Duty free, ports francs : le Brexit relance la question de l'attractivité des ports français
Avec le départ du Royaume-Uni, les duty free font leur retour. Mais de ce côté-ci de la Manche, l'on redoute surtout l'instauration de ports francs par le gouvernement britannique. Des parlementaires plaident ainsi pour l'instauration de "zones portuaires d’intérêt stratégique", que le Sénat vient d'ailleurs peu ou prou d'adopter via une proposition de loi remettant une nouvelle fois sur le métier la question de la performance et de la gouvernance des ports maritimes français, à laquelle les collectivités seraient davantage associées.
"Le duty free est de retour", clame l’affiche qu’un célèbre transporteur maritime n’a pas tardé à placarder à l’attention de ses passagers traversant la Manche. Si l'accord commercial conclu le 24 décembre entre le Royaume-Uni et l'Union européenne ne prévoit pas de droits de douane, le Brexit n'en a pas moins relancé la course à la détaxe, non sans susciter la polémique (le duty free est autorisé dans les aéroports, ports, bateaux ou avions mais pas dans le tunnel sous la Manche).
La maire de Calais, Nathalie Bouchart, entend bien que sa ville y prenne part, plaidant auprès de l'AFP pour "un retour du duty free dans l'ensemble de la ville – comme en 1999, où il y avait la zone du port, mais aussi, sur l'ensemble de la ville, des lieux de vente (...) liés à ce duty free" –, ou à tout le moins dans le "cœur de ville". "Cela permettrait aux commerçants de bénéficier de la détaxe tout de suite, mais aussi de dynamiser, dans l'ensemble de ce périmètre, des lieux qui pourraient regrouper de nouvelles enseignes, pour apporter de l'attractivité commerciale supplémentaire", explique l'élue. "C'est une bonne piste […]. On y travaille pour que cela se fasse vite. C'est une demande légitime", a avoué Clément Beaune sur BFM Business, le 5 janvier, avertissant que "les Anglais ne vont pas nous faire de cadeau".
Bientôt jusqu'à dix ports francs au Royaume-Uni
De l'autre côté de la Manche, on voit plus effectivement plus grand, avec la création de "jusqu'à dix ports francs" à travers le Royaume-Uni, dont au minimum un dans chacune des quatre nations le composant. Des attributions supplémentaires pourraient même être accordées si les offres sont particulièrement fortes, a d'ores et déjà précisé le gouvernement britannique. Après avoir pris connaissance des 364 réponses (voir la synthèse) à la consultation qu'il a ouverte en ce sens courant 2020, "le 10" a officiellement lancé l'appel à projets en novembre dernier. Les candidats ont jusqu'au 5 février pour déposer leur dossier, les lauréats devant être désignés au printemps. En créant ces "plaques tournantes qui stimulent le commerce mondial, attirent les investissements étrangers et augmentent la productivité", Boris Johnson entend promouvoir "la régénération et la création d'emplois" et créer "des foyers d'innovation". Si le site douanier principal de ces zones devra être situé "dans ou à proximité d'un port" (l'ensemble devant être situé dans un périmètre de 45 km, des dérogations pouvant être examinées), le gouvernement est prêt à en autoriser à l'intérieur des terres, à condition qu'une relation entre le site et le port puisse être clairement démontrée. Des "sous-zones douanières" seront également possibles, permettant notamment à un port à espace limité de gérer plus efficacement le flux de marchandises internationales (les entreprises exportatrices pourront également demander le statut de sous-zone pour bénéficier du régime du port franc).
Plaidoyer pour la création de zones portuaires d’intérêt stratégique
Députée de Seine-Maritime et élue du Havre, Agnès Firmin Le Bodo entend que la France, qui "pourrait et devrait être une porte de l'Europe", cesse de s'en laisser conter, relevant "qu'en Europe, quasiment tous les pays possèdent des zones franches logistiques avec des avantages fiscaux. Seuls l’Albanie, la Suède, la France et la Belgique (plus pour très longtemps) n’en ont pas", souligne-t-elle.
Favorable à ces zones franches portuaires qui "permettent de librement décharger, manutentionner, transformer et réexpédier des marchandises alors que les marchandises ne sont frappées des droits de douane en vigueur qu'au moment où elles sont expédiées à des consommateurs", libérant ainsi les ports "de l'obligation d'appliquer de hauts tarifs et de complexes règlements douaniers afin notamment de favoriser l'accélération de la rotation des navires, grâce à la réduction des formalités de vérification douanière", l'élue plaide toutefois pour être encore plus offensif. Le 7 décembre dernier, avec Paul Christophe et plusieurs de leurs collègues du groupe Agir ensemble, elle a ainsi déposé une proposition de résolution invitant le gouvernement à créer les conditions de création de "zones portuaires d’intérêt stratégique" ou "zones de compétitivité de logistique portuaire" – "sur l’axe Seine d’abord, puis à Dunkerque et Marseille" – qui "pourraient bénéficier d’exonérations ou allègements fiscaux pour agir sur l’attractivité portuaire" et "encourager de nouvelles implantations en France via le plan de relance". Une proposition qu'elle a renouvelée sous la forme d'une question au gouvernement le 5 janvier dernier.
Nouvelle proposition de loi sur les ports maritimes adoptée au Sénat
Une proposition que l'élue pourrait voter très prochainement puisque le Sénat a adopté, le 8 décembre dernier, en première lecture, une proposition de loi – non soutenue par le gouvernement – "relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français" (voir notre article). L'article 7 bis prévoit l'institution, à compter du 1er juillet 2021 et jusqu’au 31 décembre 2026, de "zones de relance économique temporaires", dont les ports maritimes seraient concessionnaires et dans lesquelles un régime douanier et fiscal spécifique s'appliquerait (les entreprises qui créeraient des activités pendant cette période bénéficieraient d'une exonération portant sur l’impôt sur les sociétés). Une disposition ajoutée lors de l'examen du texte en commission. La proposition initiale déposée par les sénateurs Michel Vaspart, Hervé Maurey et plusieurs de leurs collègues (LR et Union centriste) prévoyait seulement la remise par le gouvernement au Parlement "d'un rapport sur les leviers permettant de dynamiser l’attractivité des zones industrialo-portuaires, présentant les avantages et les inconvénients de la création de zones franches douanières dans la circonscription des grands ports maritimes ou à proximité de celle-ci et présentant les éventuelles conséquences, pour le transport de marchandises à destination ou en provenance de la France, de la création de zones franches au Royaume-Uni". Signe que les élus sont peut-être las des rapports qui s'amoncellent, le rapporteur du texte, Didier Mandelli a rappelé qu'une mission avait déjà été confiée par le gouvernement au Conseil général de l’environnement et du développement durable et à l’Inspection générale des finances à ce sujet à l’issue du Comité interministériel de la mer de 2019 et que, "selon le gouvernement, les conclusions de la mission font toujours l’objet de discussions entre les ministères concernées, notamment de l’économie et des finances. Cela doit s’accélérer".
La stratégie nationale portuaire dévoilée au Havre avant la fin du mois
La stratégie nationale portuaire sera dévoilée lors d’un comité interministériel à la mer (Cimer) à la fin du mois par le Premier ministre, Jean Castex, au Havre, dans les terres de son prédécesseur, Édouard Philippe. Il y sera fortement question d'Haropa, le grand projet de regroupement des ports de Paris, Rouen et Le Havre pour constituer, à compter du 1er juin 2021, "le premier port de France pour le commerce extérieur", comme l’ont souligné le 4 janvier la ministre de la Mer, Annick Girardin, et le ministre chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari, lors d’un déplacement à Rouen, en présence des élus de l’axe Seine. L’objectif : regagner des parts de marchés dans la concurrence féroce que se livrent les ports européens, au premier rang desquels Anvers, Rotterdam et Hambourg, dans le commerce avec la Chine. Le projet "permettra de peser davantage dans la compétition européenne et d’offrir un lieu privilégié pour de nouvelles implantations industrielles", se félicite la métropole du Grand Paris, dans un communiqué, ce mercredi 13 janvier. Celle-ci sera présente dans le conseil de surveillance du nouvel établissement public, au côté des deux autres métropoles du Havre et de Rouen, des deux régions Normandie et Île-de-France, de l’État et de personnalités qualifiées. Le projet "sera soutenu par un programme d’investissement ambitieux" qui sera dévoilé lors du Cimer, précise le communiqué des deux ministres, sans donner plus de détails.
M.T.