Inégalités territoriales - Depuis la crise, le décrochage des plus pauvres se confirme
La crise creuse les inégalités : après les riches de plus en plus riches, les pauvres de plus en plus pauvres. C'est ce que montre une étude du Compas (bureau d'étude spécialiste des données sociales locales) sur les revenus et inégalités et le premier bilan de l'impact de la crise pour les communes. "Alors que, jusqu'au milieu des années 2000, on constatait une extension des inégalités par le haut, avec une augmentation du revenu des plus riches, il y a maintenant un décrochage par le bas, les plus pauvres s'appauvrissant", commente Louis Maurin, consultant au Compas et directeur de l'Observatoire des inégalités.
Cette étude s'appuie sur les premières données de l'Insee sur les revenus des communes pour 2011, hors impôts et prestations sociales. Elle porte sur les 150 plus grandes villes de France. D'après ce document, "la crise creuse les inégalités mais les moyennes nationales masquent des écarts encore plus importants au niveau local". Ainsi, à Rennes par exemple, les revenus des plus riches ont augmenté de 5,5% (soit environ 1.470 euros en plus par an) entre 2008 et 2011 alors que ceux des plus pauvres ont diminué de 11,8% (soit 656 euros en moins).
Dans dix communes de France, la baisse de revenu des 10% les plus pauvres a été supérieure à 25% entre 2008 et 2011. Roubaix, Béziers, Charleville-Mézières ou Perpignan sont parmi les plus touchées. "Des baisses de revenus supérieures à 10%, c'est l'équivalent de 1.000 euros par an, ce qui est considérable", précise Louis Maurin. Et même si ces chiffres ne prennent pas en compte les prestations sociales que peuvent recevoir les plus modestes, "le décrochage des plus pauvres est manifeste", signale ainsi l'étude.
A l'inverse, certaines villes comme Annecy, mais aussi Nanterre, Ajaccio et Lille ont vu le revenu des plus riches augmenter. "Les couches aisées n'y sont pas forcément au niveau le plus élevé, mais la dynamique est la plus forte", explique l'étude. Et des villes de banlieue telles que Fontenay-sous-Bois, Colombes, Alfortville ou Meudon sont aussi dans ce cas. Dans ces communes, la croissance du revenu des 10% les plus riches est de l'ordre de 7 à 8% entre 2008 et 2011. En termes de revenus, cela correspond à une augmentation de 2.000 à 3.000 euros annuels. Des montants qui atteignent même 4.100 euros à Annecy et Suresnes, 4.500 euros à Boulogne-Billancourt et 7.200 euros à Neuilly-sur-Seine !
"La crise accroît les inégalités quasiment partout"
Mulhouse, Colmar et Carcassonne sont les trois villes où les inégalités ont le plus augmenté, si on utilise l'indice dit de Gini (1) qui synthétise l'information sur les inégalités pour l'ensemble de l'échelle des revenus. "Mais la crise accroît les inégalités quasiment partout, qu'il s'agisse de villes pauvres comme Mulhouse ou d'autres beaucoup plus aisées comme Clamart."
Difficile pourtant de dégager une logique dans cette évolution. "Il y a des villes très différentes comme Aubagne, Pessac ou Salon-de-Provence, qui voient les revenus des plus riches augmenter", détaille Louis Maurin qui estime toutefois que "dans les villes du sud et de l'ouest, on constate la plus forte progression du revenu médian, alors qu'à l'inverse, dans les villes qu'on sait en difficulté, comme dans l'est et le nord, le revenu des pauvres progresse".
Ces évolutions s'expliqueraient par la forte progression du chômage depuis 2008 mais aussi par d'autres facteurs comme l'évolution de la monoparentalité, des séparations, et de la part de jeunes vivant seuls. Les flux migratoires de population peuvent aussi expliquer les évolutions de revenus dans les communes, mais de manière plus modeste, car sur trois ans, "il n'y a pas de grands bouleversements", explique Louis Maurin. Pour le consultant, les politiques de redistribution ne suffisent pas. "La péréquation c'est bien, mais en termes de masse, ce n'est pas là que se fait l'essentiel de la solidarité, c'est plutôt au niveau des montants des prestations sociales." Pour autant, Louis Maurin estime que ces politiques sont nécessaires, ne serait-ce qu'en termes de symbolique. "Les communes finiront aussi par comprendre qu'elles n'ont pas intérêt à voir l'appauvrissement s'accentuer sur leur territoire puisqu'un jour cela risque d'arriver chez elle", assure le consultant.
En revanche, Louis Maurin met en garde contre les orientations des politiques concernant les dépenses publiques. "Si on met en place une politique de baisse de la dépense publique en s'attaquant aux prestations sociales, cela va être désastreux dans certaines communes comme Béziers ou Roubaix. Une partie de la population va être à la rue ou marginalisée, il faut bien le mesurer ! Or, la moyenne nationale ne raconte pas cela !"
Dans une précédente analyse, diffusée le 21 juin 2013 dans le cadre du lancement du comparateur des territoires (voir encadré ci-dessous) par l'Observatoire des inégalités, le Compas et la Gazette des communes, Louis Maurin arrivait à la même conclusion estimant que la redistribution des recettes entre communes restait symbolique, mais que la diminution des dépenses publiques risquait de toucher de plein fouet les plus pauvres...
Emilie Zapalski
(1) L'indice de Gini mesure l'écart entre l'égalité parfaite des revenus et la situation actuelle des villes.
Un comparateur des villes en matière d'inégalités et de revenus
L'Observatoire des inégalités, le Compas et la Gazette des communes, ont lancé le 21 juin 2013 une nouvelle application sur internet : le comparateur des territoires (
www.comparateur-territoires.fr). L'application permet à chacun de disposer des données sur les revenus et les inégalités pour sa commune.
D'après ce comparateur, Neuilly-sur-Seine, en banlieue ouest de Paris, est de loin la ville la plus inégalitaire de France. L'indice dit de "Gini" y atteint 0,53 contre une moyenne de 0,38 pour la France, d'après les données 2010.
Parmi les 50 villes les plus égalitaires, on compte deux villes de plus de 30.000 habitants : Montigny-le-Bretonneux, en banlieue parisienne, avec un indice de Gini de 0,28, et Rezé, près de Nantes, qui affiche 0,29.
La ville la plus égalitaire est Plouzané (0,26 d'indice de Gini), une commune de 11.000 habitants de la banlieue brestoise. "A l'inverse, on compte peu de villes de petite taille parmi les plus inégalitaires", souligne l'étude. Une différence qui tient notamment au fait que les grandes communes concentrent les logements sociaux et le parc locatif privé dégradé, "là où peuvent se loger les plus pauvres".
L'étude met en avant quatre catégories de villes. Les deux premières sont constituées de communes où les inégalités sont fortes, soit parce que le niveau de vie et les inégalités sont élevé - comme Neuilly-sur-Seine, Le Vésinet, Saint-Cloud où les riches sont plus riches qu'ailleurs mais où les pauvres n'ont pas tous été contraints de partir -, soit parce que le niveau de vie est réduit mais les écarts sont importants, comme à Roubaix, Perpignan, Maubeuge, qui doivent faire face à de graves difficultés économiques et accueillent une population démunie importante.
Les deux autres catégories correspondent à des villes où les disparités de revenus sont plus faibles, avec une population aisée mais moins d'inégalités que la moyenne (Voisins-le-Bretonneux) ou des niveaux de vie et des inégalités moindres du fait d'une faible proportion d'habitants aisés et de très pauvres (Grand-Quevilly près de Rouen, Gerzat en banlieue de Clermont-Ferrand ou Trélazé à l'est d'Angers).
E.Z.
Où gagne-t-on le plus en France ?
A profession similaire, la rémunération diffère en fonction des régions. Selon une étude réalisée par l'agence Histoire d'adresses pour Le Journal des entreprises et diffusée le 4 juillet 2013, le salaire brut moyen s'établit ainsi à 33.003 euros en France, mais en Ile-de-France, le salaire moyen s'élève à 39.797 euros. Viennent ensuite les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur (32.517 euros), Rhône-Alpes (32.032 euros), Midi-Pyrénées (31.547 euros), Alsace (31.789 euros) et Aquitaine (31.061 euros). La présence d'une métropole est un facteur important dans le poids salarial d'une région mais "elle ne fait pas tout", signale l'étude. Ainsi "à l'ouest, malgré la présence de Rennes et Nantes, la région Bretagne (29.848 euros) et les Pays de la Loire (29.363 euros) occupent respectivement les 17e place (à égalité avec Champagne-Ardenne, Bourgogne, et Franche-Comté) et 18e places du classement, renforçant leur image de régions aux mains-d'œuvre bon marché." Parmi les régions où les salaires sont les moins élevés, on compte les régions Poitou-Charentes, Basse-Normandie et Limousin (29.120 euros).
E.Z.