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Politique de la ville - Droit commun à tous les étages ?

Mobiliser le droit commun pour les quartiers est un voeu pieux au moins aussi vieux que la politique de la ville elle-même. Serait-il enfin en train de devenir une réalité ? Une circulaire de Jean-Marc Ayrault à ses ministres leur demande de le mettre en oeuvre au niveau national. Au niveau territorial, la concertation sur la géographie prioritaire menée par François Lamy va également dans ce sens et les élus locaux applaudissent.

Jean-Marc Ayrault a demandé aux ministres concernés par la politique de la ville d'élaborer chacun une "convention d'objectifs pour les quartiers populaires", pour la période 2013-2015, avec leur collègue à la Ville, François Lamy. "Il s'agit, à travers cet exercice, de créer les conditions d'une mobilisation effective des politiques de droit commun au bénéfice des quartiers prioritaires de la politique de la ville".
Le temps presse car le document doit être signé "avant la tenue du comité interministériel des villes que je réunirai au premier trimestre 2013", précise le Premier ministre (aux dernières nouvelles, le CIV devrait se tenir fin février).

Une circulaire attendue depuis plus de trois mois

La circulaire, datée du 30 novembre, n'est pas une surprise. Elle est attendue depuis le 22 août, date à laquelle François Lamy a présenté en Conseil des ministres "la feuille de route du gouvernement pour les habitants des quartiers" et annoncé que des conventions seraient passées "avant la fin de l'année" entre le ministère de la Ville et les ministères concernés.
Il avait énuméré des ministères : "Emploi, Education, Sécurité, Santé, Jeunesse, etc." (lors de son audition, mardi 4 décembre, devant les députés de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, il y a ajouté l'Intérieur, le Logement, la Justice, la Culture).
Depuis sa prise de fonction, le ministre de la Ville a également réfléchi aux actions mobilisant les moyens de droit commun : les emplois d'avenir, l'obligation d'avoir une présence de Pôle emploi dans chaque quartier, un volet "création d'entreprises dans les quartiers" dans la Banque publique d'investissement, des créations de postes dans l'Education nationale, la scolarisation des enfants de moins de trois ans en maternelle…

Des conventions sur trois ans

Tout cela sera désormais couché sur papier. Les conventions préciseront les engagements de chacun, pour trois ans (2013-2015), selon une architecture prédéfinie figurant en annexe de la circulaire. Entre l'introduction rappelant les enjeux et les éléments de diagnostic partagé, et la troisième partie sur le pilotage, le corps de la convention se répartira en effet en quatre champs d'engagements : objectifs opérationnels, moyens mobilisés des ministères et de leurs opérateurs (sont cités : Pôle emploi, l'Anah, les agences régionales de santé, le Centre national pour le développement du sport, etc. ), adaptation des modes d'intervention des ministères aux spécificités des quartiers, méthode de travail (entre le ministère de la Ville et les ministères sectoriels, mais aussi au niveau de "l'interministériel local" où il est envisagé "la désignation, le cas échéant, de référents 'politique de la ville' dans les services déconcentrés").
"Il sera notamment tenu compte des enjeux transversaux dans les champs de la jeunesse, du droit des femmes et, plus généralement, de la lutte contre toutes les formes de discrimination", précise également la circulaire.
La circulaire donne quelques précisions territoriales. Les sites bénéficiant depuis 2011 d'avenants expérimentaux aux Cucs (contrats urbains de cohésion sociale) pour la mobilisation du droit commun "constitueront un terrain d'observation privilégié de ces engagements, permettant le cas échéant de réajuster le dispositif". Et ce n'est qu'en 2014 que "les engagements seront déclinés dans le cadre du futur contrat urbain global, dont les objectifs et les modalités d'élaboration seront précisés par le comité interministériel des villes".

Quid des Cucs ?

Des précisions très attendues par les élus urbains. Tout en assurant de leur "soutien global", les représentants de trois associations d'élus ont tenu conférence de presse, mercredi 5 décembre, histoire de mettre un peu de pression dans la concertation qui doit déboucher sur des mesures législatives. Lesquelles "mesures" seront inscrites "soit dans la loi Duflot sur le logement, soit dans une loi sur l'égalité des territoires", avait annoncé la veille François Lamy, devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
"Où en est-on dans l'évaluation des Cucs expérimentaux ?" "Quel sort pour les territoires qui ne seront pas retenus dans la géographie prioritaire ?" "La réforme des zonages va-t-elle modifier les dotations de péréquation ?" "Quelle articulation entre la péréquation verticale et la péréquation horizontale ?" Voici, résumées par Michel Destot, le président de l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF), les inquiétudes partagées avec ses collègues Pierre Cohen, président du Grand Toulouse et représentant de l'Association des communautés urbaines de France et Renaud Gauquelin, président de Ville & Banlieue, maire de Rillieux-la-Pape, commune située dans la communauté urbaine de Lyon.

Renforcer la péréquation au sein des intercommunalités

Si la géographie prioritaire "emboîtée" qui se profile (contractualisation à l'échelle intercommunale, maîtrise d'œuvre communale et "territoires cibles", voir notre article ci-contre du 22 novembre) leur conviendrait, ils insistent pour que les maires soient également signataires - en plus de l'Etat et du président de l'intercommunalité - du "contrat unique". "Nous sommes convaincus que les réponses se situent au niveau de l'agglomération", a déclaré Pierre Cohen, "mais comme pour les ministères au sein du gouvernement, la mobilisation du droit commun repose sur les épaules de tous les maires constituant une agglomération".
Ceci ne vaut pas pour l'Ile-de-France qui "nécessite des moyens et des soutiens particuliers car l'intercommunalité ne peut pas y jouer le rôle d'équilibre et de réponse que l'on peut trouver dans nos agglomérations", poursuit le président du Grand Toulouse. Car l'intercommunalité serait également, pour les trois élus, le lieu où il faudrait renforcer la péréquation.
Ils proposent d'ailleurs que les dotations d'Etat réalisées au nom de la péréquation verticale et horizontale soient calculées en fonction de la "solidarité" exercée à l'intérieur d'une intercommunalité (mesurée au travers de la dotation de solidarité communale). "Il ne peut pas y avoir de double peine : si une agglo joue la solidarité entre ses communes membres, il faut le prendre en compte dans les dotations de l'Etat", résume Pierre Cohen. Mais pour les quartiers pauvres dans des villes pauvres, dans des agglomérations pauvres, c'est "bien entendu la solidarité nationale qui doit jouer", complète Renaud Gauquelin.

Deux projets de loi en chevauchement

Les départements et les régions ne sont pas écartés. Ils sont également invités à participer. Pour Michel Destot, il faudrait inscrire "dans le marbre de la prochaine loi de décentralisation" le principe du droit commun en matière de politique de la ville. Il faudrait également intégrer un volet cohésion sociale dans le schéma régional d'orientation stratégique (Sros), avec une contractualisation "non plus sur le modèle des CPER, en tête à tête entre le préfet et le président de région", mais qui intègre les collectivités infrarégionales.
De quoi alimenter, en effet, le projet de loi sur la décentralisation qui serait présenté mi-février en Conseil des ministres. Soit juste avant le CIV qui lui-même doit poser les bases du projet de loi sur les quartiers. Au risque du chevauchement.