, des invariants qui, au regard de leur gravité, méritaient d'envisager un changement de réglementation pour protéger les enfants. Et la réponse est oui, sans contestation."
La "citoyenneté mise à mal"
Partant de l'angle choisi par le Cnal, l'enquête s'avère forcément à charge pour les écoles visées, les éléments positifs des rapports ayant été volontairement écartés pour mettre l'accent sur les dysfonctionnements.
Sur le chapitre de l'environnement scolaire, le Cnal pointe ainsi la non-mixité entre élèves dans les écoles relevant de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X. Dans certains établissements catholiques, c'est "la sécurité ou la capacité des lieux à accueillir du public [qui] est parfois remise en question". Les écoles de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X et les écoles Steiner font encore l'objet de remarques pour l'opposition à la vaccination qui animerait certains de leurs parents d'élèves.
En matière d'apprentissages, l'enquête met régulièrement en évidence des manquements aux exigences du socle commun de connaissances. Dans le détail, ces manquements peuvent concerner l'éducation morale et civique – la "citoyenneté mise à mal" est un thème récurrent de l'enquête –, le numérique – ce qui, pour le Cnal, traduirait une certaine "fermeture vis-à-vis de la société, [et un] rejet de la technologie" – ou encore l'histoire et la géographie. L'éducation physique et sportive et l'enseignement de la natation apparaissent peu développés dans plusieurs établissements inspectés. Mais cela peut tout simplement résulter d'un refus d'accès à la piscine, comme dans le cas d'une école Montessori de Moselle. On notera encore la "pédagogie à l’ancienne" et les "manuels très obsolètes" des écoles relevant de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X.
Subjectivité
L'enquête met en lumière des carences avérées et propose un portrait inédit. Elle n'en reste pas moins incomplète – nous avons vu pourquoi – et portée par la subjectivité de ses auteurs. Certaines des observations soulignées pourraient en effet concerner les établissements scolaires de tous types. Il est en ainsi d'une école catholique des Vosges à propos de laquelle un inspecteur écrit : "En CP, les élèves décodent mais ne comprennent toujours pas ce qu’ils lisent."
Si le Cnal gratifie les éducateurs "montessoriens" de "bonne volonté" et rapporte, avec des réserves, qu'une école du réseau Espérance banlieue "respecte le contenu des normes minimales de connaissance et du droit à l’éducation", certains de ses jugements tranchés paraissent en opposition avec des travaux plus nuancés et occultent le rôle des écoles privées sous contrat, par exemple quand il affirme que "des élèves qui ne fréquenteraient que des écoles dites Montessori risquent d’être enfermés dans des habitudes de travail qui ne permettront pas l’émancipation que peut offrir une scolarité passée dans l’École publique".
Régime d'autorisation
Au final, le Cnal propose que les écoles hors contrat passent d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation, à l'image de l'instruction en famille (IEF). D'autre part, il demande que le projet pédagogique fasse partie intégrante du dossier de demande de création d’un établissement privé hors contrat, ici encore sur le modèle de l'IEF (lire notre article du 17 février).
Pour rappel, aux termes de l'article L. 441-1 du Code de l'éducation, le maire peut actuellement s'opposer à l'ouverture d'un établissement scolaire privé dans l'intérêt de l'ordre public ou de la protection de l'enfance et de la jeunesse si la personne qui ouvre l'établissement ou celle qui le dirigera ne remplit pas les conditions légales, ou s'il ressort du projet de l'établissement que celui-ci n'a pas le caractère d'un établissement scolaire.
Plus problématique encore est la demande visant à autoriser le préfet à prononcer la fermeture d’un établissement "dès lors que l’acquisition du socle commun et des valeurs de la République est défaillante". Problématique, d'abord parce que l'on parle d'acquisition et non de transmission, autrement dit d'une obligation de résultat. Ensuite parce qu'aujourd'hui, le préfet peut ordonner la fermeture de l’établissement uniquement pour des motifs graves (ordre public, santé et sécurité physique ou morale des mineurs), tandis qu'il n'agit que sur proposition du rectorat pour les cas d'insuffisance de l'enseignement.
Le Cnal préconise par ailleurs de revoir la méthodologie des rapports et annonce qu'il a saisi la Cour des comptes "pour qu’elle éclaire nos concitoyens sur le montant des financements perçus par des établissements d’enseignement privés hors contrat, notamment en provenance de fondations reconnues d’utilité publique, permettant des dépenses d’investissement et de fonctionnement à destination des établissements religieux".