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Réforme territoriale - Deuxième lecture du projet de loi Notr : le texte voté au Sénat permettra-t-il un compromis ?

Le Sénat a adopté ce 2 juin en deuxième lecture, par 191 voix contre 35 (119 abstentions) sa nouvelle version du projet de loi Notr sur les compétences des collectivités. Marylise Lebranchu espère encore qu'un accord entre Sénat et Assemblée sera possible, même si cela risque d'être "difficile". Retour, point par point, sur les principaux amendements adoptés lors de cette lecture. S'il s'est parfois simplement agi de supprimer des dispositions votées à l'Assemblée, les sénateurs ont aussi introduit nombre de nouveaux ajustements.

Le Sénat a adopté, ce mardi 2 juin dans l'après-midi, sa version du projet de loi Notr sur la répartition des compétences entre collectivités, projet de loi qu'il examinait en deuxième lecture depuis le 26 mai. Le texte tel que modifié par les sénateurs sur la base du travail de la commission des lois et de ses deux rapporteurs, René Vandierendonck (PS) et Jean-Jacques Hyest (Les Républicains), a essentiellement recueilli les voix de droite. On retrouve donc à peu près le scénario qui s'était mis en place à l'issue de la première lecture : à quelques exceptions près, le groupe Les Républicains a voté pour le texte amendé, de même que les centristes et le groupe RDSE. Le groupe communiste est le seul à avoir voté contre, tandis que les socialistes (à part René Vandierendonck…) et les écologistes se sont abstenus. Au final, 191 voix pour, 35 voix contre, 119 abstentions.
Les explications de vote ont bien résumé les positions des uns et des autres. Pour Dominique Deleggue (Les Républicains), voter pour la nouvelle mouture du projet de loi, c'était voter pour un texte de "consensus" reflétant les vœux des territoires. C'était, aussi, continuer de s'opposer à des dispositions jugées inopportunes telles que le seuil de 20.000 habitants pour l'intercommunalité, le transfert de la compétence eau et assainissement, le Haut conseil des territoires. Et Dominique Deleggue de qualifier la version précédemment adoptée par l'Assemblée de "chimère d'une organisation territoriale improbable", de "scénario du pire"… Entre ces deux versions, "maintenant, la balle est dans votre camp", a-t-il lancé à la ministre Marylise Lebranchu.
Si le PS s'est cette fois-ci encore abstenu, c'est pour signifier son désaccord sur certains reculs imprimés par la majorité sénatoriale, notamment lorsque celle-ci a préféré "le statu quo" concernant le seuil démographique pour l'intercommunalité. Les sénateurs PS craignent en effet que le fait de s'être arcboutés sur des points comme celui-là risque de remettre en cause la possibilité d'un compromis en commission mixte paritaire (CMP). S'agissant de ce seuil, ils avaient pour leur part proposé un seuil à 15.000 habitants assorti des dérogations votées à l'Assemblée.
Sur d'autres points toutefois, "le Sénat a pleinement joué son rôle, dans un état d'esprit constructif, celui d'une coproduction législative", a jugé Philippe Kaltenbach. Celui-ci espère que l'Assemblée saura elle aussi évoluer, notamment sur la question du suffrage universel intercommunal (que les sénateurs PS excluent), celle du Haut conseil des territoires (là non plus, pas question) et celle des minorités de blocage dans le cadre des PLU. Il espère, aussi, que l'Assemblée n'aura pas le dernier mot. Ce qui signifie, a insisté le sénateur PS des Hauts-de-Seine, de tout mettre en œuvre pour "faire réussir la CMP".
Ronan Dantec, au nom des écologistes, a été plus sévère sur le travail du Sénat, considérant que celui-ci "a détricoté des aspects fondamentaux du projet de loi". "Il y aurait beaucoup de raisons de voter contre le texte du Sénat, mais nous ne le ferons pas et choisirons l'abstention", a-t-il conclu.
Quant au groupe CRC, qui s'était abstenu lors de la première lecture, voter contre a été une façon de s'opposer à "la disparition des communes", à de "nouvelles tutelles régionales et métropolitaines", à des "supracommunalités à travers lesquelles ce sont aussi les départements qui sont visés", a expliqué Christian Favier.
Invitée à clore ces explications de vote, Marylise Lebranchu a insisté sur l'objectif d'un accord en CMP. "Nous avons encore une chance de trouver un accord", a-t-elle estimé, même si ce sera "plus difficile que prévu". "Nous avons une semaine pour créer les conditions d'une convergence" entre Sénat et Assemblée, a-t-elle ajouté, après avoir évoqué tous les sujets de tension : les compétences de la région en matière d'économie et d'aménagement du territoire, le volet intercommunal (avec un seuil à 5.000 habitants et des pouvoirs réduits pour le préfet, "nous revenons à avant la loi de 2010", a-t-elle regretté), la métropole du Grand Paris, "les transports au sens large" (dont les transports scolaires et les ports), la compétence tourisme… Cela fait effectivement beaucoup. Le texte devrait être réexaminé par l'Assemblée à la mi-juillet.
Au total, 741 amendements ont été examinés et 141 ont été adoptés lors de cette deuxième lecture, qui a pour une bonne part consisté à revenir au texte adopté au Sénat en première lecture... mais pas seulement, de nombreux autres ajustements étant intervenus. Retour, point par point, sur les principales modifications apportées.
C.M.

Renforcement des responsabilités régionales

- S'agissant du pouvoir d'adaptation législative ou réglementaire accordé aux régions, il est précisé que "le Premier ministre devra notifier sa réponse dans un délai de six mois." L'objectif est de rendre "plus opérationnelle" la faculté donnée aux régions (article 1er, amendements identiques 487 et 547).
- Comme en première lecture, la région est dotée de la compétence de coordonner, sur son territoire, les actions des intervenants du service public de l'emploi. Le Sénat a complété le texte en prévoyant que les régions auront deux représentants au conseil d'administration de Pôle emploi (article 3 bis, amendement 790).
- Les régions pourront financer à partir de 2017 les actions d'accompagnement à la création et à la reprise d'entreprises des demandeurs d'emploi (dispositif "Nacre"). L'Etat versera aux régions les sommes qu'il allouait lui-même, en 2015, à ces actions sur leur territoire (amendement COM-533 rect. du gouvernement).
- Les conseils régionaux sont incités - sans être contraints - à consulter les conseils départementaux pour l'élaboration du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (amendement 166 quinquies). Concernant le volet de ce schéma touchant à l'économie sociale et solidaire, les régions devront consulter obligatoirement les conseils départementaux (article 2, amendements identiques 384 et 456).
- Les régions pourront déléguer aux départements la politique de soutien aux entreprises dans les "zones rurales et hyper-rurales". A cet effet, les départements pourront créer une agence départementale chargée d'apporter une assistance technique et financière aux communes et communautés de communes (article 2, amendement 167 quater).
- Les départements peuvent maintenir jusqu'au 31 décembre 2016 les financements aux organismes qu'ils ont créés (agences de développement économique) ou auxquels ils participent pour concourir au développement économique. "Pendant cette période transitoire, la région organise un débat sur l'évolution de ces organismes avec les conseils départementaux concernés, les communes et les établissements publics intercommunaux qui y participent, dans la perspective d'achever la réorganisation de ces organismes" (amendement du gouvernement 650).
- La responsabilité de chef de file en matière de tourisme accordée à la région est supprimée. Ainsi, cette compétence doit conserver un caractère strictement partagé (article 4, amendements COM 554, 303, 22, 396).
- La procédure d'élaboration du plan régional de prévention et de gestion des déchets est simplifiée. L'avis favorable de la moitié au moins des communes ou de leurs groupements chargés du traitement des déchets et représentants au moins la moitié de la population régionale n'est plus requis (article 5, amendement du gouvernement COM 516). Le plan sera soumis pour avis aux conseils généraux (article 5, amendement 275).
- La liste des organismes et collectivités associés à l'élaboration du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires est modifiée. Le but est d'alléger la procédure. Le schéma devra prévoir les conditions de participation des départements aux dessertes aériennes réalisées dans l'intérêt de l'aménagement du territoire (amendement 783).
- Les procédures d'élaboration, de révision et de modification du schéma directeur de la région Ile-de-France seront calquées sur les procédures proposées par le projet de loi pour les futurs SRADDT (article 6 bis AAA, amendement 169 et sous-amendement 791 du gouvernement).
- L'article 6 bis A introduit par le Sénat en première lecture est rétabli. Ainsi, des chartes régionales d'aménagement préciseront les modalités d'application, au sein de chaque région, des dispositions de la loi du 3 janvier 1986, dite "loi Littoral" (amendement 784).
- Feu vert est donné au transfert aux régions des voies ferrées exploitées par les départements pour le transport de personnes (amendement 677 du gouvernement) .
- La possibilité décidée par les députés d'un transfert de la propriété des 4.200 kilomètres de lignes capillaires fret (lignes de transport de marchandises) aux régions et aux intercommunalités (COM 682) est supprimée.
- Le transfert des transports scolaires aux régions est supprimé. La compétence continue à relever du département (notamment amendement COM 579).
- La notion de transports urbains (qu'il faut distinguer de celle de transports non urbains) est définie (amendement n°745 rect. bis du gouvernement (article 8 ter).
- Le transfert de l'Etat à la région de l'approbation de la carte des formations supérieures est rétabli. Les sénateurs ont prévu l'articulation entre le schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et les schémas d'enseignement supérieur des autres collectivités territoriales (article 12 bis A, amendement COM-587 et en séance amendement 801 sous amendé par le gouvernement - n° 802 - et amendement 803).
- Le schéma régional des crématoriums (amendement COM-408) est rétabli.
- Le projet de collectivité territoriale unique en Corse fait l'objet de quelques ajustements par rapport au texte voté par l'Assemblée nationale, notamment sur le mode de scrutin (amendement 682 du gouvernement).
- Les dispositions fixant dans les règlements intérieurs des conseils régionaux les droits des groupes d'élus ont été étendues aux conseils départementaux (amendements COM-426 et COM-64).

Renforcement des intercommunalités

- Le seuil de 5.000 habitants pour la création d'un EPCI à fiscalité propre ainsi que l'exemption dont bénéficient les intercommunalités de montagne sont maintenus (article 14, amendement COM 592).
- L'allègement de la condition de majorité requise pour l'intégration des modifications proposées par la commission départementale de la coopération intercommunale au projet de schéma départemental de coopération intercommunale est supprimé (amendement COM 593).
- Le report d'un an du terme de la procédure de révision des schémas départementaux de coopération intercommunale est rétabli.
- Les communautés de communes sont autorisées à financer ou à participer au financement de bâtiments nécessaires au service public intéressant l'ensemble de leurs communes membres, par exemple une gendarmerie (amendement 370 bis et 371 bis).
- La compétence "promotion du tourisme" est substituée à celle de l'"eau" dans le champ des compétences nécessaire aux communautés de communes pour être éligible à une bonification de la DGF (amendement 372).
- Une disposition, qui tendait à réduire la faculté pour des communes de s'opposer à un projet de fusion des communautés dont elles font partie, est supprimée (article 17 bis, amendement COM-607)
- L'élargissement des compétences obligatoires des communautés de communes et d'agglomération au tourisme, à l'eau et à l'assainissement est supprimé (les compétences sont transférées au sein des compétences optionnelles).
- Les déchets ménagers sont maintenus au sein des compétences obligatoires.
- L'intérêt communautaire est maintenu comme principe fondateur du transfert des compétences obligatoires des communautés de communes (article 18, amendement COM 613). La majorité qualifiée en vigueur pour décider de l'intérêt communautaire est également maintenue (article 22 quater, amendements COM-633, COM-145 et COM 355).
- La dérogation proposée par l'Assemblée nationale aux conditions démographiques de création d'une communauté d'agglomération est rétablie en séance. Le seuil de 15.000 habitants exigé de la commune-centre ne s'appliquerait pas lorsque celle-ci serait le centre d'une unité urbaine de plus de 15 000 habitants. (amendement 66).
- Une disposition du code général des collectivités territoriales prévoyant que des communautés urbaines ne peuvent légalement être créées dans les départements de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de La Réunion est supprimée (amendement 813).
- Les dispositions qui prévoyaient pour l'ensemble des EPCI à fiscalité propre le principe de la fixation par la loi avant le 1er janvier 2017 de modalités particulières pour l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires sont supprimées (amendements COM-639, COM-146, COM-490, COM-421, COM-57).
- Une commune, membre d'une communauté de communes ou d'une communauté d'agglomération, pourra gérer un service commun (amendement 421).
- Les dispositions qui visaient à faciliter le transfert de l'élaboration des plans locaux d'urbanisme aux EPCI à fiscalité propre sont supprimées. Les sénateurs se sont montré attaché à "la minorité de blocage" établie par la loi Alur de 2014 (amendement COM-599, COM-144 et COM-489).

Divers

- Le Haut Conseil des territoires, instance de dialogue entre les collectivités territoriales et le gouvernement est supprimé.
- La création de la métropole du Grand Paris est reportée d'un an (du 1er janvier 2016 au 1er janvier 2017).
- Pour toutes les collectivités territoriales qui le souhaiteraient, la possibilité est ouverte d'expérimenter la certification des comptes. Le texte initial réservait cette possibilité aux collectivités dont les produits de fonctionnement excédaient 200 millions d'euros en 2014 (article 32, amendement 719 du gouvernement).
- Les régions bénéficieront de ressources fiscales en compensation des transferts de compétences programmés par le projet de loi (amendement 712 du gouvernement).
- Toutes les régions percevront le remboursement de la TVA un an après la réalisation des dépenses d'investissement. Sans cette mesure, la région Alsace, Champagne-Ardenne, Lorraine aurait été pénalisée par rapport aux autres régions (elle aurait perçu le remboursement de la TVA deux ans après la réalisation des dépenses d'investissement).
- S'agissant de la fusion des régions, le président du conseil régional de l'ancienne région sur le territoire de laquelle est situé le chef-lieu provisoire de la région issue d'un regroupement, convoquera les conseillers régionaux pour la réunion d'installation de la nouvelle assemblée prévue le 4 janvier 2016 (amendement 776).