Eaux non conventionnelles : les textes fixant le cadre réglementaire pour les usages domestiques sont parus
Très attendus par les collectivités territoriales, le décret et l’arrêté encadrant les usages domestiques des eaux impropres à la consommation humaine (EICH) sont parus ce 13 juillet. Les bâtiments d’habitation (collective et individuelle), les établissements recevant du public, les bâtiments professionnels, ceux des entreprises ou des collectivités, peuvent, s’ils le souhaitent, mettre en œuvre cette solution dont le but est de réduire la pression sur une ressource de plus en plus disputée.
Un décret et un arrêté, parus ce 13 juillet, pris en application de l’article L.1322-14 du code de la santé publique, et poursuivant la mise en œuvre du plan eau lancé fin mars 2023, fixent le cadre réglementaire s’agissant du recours à des eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques, sous réserve du respect d'exigences techniques et sanitaires minimales.
Plusieurs chantiers ont été menés en parallèle : un pour la réutilisation des eaux usées traitées - REUT (décret n°2023-835 du 29 août 2023 et arrêtés des 14 et 18 décembre 2023 pour les espaces verts et les usages agricoles) ; un autre relatif aux eaux réutilisées dans les entreprises du secteur alimentaire (décret n° 2024-33 du 24 janvier 2024 et décret n° 2024-769 du 8 juillet 2024 ) ; et un troisième concernant les eaux impropres à la consommation humaine (EICH). Pour ce dernier chantier, le premier volet avait été mis en consultation en janvier - décret et arrêté pris en application de l’article L.1322-14 du code de la santé publique (voir notre article du 8 janvier 2024). Il ne concerne toutefois pas les ICPE, pan sur lequel une consultation s’est déroulée courant juin sur un projet d’arrêté relativement similaire mais offrant plus de souplesse sur certains points.
Usages possibles par type d’eaux non conventionnelles
Ce nouveau texte, qui se concentre sur les usages domestiques, apporte un cadrage pour l’eau de vidange de piscine, les eaux grises et les eaux de forage, ainsi qu’un cadre expérimental, notamment pour les eaux-vannes issues des toilettes. Concrètement, il permet la poursuite des usages domestiques déjà réalisés à partir d’eaux impropres à la consommation humaine puisqu’il va codifier les dispositions déjà existantes issues de l’arrêté du 21 août 2008 relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l'intérieur et à l'extérieur des bâtiments qu’il a vocation à abroger, ainsi que les dispositions relatives à l’usage d’eaux grises, pouvant être autorisées jusqu'ici à titre exceptionnel par autorisation préfectorale au titre de l’article R.1321-57 du code de la santé publique.
Les eaux des pluies, eaux douces du milieu naturel, les eaux de puits et de forages privés pourront être utilisées pour les usages domestiques visés. À savoir : lavage du linge, des sols intérieurs, évacuation des excreta, alimentation de fontaines décoratives, nettoyage des surfaces extérieures, dont le lavage des véhicules lorsqu'il est réalisé au domicile, arrosage des jardins potagers, arrosage des espaces verts à l'échelle des bâtiments. L'utilisation des eaux grises et des eaux issues des piscines à usage collectif est permise uniquement pour l'évacuation des excreta, l’alimentation de fontaines décoratives, le nettoyage des surfaces extérieures et l'arrosage des espaces verts à l'échelle des bâtiments. Pour les autres usages (lavage du linge, le lavage des sols en intérieur et l'arrosage des jardins potagers, etc.), un régime expérimental est mis en place jusqu'en 2034 (article 2 du décret).
Procédure simplifiée
Pour la majorité des usages, aucune procédure administrative supplémentaire au cadre existant (notamment déclaration en mairie au titre du code général des collectivités territoriales) n’est requise. La procédure administrative relative à la mise en œuvre des eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques est simplifiée avec l’instauration d’un régime de déclaration auprès du préfet (à l’exception des usages réalisés dans les établissements recevant du public sensibles soumis à autorisation préfectorale). Les préfets ont d’ailleurs été invités par une instruction interministérielle datée du 1er juillet 2024 (voir notre article du 10 juillet 2024) à anticiper la parution des textes réglementaires pour aiguiller les porteurs des nouveaux projets dans leurs démarches.
L’arrêté comporte en annexe le récapitulatif de l’ensemble des usages domestiques possibles en fonction du type d’EICH. Notons que les usages alimentaires et liés à l’hygiène corporelle demeurent interdits. Un tableau liste les usages autorisés et cas de figure relevant des différents régimes requis : sans procédures au titre du code de la santé publique, déclaration au préfet, autorisation du préfet, expérimentation.
Cet arrêté établit par ailleurs les exigences sanitaires à satisfaire pour la conception, la mise en route, l'exploitation et l'entretien des systèmes d'utilisation d'eaux impropres à la consommation humaine et précise les critères de qualité d'eau à atteindre a minima. Il définit également les modalités de surveillance de la qualité de ces eaux ainsi que les mesures à mettre en œuvre en cas de dysfonctionnement des systèmes. Enfin, il précise le contenu du dossier de demande d'autorisation préfectorale et les informations figurant dans la déclaration.
Ces procédures et opérations relèvent de la responsabilité des propriétaires des réseaux intérieurs de distribution d’eau. Outre la classe A, il est introduit une classe de qualité A+ avec un niveau d’exigence assez fort, notamment pour les usages d’eaux brutes naturelles pour le lavage du linge ou encore d’eaux grises et d’eaux de vidanges de piscines pour l’alimentation des fontaines décoratives et l’alimentation de chasses d’eau.
Il est précisé (D. 1321-104 du code de la santé publique) qu’une note de synthèse annuelle du directeur général de l'agence régionale de santé sur les données relatives à la qualité des eaux distribuées "est transmise aux personnes responsables de la production ou de la distribution d'eau et aux maires". "Ces derniers la tiennent à disposition du public par tout moyen", ajoute le décret.
L’entrée en vigueur (décret et arrêté) est prévue au "1er septembre 2024".
Conditions (trop ?) strictes
Le collège des élus du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) - consulté pour avis le 11 janvier 2024 - a estimé que les conditions permettant l’utilisation des eaux de pluie "demeurent très strictes". Le ministère de la Santé fait valoir que "l’utilisation des eaux de pluie n’est pas soumise au même régime que les eaux grises". "Les seuils de qualité sanitaire ne sont pas applicables aux eaux de pluie mais seulement aux eaux grises (eaux de baignoire, lavabos, lave-linges et douches)", relève-t-il. La majorité des usages d’eaux brutes naturelles n’ont en effet pas de critères de qualité à atteindre, sauf le lavage du linge.
"La multiplication des textes avec des approches différentes pour les mêmes usages/types d’eaux rend la lecture du cadre réglementaire de plus en plus complexe", relève de son côté Amorce. Pour le réseau de territoires, "il est essentiel d’aller vers une réglementation pour toutes les eaux non conventionnelles qui soit désilotée et permette le multisource et le multiusage". Amorce plaide donc pour "une harmonisation" pour tous les textes, "en tout cas pour les usagers professionnels dont les collectivités qui ont la capacité de mettre en place les mesures de protection et de suivi des exigences". Le recours aux eaux non conventionnelles est inclus dans le référentiel du label "territoire d'eau en transition écologique", dont les candidatures à la deuxième édition sont ouvertes depuis le 4 juin et ce, jusqu'au 26 juillet, rappelle également Amorce.
Programme spécifique sur le littoral
Dans le cadre du plan eau, le ministère de la Transition écologique, le Cerema, l’Anel, les agences de l’eau, la Banque des Territoires et l’Office français de la biodiversité viennent en outre de lancer un programme d'accompagnement spécifique aux communes littorales pour construire leurs stratégies de REUT. Cette initiative cible la valorisation des eaux non conventionnelles en augmentant de façon significative leur réutilisation, avec pour objectif de multiplier par dix le volume d’eaux réutilisées d’ici à 2030. Les collectivités bénéficieront de subventions atteignant jusqu’à 80% pour la réalisation des études nécessaires. La phase de candidature a démarré le 12 juillet, avec une première limite de dépôt prévue avant le 30 septembre 2024.
Références : décret n° 2024-796 du 12 juillet 2024 relatif à des utilisations d'eaux impropres à la consommation humaine ; arrêté du 12 juillet 2024 relatif aux conditions sanitaires d'utilisation d'eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques pris en application de l'article R. 1322-94 du code de la santé publique, JO du 13 juillet 2024, textes n°12 et 19. |