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Décentralisation - Des propositions décapantes pour éviter une "bronca généralisée"

L'Institut de la décentralisation lance ses propositions en faveur d'une redistribution des pouvoirs dont le niveau régional serait le principal bénéficiaire. Cela ne plaira pas à tout le monde.

Dans le registre des propositions audacieuses, l'Institut de la décentralisation est un multirécidiviste : ce lieu de réflexion coprésidé par Adrien Zeller et Jean-Pierre Balligand s'attache depuis longtemps à faire valoir une vision forte de la décentralisation, à travers des pistes de réforme qui vont bien au-delà de ce que l'on a finalement connu avec le timide "acte II". "Un acte III qui ressemblerait à un acte II serait la pire des solutions", résume même l'institut. On connaît son analyse, notamment, en faveur des régions et contre la clause générale de compétence.
Avec l'approche des grandes échéances électorales, l'Institut de la décentralisation prend l'offensive, présentant ce 6 décembre une série de préconisations concrètes. Ces préconisations sous le bras, Adrien Zeller et Jean-Pierre Balligand s'apprêtent à rencontrer un à un les représentants des formations politiques et groupes parlementaires ainsi que les principaux candidats à la présidentielle.
Pour Jean-Pierre Balligand, député-maire de Vervins, il y a urgence à agir : tout "statu quo" en matière de répartition des compétences déboucherait sur une "bronca généralisée" face à des impôts locaux mal acceptés et, plus globalement, sur une remise en cause de l'action publique locale. Adrien Zeller, président du conseil régional d'Alsace, est sur la même longueur d'ondes : "Nos propositions sont là pour déranger, pour faire débat. Il faut absolument se poser la question de la redistribution des pouvoirs. Je sais que certains parlent de la nécessité d'une pause de la décentralisation. Mais ce terme de pause est ambigu car c'est aussi la tentation de l'immobilisme."

"Un Bundesrat à la française"

Le premier axe de propositions concerne le cumul des mandats, avec une idée simple : supprimer toute possibilité de cumul entre un mandat parlementaire et un mandat exécutif local pour les députés mais la maintenir pour les sénateurs. "Il est compréhensible et sain que les sénateurs puissent exercer une responsabilité locale, cela va dans le sens de la spécialisation des deux chambres", explique Adrien Zeller.
Cette idée de "spécialisation" du Sénat constitue d'ailleurs le deuxième axe du modèle proposé par l'Institut de la décentralisation. L'objectif serait de faire du Sénat "un Bundesrat à la française" ou, selon les termes d'Adrien Zeller, "un grand conseil des territoires". "Il ne s'agit pas d'affaiblir le Sénat, bien au contraire. Mais aujourd'hui, le Sénat ne représente qu'une certaine France et ne permet pas suffisamment de faire parler les régions, les grandes agglomérations", estime Jean-Pierre Balligand. D'où la nécessité de bouleverser à la fois la composition et le mode de scrutin de la Haute assemblée. Dans le schéma présenté, le Sénat serait composé pour moitié de membres de droit, qui ne seraient autres que les présidents des régions, des départements et des grandes intercommunalités urbaines. Quant aux membres élus, ils le seraient toujours au scrutin indirect, mais sur la base d'une circonscription régionale et non plus départementale.

Des régions autorités organisatrices

Une série d'autres propositions plaident clairement en faveur du niveau régional, à l'heure où les régions françaises seraient toujours "les plus faibles d'Europe" : doter les régions d'un vrai pouvoir normatif et d'un pouvoir "législatif d'application" (ce qui exigerait une modification constitutionnelle), instituer une conférence permanente Etat-régions, distinguer les fonctions de président de l'assemblée délibérante de la région et celles de responsable de l'exécutif régional et "organiser l'effacement du département dans les zones fortement agglomérées" avec transfert de compétences soit à la région soit à l'intercommunalité.
Enfin, alors qu'aujourd'hui, les décideurs régionaux ne cessent d'être confrontés à une "pluralité excessive des acteurs", l'Institut de la décentralisation souhaiterait que "dans un certain nombre de domaines clefs, les régions puissent être désignées comme autorités organisatrices" (formation, développement économique, innovation, aménagement du territoire, etc.).
Dans le même esprit, le recueil présenté ce 6 décembre revient largement sur la nécessité de "spécialiser et hiérarchiser" les niveaux de collectivités. Ou comment "en finir avec l'article 72 de la Constitution" selon lequel "aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre".

Pour un impôt territorial sur le revenu

"La clause générale de compétence, qui a été établie par la jurisprudence, fait qu'on a parfois quatre niveaux de collectivités intervenant sur un même dossier, d'où une complexité sans nom. Il faut accepter une spécialisation des compétences par niveau. Cette spécialisation sera notamment source d'économies en termes de prélèvements fiscaux", insiste Jean-Pierre Balligand.
Une autre série de propositions concerne inévitablement l'intercommunalité. Là encore, il s'agirait de découpler l'exécutif du délibératif des EPCI. S'agissant du mode de désignation, l'institut opte pour un système mixte d'élus au second degré et d'élus au suffrage universel, seul le président de l'intercommunalité étant élu au suffrage universel direct.
Enfin, la question financière et fiscale occupe évidemment une place de choix dans l'analyse de l'institut : la création d'un impôt territorial sur le revenu à taux proportionnel. Son assiette, est-il précisé, serait "plus proche de celle de la CSG que de celle de l'impôt sur le revenu des personnes physiques" et les élus locaux disposeraient d'une certaine marge de manoeuvre pour en déterminer le taux. Les autres pistes financières concernent aussi bien la redistribution d'une part de l'impôt national aux collectivités (notamment une part de TVA aux régions) que la péréquation (un fonds national qui serait entre autres alimenté par un "fort écrêtement sur la taxe professionnelle"). Ce volet semble finalement le plus consensuel. Tout au moins rejoint-il les suggestions que bon nombre d'élus et spécialistes formulent actuellement. Les propositions de réformes institutionnelles vont en revanche certainement susciter pas mal de grincements de dents.

 

Claire Mallet

 

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