Eau : Amorce appelle à accélérer les actions pour plus de sobriété
Toujours à l'offensive dans le domaine de l'eau, l'association Amorce a organisé ce 13 mars à Paris un colloque dédié aux enjeux de la sobriété et au rôle central que peuvent jouer les collectivités en la matière. Elle a dressé un premier bilan des outils qu'elle a développés à l'attention de ces dernières. Elle a aussi présenté le contenu d'une proposition de loi sur l'eau qu'elle a préparée pour embrasser tous les enjeux quantitatifs et qualitatifs de la préservation de la ressource à l'aune du changement climatique, ainsi que ses propositions d'évolution des redevances pour un "rééquilibrage" de l'effort entre les différents usagers.
"La prise de conscience est là mais la mise en action encore absente", a regretté Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, lors d'un point presse organisé ce 13 mars à Paris, à l'occasion du premier grand colloque organisé par l'association en partenariat avec les agences de l'eau et la Banque des Territoires sur le thème de la sobriété dans le domaine de l'eau. Un constat qui pousse Amorce à faire assaut de propositions pour entraîner tous les acteurs dans la bataille. Car avec le réchauffement climatique, rien ne sera plus comme avant. 2022 et 2023 sont les deux années les plus chaudes jamais mesurées en France. Résultat : 54% des nappes ne sont pas rechargées à un niveau satisfaisant alors qu'on arrive à la fin de la période de recharge et la forte pluviométrie de cet hiver ne doit pas faire illusion (lire notre encadré sur le dernier bulletin de situation du BRGM). "Du fait de l'élévation des températures, il y a moins de neige, et donc moins d'eau retenue. D'ici 2035-40, quels que soient les scénarios, le stress hydrique sera très fort partout", a souligné Nicolas Garnier.
Vers un "stress hydrique" généralisé ?
"L'exemple de Mayotte, en proie à la sécheresse, est assez révélateur de ce qui peut attendre le territoire hexagonal", a pointé Sylvie Gustave-Dit-Duflo, vice-présidente d'Amorce déléguée à l'eau et aux Drom-Com. "Le département souffre à la fois d'un déficit d'investissements dans les réseaux d'adduction mais aussi du fait qu'avec le changement climatique, les routes des pluies sont déviées au sud et n'arrivent plus sur son territoire", a détaillé l'élue, également quatrième vice-présidente du conseil régional de la Guadeloupe et vice-présidente de l'Office français de la biodiversité (OFB), en attirant l'attention sur "les crises d'eau structurelles" qui affectent les territoires ultramarins. En métropole, près de 190 communes ont été privées d'eau pendant l'été 2023 et même en hiver, certaines le sont toujours, notamment dans les Pyrénées-Orientales, a rappelé Nicolas Garnier.
60 collectivités engagées dans le "Défi sobriété -10% eau"
Pour Amorce, les collectivités, qui représentent 16% des 32 milliards de mètres cubes de prélèvements, ont "un rôle central et moteur à jouer" "pour modifier structurellement les besoins et usages de l'eau sur les territoires", en donnant elles-mêmes l'exemple, par des consommations plus sobres, et en entraînant les autres acteurs. L'association a donc développé des outils pour les aider à s'engager dans une gestion durable de l'eau. Lancé en partenariat avec le ministère de la Transition écologique, son "Défi sobriété –10% eau" vise ainsi à réduire de 10% les prélèvements en eau des collectivités pour les bâtiments et usages publics dès 2025 et non en 2030 comme fixé par le plan Eau du gouvernement. À l'issue de la phase d'inscription, clôturée fin février, 60 collectivités sont engagées dans le Défi, a annoncé Amorce ce 13 mars. On trouve parmi elles de grandes villes (Marseille, Grenoble…), des métropoles (Lyon, Nantes, Lille, Chambéry, Nancy, la communauté urbaine de Dunkerque…), mais aussi des syndicats ruraux, des départements (Var, Eure-et-Loir, Haute-Garonne, Val-d'Oise…) ainsi que la région Normandie. 60 collectivités sur les 26.000 disposant de la compétence eau, c'est encore trop peu, reconnaît Nicolas Garnier, mais l'essentiel est d'impulser une dynamique.
Dix actions inspirées des territoires
Pour parvenir à l'objectif de réduction de 10% des consommations d'eau, dix actions inspirées des territoires ont été retenues pour le défi (faire le bilan des consommations d'eau de son patrimoine bâti et de ses équipements et définir un plan d'action ciblé, mobiliser le personnel territorial et s'assurer de la mise en place d'équipement de comptages fiables et précis, faire la chasse aux fuites, favoriser la récupération d'eau de pluie, optimiser l'arrosage des espaces verts, réduire les consommations d'eau des piscines et autres équipements sportifs, économiser l'eau dans les services de nettoiement, mener des campagnes de sensibilisation auprès des abonnés, dans les établissements recevant du public et en milieu scolaire…). Un point d'étape sera fait à l'hiver prochain pour échanger sur les avancées de chacun et en janvier 2026, un bilan du défi sera réalisé avec toutes les collectivités engagées.
Une proposition de loi sur l'eau présentée aux parlementaires
Amorce juge aussi de plus en plus urgent de bâtir une nouvelle grande loi sur l'eau - la dernière date de 2006 – prenant en compte à la fois les enjeux liés au réchauffement climatique sur la disponibilité de la ressource et ceux liés à la qualité de l'eau, alors que seulement 45% des eaux de surface et 70% des eaux souterraines sont en bon état chimique et que 15% de la population française est alimentée par une eau non conforme sur les paramètres liés aux pesticides en 2022. Le cadre juridique de la gestion de l'eau a aussi besoin d'être remis au goût du jour, estime aussi l'association. Elle a donc élaboré un texte qu'elle a présenté à plusieurs parlementaires de tous bords pour les inciter à s'en saisir. Pour sécuriser l’alimentation en eau potable et réduire les prélèvements, le texte d'Amorce préconise d'inscrire dans la loi l’objectif de réduction des prélèvements en eau douce de 10% d’ici 2030 et -25% d’ici 2040 pour tous les territoires et tous les usages. 98% de la population devrait aussi être alimentée en permanence avec de l’eau potable respectant les seuils de qualité d’ici 2035. Il veut rendre obligatoire l’équipement d’un compteur à télérelève quotidienne pour les prélèvements les plus importants (plus de 7000m3/an) et la réalisation de plans de sobriété par les préleveurs concernés.
Généraliser les Sage
Au chapitre de la gouvernance, Amorce propose une rationalisation qui permettrait de répondre aux enjeux émergents de la gestion de l’eau par un partage de l’effort par territoire et par acteur. Il faudrait ainsi généraliser la réalisation par les commissions locales de l'eau de schémas d'aménagement et de gestion des eaux (Sage). Ceux-ci devraient au moins comporter des objectifs de réduction de prélèvement, "sans attendre l’apparition de tensions", des études prospectives pour tous les usages, des objectifs de préservation de la qualité de l’eau. Il faudrait également préciser et renforcer les pouvoirs de police de l’Office français de la biodiversité (OFB) et des membres du Comité opérationnel de lutte contre la délinquance environnementale (Colden) relatifs aux prélèvements, ainsi que les sanctions pour mieux appliquer les restrictions en cas de sécheresse ou pour empêcher le dépassement des autorisations de prélèvement ou de forage non déclaré.
Sobriété et préservation de la qualité de l'eau
Le texte prévoit en outre de généraliser l’individualisation du parc des compteurs d’eau potable et de développer les projets de réutilisation d'eaux usées traitées (Reut). Les stations de traitement d'eaux usées (Steu) de plus de 100.000 équivalents habitants (eqH) auraient à définir un objectif de Reut d’ici 2026 pour le réaliser d’ici 2030. Celles rejetant en mer devraient réaliser une étude de faisabilité avant 2026 et mettre en oeuvre les installations avant 2030 si l’équilibre économique est acceptable. Dans l'industrie, pour toute nouvelle installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) ou IPCE modifiée par arrêté et considérée comme gros consommateurs d’eau, l'objectif serait de 30% de recyclage ou de réutilisation interne.
Afin de mobiliser les acteurs autour de la préservation de la qualité de l’eau, les installations de traitement des eaux usées domestiques de plus de 100.000 eqH ou les installations industrielles rejetant dans le milieu naturel devront présenter un bilan mensuel en termes de micropolluants et d'application des traitements nécessaires au-dessus des seuils définis d’ici 2040. Le texte prévoit d'élargir la possibilité d’interdire (temporairement et au cas par cas) des intrants dans les aires d’alimentation des captages d’eau potable pour les cas de pollutions diffuses et émergentes, à condition de lier cette mesure au renforcement des aides au changement de pratiques agricoles.
Tarifications à adapter
Autre impératif pour Amorce : renforcer la prise en compte environnementale et sociale dans les tarifications et le financement de la gestion de l’eau. Pour inciter les usagers à réduire leurs prélèvements, la proposition de loi prévoit d'inscrire la nécessité d’un paiement minimum et progressif pour les prélèvements dans le milieu naturel (y compris pour les forages individuels). Elle veut aussi "sanctuariser le principe du pollueur-payeur" pour financer des actions préventives et curatives pour traiter les micropolluants et les microplastiques.
Elle compte également faciliter pour les collectivités la mise en place d’une tarification progressive et incitative des consommations d’eau. Chaque service public d’eau potable pourrait ainsi définir un seuil de consommation annuel pour les usagers domestiques et assimilés et un malus de surconsommation appliqué sur le prix au m3, avoir accès aux données pertinentes pour mettre en place ce dispositif.
Aller plus loin dans la réforme des redevances
Autre cheval de bataille d'Amorce : la réforme des redevances, esquissée dans la dernière loi de finances. "La réforme initiale proposée par le gouvernement ne renforçait déjà que très légèrement le signal prix sur les grands préleveurs d’eau et les principales pollutions aquatiques et ne générait que 167 millions d’euros de recettes supplémentaires alors que le plan Eau nécessite 5 à 7 milliards d’euros d’investissement", souligne l'association. "La réforme finalement adoptée maintient les déséquilibres et dysfonctionnements actuels au détriment de la transition écologique dans le domaine de l’eau et au détriment des usagers du service public qui continueront d’être injustement les principaux financeurs de la politique de l’eau", poursuit-elle. Et de rappeler que plus de 80% des recettes générées par les redevances de l’eau proviennent des usagers, "alors qu’ils n’en sont pas les premiers préleveurs" et que les services publics d’eau et d’assainissement ne sont bénéficiaires que de seulement 31% des dépenses des agences de l’eau dont le budget total s'élève à 2,3 milliards d’euros. Les redevances de prélèvement pour les redevances domestiques sont de 3 à 20 fois supérieures comparées à celles des autres secteurs, observe encore Amorce. L'association recensait en outre l'été dernier près de 88% de collectivités ayant détecté dans leurs captages d’eau potable des métabolites de pesticides, alors que la taxe sur l’usage de pesticides ne représente que 4% des recettes des redevances. Les principaux émetteurs de polluants ne sont ainsi pas les premiers à devoir contribuer financièrement au traitement de ces pollutions, regrette Amorce.
"Rééquilibrage" des taxes pour l'ensemble des usagers
L'association réclame donc un "rééquilibrage des taxes sur les prélèvements pour l’ensemble des usagers" - augmentation des redevances payées par les secteurs du nucléaire, de l’agriculture, de l’industrie et de l’alimentation des canaux, "multiplication par 5" des redevances de pollutions industrielles et agricoles pour couvrir les besoins de traitements et en parallèle inciter aux changements de comportements. Elle souhaite également la création d’une nouvelle redevance visant les pollutions émergentes (produits d’entretiens et ménagers, produits générant des microplastiques comme les matériaux en PVC ou les textiles synthétiques, plastiques alimentaires ou cosmétiques contenant des phtalates). "La responsabilisation des metteurs sur le marché est indispensable pour inciter à la réduction de ces pollutions et pour éviter que les collectivités – donc indirectement les usagers – soient les seules à supporter le coût des traitements du service public d’eau et d’assainissement", juge Amorce. L'association attend de la réforme des redevances telle qu'elle la préconise plus d'un milliard d'euros par an de moyens supplémentaires pour les agences de l'eau et les collectivités. Parallèlement, outre l'encouragement à la mise en place de tarifications incitatives sous forme de malus à la surconsommation, l'association appelle à encourager une part fixe plus importante de la facture d'eau (jusqu'à 40% à 50% en milieu rural, alors qu'elle s'établit en moyenne à 17% aujourd'hui), afin de financer en particulier les investissements liés à une gestion plus économe de la ressource ou d'assurer une meilleur équilibre du service public d'eau et d'assainissement au regard des politiques de sobriété.
Ajustements réglementaires attendus pour la valorisation des eaux non conventionnelles
Enfin, concernant la valorisation des eaux non conventionnelles (ENC), qui peuvent être des ressources de substitution pour des usages ne nécessitant pas d'avoir une qualité d'eau potable, Amorce salue la levée de certains freins tout en regrettant que la réglementation, qui structure les usages en deux blocs (domestiques et non domestiques) complexifie la mise en œuvre et soit un obstacle pour la "pertinence technique et économique des projets" portés aussi bien par les collectivités que par des acteurs privés. Elle propose donc d'"abaisser les niveaux de qualité à celle équivalente à l’eau de baignade a minima", d'autant qu'elle décèle une "contradiction" puisque "les niveaux de qualité et la surveillance demandées sont très forts", alors qu'"il n’y a pas de procédures de contrôle de ces niveaux et des installations". L'association regrette aussi qu’il n’y ait pas d’usage d’eau de vidange de piscine, de mélange ou autres eaux prévus dans les usages non domestiques comme l’arrosage des espaces verts, ou le lavage de voirie avec les eaux de vidange de piscine ou autres eaux. Elle souhaite en outre la levée de la durée d’autorisation de certains usages d’eaux impropres à la consommation humaine à 5 ans qui freinera selon elle les porteurs de projets car les retours sur investissement dépassent souvent les 5 à 10 ans.
Les nappes phréatiques vont mieux qu'en 2023, mais l'été demeure incertainAu 1er mars, 46% des nappes sont au-dessus des normales mensuelles et 36% restent en dessous, a indiqué ce 14 mars le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) dans son bulletin mensuel . Les chiffres ne prennent pas encore en compte les récents épisodes méditerranéens, dont la tempête Monica survenue le week-end dernier, mais l'effet de ces précipitations qui ruissellent beaucoup devraient être "largement limités", selon le BRGM. La situation est quasiment la même que fin janvier, où après une forte recharge en début d'hiver, le remplissage a commencé à ralentir. Elle reste toutefois largement meilleure que l'an dernier à la même époque, quand 80% des niveaux étaient sous les normales. En février, mois pourtant très arrosé par endroits, les recharges ont été "hétérogènes". Les pluies tombées ces dernières semaines "ont probablement eu des difficultés à s'infiltrer en profondeur à travers des sols peu humides" sur certains secteurs, note le BRGM. Le mois a été très contrasté au niveau météorologique, oscillant entre des températures printanières avant l'heure - février a été le deuxième plus chaud jamais enregistré en France - alimentant la sécheresse, et des séquences de pluie marquées et persistantes sur certaines régions tandis que d'autres restaient désespérément sèches. Entre décembre et fin février, la France a enregistré un excédent de pluie d'environ 10% en moyenne, selon Météo-France. Une bonne nouvelle pour certaines nappes, de la Bretagne à l'ouest du Massif central et aux Pyrénées-Atlantiques d'une part, et de l'Artois aux vallées alpines d'autre part, qui ont pu se réalimenter avant l'arrivée du printemps, quand la majeure partie de l'eau tombée du ciel sera absorbée par la végétation. Les niveaux sont de modérément bas à comparables aux normales mensuelles sur une bande centrale s’étendant de la Normandie à la Corse. Enfin, les niveaux sont moins satisfaisants, de bas à très bas sur le sud de l’Alsace, le couloir de la Saône, le sud du Massif central, le Languedoc et le Roussillon. Ces situations disparates s’expliquent essentiellement par l’intensité de la recharge 2023-2024 et par la réactivité de la nappe aux pluies. Mais le point noir reste les nappes du Languedoc et du Roussillon. Elles sont plus basses que l'an dernier et ont même continué à diminuer en février sur la plaine du Roussillon et du massif des Corbières, faute de pluies suffisantes. Les pluies tombées ces derniers jours ont permis d'atteindre des "pics de crue" sur certaines nappes comme en Nouvelle-Aquitaine et sur l'Artois et "de fortes hausses" localement, par exemple en Provence, a indiqué jeudi lors d'une visioconférence Violaine Bault, hydrogéologue au BRGM. Concernant le Languedoc, qui a connu ses premières précipitations depuis bien longtemps, "les niveaux des nappes se sont améliorés par endroits mais restent néanmoins insuffisants". "Les pluies violentes ne sont pas forcément les plus efficaces pour la recharge des nappes", une grande partie ayant tendance à ruisseler vers les cours d'eau puis la mer, explique Violaine Bault. Si l'on ajoute à cela le fait qu'elles sont tombées sur des sols extrêmement secs, elles ont au mieux suffi à réhydrater les sols en surface mais pas les nappes en profondeur. Sur le Sud-Est, il est "très difficilement envisageable" d'envisager des niveaux au-dessus des normales d'ici le printemps, estime le BRGM. Le reste de la France est-il, lui, à l'abri d'une sécheresse estivale ? S'il y a des raisons d'être "assez optimiste" pour certaines régions "en raison d'un début de recharge satisfaisant", le BRGM reste pourtant "assez prudent" pour les prochains mois. "En cas de précipitations insuffisantes en mars et avril, l'état des nappes pourrait se dégrader rapidement sur les nappes réactives (qui se rechargent et se vident plus vite, NDLR) et lentement sur les nappes inertielles", où l'eau a besoin de plus de temps pour s'infiltrer, prévient l'organisme. L'incertitude est d'autant plus grande que Météo-France anticipe une tendance à des températures plus élevées pour mars, avril et mai, favorable à l'évaporation et à l'assèchement des sols. A.L avec AFP |