Eau : un "plan de résilience" pour des Pyrénées-Orientales en proie à "l’aridification"
Christophe Béchu, a présenté ce 22 mai un "plan de résilience" pour l’eau dans les Pyrénées-Orientales, département confronté à une sécheresse aussi sévère que durable. Ce plan – "qui n’est pas le plan de l’État", insiste le ministre de la Transition écologique –, prévoit différentes mesures intéressant directement les collectivités locales, déjà fortement mobilisées.
Faire des Pyrénées-Orientales "un démonstrateur des solutions et processus d’adaptation pour une gestion sobre et résiliente de l’eau". Tel est l’objectif du "plan de résilience" officiellement présenté pour ce territoire par Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, ce 22 mai, à Canet-en-Roussillon, avec un petit mois de retard sur le calendrier annoncé en mars dernier (voir notre article du 21 mars 2024).
Un département en proie à "l’aridification"
Pour l’heure, le département – en déficit chronique de pluies depuis plus de 2 ans – est en proie à un "processus d’aridification avec une sécheresse inédite par sa durée et sa sévérité". Près d’un quart (50) des 226 communes du département, représentant 7,3% de la population, sont aujourd’hui sous surveillance renforcée du fait d’un risque pour l’approvisionnement en eau potable. Et 12 d’entre elles, représentant 9.000 habitants, sont d’ores et déjà en rupture totale ou partielle d’approvisionnement.
Alors qu’elle représentait 83% des prélèvements en eau dans le département en 2021, l’agriculture est lourdement affectée par la sécheresse, avec des pertes de production pouvant atteindre, en 2022, de 30% (viticulture, arboriculture) à 50% (maraîchage). Et le ministère de la Transition écologique de relever que si partout en métropole, avec "l'hiver et le printemps très pluvieux qu'on a subi, les nappes sont plutôt rechargées", les Pyrénées orientales continuent de souffrir d’un sévère déficit hydrique.
"Pas le plan de l’État"…
Faire contre mauvaise fortune, bon cœur, tel est le leitmotiv du ministre, qui tient à préciser d’emblée que "ce plan, ce n’est pas celui de l’État, mais bien un projet fédérateur, une feuille de route commune mobilisant tous les acteurs". Il s’articule autour de cinq axes : répondre aux crises sécheresse, notamment en testant un "plan Orsec eau potable" ; connaître et planifier la ressource en eau ; agir sur les besoins ; agir sur les disponibilités de la ressource ; améliorer la gouvernance.
Si ce n’est pas le plan de l’État, les services de ce dernier sont néanmoins invités à donner l’exemple. Le ministère excipe ainsi d’une instruction ministérielle de novembre dernier, a priori non publiée, fixant un objectif de réduction des consommations de leurs bâtiments de 10% en 2024 et de 15% en 2027. Et d’ajouter : "On motivera les collectivités à s’inscrire dans une dynamique identique". Une démarche visiblement superfétatoire, lesdites collectivités locales n’ayant pas attendu l’exemple d’en haut pour s’engager dans cette voie (voir notre article du 12 avril 2023). Pour autant, le plan prévoit un "travail sectoriel sur les économies d’eau" qui concernera, parmi d’autres, les collectivités, afin de "sensibiliser et mobiliser tous les usagers" et de "développer des formations pour diffuser des savoir-faire innovants".
"Parce que finalement on ne gère bien que ce qu'on mesure bien", souligne le ministère, les Pyrénées-Orientales feront par ailleurs partie des 12 (10 initialement) territoires pilotes de l’expérimentation des compteurs avec télérelève prévue dans le plan Eau de l’an passé (voir notre article du 30 mars 2023). Une expérimentation toujours pas lancée à ce jour, mais dont la généralisation est d’ores et déjà prévue d’ici 2027.
… qui n’exclut pour autant pas l’intervention de ce dernier
Cette diffusion de la télérelève sera combinée avec la régularisation des forages illégaux et/ou non déclarés, y compris individuels, qui de l’avis du ministère restent nombreux sur le territoire. De manière générale, le plan n’entend pas donner que dans la sensibilisation. Il prévoit un renforcement du contrôle de légalité des SCoT/PLUi/permis d’aménager au regard de la disponibilité de la ressource. Il entend également bien finaliser le transfert de la compétence Alimentation en eau potable vers les Epci, avec "un calendrier de transfert d’ici 2026 travaillé avec les collectivités". Et de relever au passage que sur les 50 communes du département en tension, "58% correspondent à des communes isolées ou à de très petits syndicats intercommunaux d’adduction d’eau potable".
La résorption des fameux "points noirs" reste par ailleurs un objectif. 13 collectivités avec un taux de fuite supérieur à 50% avaient été identifiées dans le département en 2023, mais seuls 4 ont été traitées jusqu’ici. Pour les autres, le ministère indique qu’est attendue "la mise en place d’un plan de résorption et de correction qui soit crédible, sous des délais assez courts". De manière générale, le plan se donne un objectif de rendement de réseau de 85% – soit celui fixé par le "décret fuites" de 2012 issu de la loi Grenelle II (voir notre article du 30 janvier 2012).
Autres objectifs fixés, que toutes les communes disposent, au terme du plan ("horizon 2030") d’un schéma départemental d’alimentation en eau potable de moins de 10 ans et d’un plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (dernier objectif déjà fixé dans le plan Eau de 2023). Côté gouvernance, le plan prévoit encore, "d’ici 2027, sur tous les bassins des PO [Pyrénées-Orientales], [d’]accompagner la mise en place de commissions locales de l’eau et un projet de territoire organisant le partage de la ressource". Des objectifs là encore déjà fixés par le plan Eau de 2023 pour chaque sous-bassin versant.
On relèvera encore que le plan présenté ce 22 mai prévoit de même, à "horizon 2030" cette fois, une stratégie "définissant une trajectoire d’économies d’eau par usage, comprenant une stratégie territoriale d’adaptation de l’économie locale au changement climatique", sans préciser néanmoins qui tiendra la plume.
"Systématiser la REUT sur le littoral"
Dans la droite ligne du plan Eau national, le présent plan prévoit encore de "systématiser la REUT [réutilisation des eaux usées traitées] sur le littoral", notamment en soutenant trois projets portés par les communautés de communes d’Albères-Côte Vermeille-Illibéris d’une part et du Sud Roussillon d’autre part, ainsi que par la communauté urbaine de Perpignan. Avec quatre autres projets de création ou d’optimisation d’infrastructures d’adduction portés notamment par la ville de Perpignan, le syndicat mixte de l’Agly et le conseil départemental, ils bénéficieront de financements nouveaux de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, "de l’ordre de 10 millions d’euros", des Aqua prêts distribués par la Banque des Territoires et du fonds hydraulique agricole, prévu par le plan Eau de 2023, qui devait être doté de 30 millions d’euros par an dès 2024, mais qui ne dispose finalement que de 20 millions d’euros cette année. Ces 7 projets ont tous été sélectionnés par le préfet, conformément aux instructions de Christophe Béchu données en mars dernier (voir notre article du 21 mars 2024).
En outre, pour favoriser cette "REUT", un travail sera également conduit pour proposer "un cadre expérimental, dérogatoire au besoin, facilitant le déploiement des projets". D’autres études d’opportunité et de faisabilité de projets structurants, déjà évoqués en mars (voir notre article précité), sont également prévues.
Pour assurer la mise en œuvre de ce plan, le ministère précise qu’une "experte de haut niveau" sera directement attachée au préfet. En l’espèce, il s’agit de Christine Portero-Espert, en poste à l’agence régionale de santé et qui fut candidate Modem aux élections législatives de 2017 dans la circonscription alors emportée par Louis Alliot (FN). Elle-même sera en outre "appuyée temporairement, le temps du lancement, par un inspecteur général" (de l’environnement), Florent Tarisse.
Les mesures du "plan de résilience" ont été plutôt bien accueillies par les agriculteurs et les élus. "Clairement ce sont des annonces plutôt positives. Sur les projets de réutilisation (...) ça nous paraît évidemment une bonne idée", a réagi Bruno Vila, président de la FDSEA dans les Pyrénées-Orientales. Il réclame en revanche à l'Etat un plan d'aide pour les cultivateurs de la vallée de l'Agly, particulièrement affectée par le manque d'eau. Pour Agnès Langevine, vice-présidente (ex-EELV) de la région Occitanie, ces annonces "mobilisent collectivement, peut-être que nous n'avons pas su assez le faire dans ce département". "C'est une bonne base pour réussir cette transition de la gestion de l'eau, un bon départ", selon elle. L'élue régionale se félicite également de la participation de l'Etat au financement de l'étude sur la faisabilité de l'extension d'Aqua Domitia, un projet à plus long terme, qui consiste à puiser de l'eau dans le Rhône et à l'acheminer dans des canalisations, un ouvrage qui s'arrête aujourd'hui au nord de Narbonne, à 70 km au nord de Perpignan.