Départements : les bonnes intentions du gouvernement inscrites dans un programme commun

Les assises de Départements de France se sont achevées ce 14 octobre à Agen par la venue d'Élisabeth Borne qui, dans le sillage d'Emmanuel Macron, a évoqué une "nouvelle étape pour une vraie décentralisation". Un "programme de travail commun" a en outre été défini avec les présidents de département, qui liste un certain nombre de chantiers, principalement dans le champ social (enfance, autonomie...). Peu de mesures immédiates ont en revanche été annoncées. Y compris sur le terrain financier, où l'on relève pourtant de toutes parts les fragilités propres aux départements, tant sur les dépenses que sur les recettes.

Depuis sa nomination à Matignon, Élisabeth Borne a déjà pas mal échangé avec les présidents de département, tout comme l'ont fait d'autres membres du gouvernement. Alors si sa venue dans le Lot-et-Garonne ce 14 octobre en clôture des assises de Départements de France était attendue par les élus, les sujets étaient déjà connus et sur la table. Et effectivement, il n'y aura pas eu de réelle surprise ou annonce à Agen. Plutôt des engagements de moyen et long terme. Et, comme cela a déjà été dit devant d'autres assemblées d'élus locaux, l'assurance d'une "nouvelle méthode" notamment symbolisée par la démarche de l'"agenda territorial" que le ministre Christophe Béchu, également présent vendredi à Agen, est chargé d'orchestrer.

Intervenant dans la matinée lors d'une table-ronde intitulée "Mieux agir au service des Français", le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a d'ailleurs rappelé l'un des postulats de cet "agenda" : ne pas "imposer" ni même lister d'avance les sujets qui seront discutés entre le gouvernement et les représentants des collectivités. Autre principe : "discuter des compétences et des moyens en même temps". Et commencer par un "diagnostic". Lequel, selon Christophe Béchu – qui a présidé pendant dix ans le département du Maine-et-Loire –, inclut au moins trois constats pour l'échelon départemental : des "écarts objectifs de richesses" entre départements, une importante "décorrélation entre dépenses et recettes" (en gros, les départements qui ont le plus de dépenses, notamment sociales, sont aussi ceux qui ont le moins de recettes) et "une insuffisante autonomie dans les façons de mettre en œuvre les choses".

De son côté, Élisabeth Borne considère qu'il s'agit de "mettre nos forces en commun", comme le lui demande Départements de France (DF). Et comme l'a redit François Sauvadet, le président de l'association, en accueillant la cheffe du gouvernement : "Nous vous avons proposé de coconstruire les politiques publiques qui nous concernent" et de "faire bloc" pour "aider les Français à passer au mieux cette période difficile". Pour François Sauvadet, cette promesse de dialogue est "un vrai changement". De même que les propos d'Emmanuel Macron sur la décentralisation tenus quelques jours plus tôt en Mayenne (voir notre article du 10 octobre) sont selon lui "un chemin nouveau", "une expression nouvelle".

C'est d'ailleurs dans le sillon de ces propos présidentiels que la Première ministre s'est d'emblée placée, indiquant que "cette nouvelle étape pour une vraie décentralisation" impliquera d'abord de "faire un bilan des lois Maptam et Notr" (pas une mince affaire) et d'"aller au bout de l'application de la loi 3DS" (dont les décrets tardent à paraître). Les piliers de cette étape à venir : compétences, ressources, responsabilités, différenciation, lisibilité.

Autre conviction portée par Élisabeth Borne : "une décentralisation construite autour d'un projet de territoire" et fondée sur "le couple préfet / président de conseil départemental". Rappelant son passé de préfète, elle estime que "le dialogue entre le préfet et l'élu doit se faire le plus en amont possible".  Et insiste, là encore comme l'avait fait Emmanuel Macron le 10 octobre, sur "le retour de l'État dans les territoires", citant à ce titre France Services, la réouverture de sous-préfectures ou encore la création de nouvelles brigades de gendarmerie dans le cadre de la Lopmi.

On relèvera que sur la question du "couple" préfet-élu, le président du Sénat, intervenu la veille au centre des congrès d'Agen, avait exprimé une mise en garde : "L'État central doit faire confiance à l'État territorial. Il faut que le préfet ait autorité sur ses services. Et que l'on cesse de voir ces cas où une autorité supérieure vient casser les accords scellés entre un préfet et un élu." Faisant par ailleurs valoir les travaux qu'il compte lui-même engager sur la décentralisation (voir notre article du 5 octobre), Gérard Larcher a au passage exprimé quelques doutes sur la volonté décentralisatrice de l'Élysée : "Sans vouloir être cruel, c'est la troisième annonce. 2017, puis 2019, et maintenant 2022. Je souhaite que ce soit enfin la bonne annonce."

Les compétences sociales remises sur le métier

Élisabeth Borne a listé les dossiers sur lesquels gouvernement et départements vont concrètement travailler ensemble. Une liste probablement préparée en amont des assises avec DF, un communiqué et un document de dix pages cosignés par les deux parties ayant été diffusés juste après la clôture. Ces dossiers sont principalement liés aux missions sociales des départements.

  • Commençant par l'emploi, la Première ministre a invité les départements à "prendre pleinement leur part" dans l'objectif du "plein emploi" et donc de "l'accompagnement des demandeurs d'emploi". "Unir nos forces, c'est bien l'objet de France Travail", a-t-elle souligné, indiquant que les départements seront bien associés à la mission de préfiguration à la création de France Travail (voir notre article du 3 octobre).
    Sur le RSA et le nouveau parcours d'insertion que le gouvernement compte promouvoir dans ce cadre, elle a indiqué qu'il s'agissait entre autres de "rééquilibrer droits et devoirs" et que l'expérimentation prévue (voir notre article du 10 octobre) devrait concerner "une dizaine de bassins d'emploi dès cet automne".
  • Autre dossier à "coconstruire" : celui des "métiers du soin, du social et du médicosocial". Ou comment "attirer, recruter et conserver" des personnels dans ces secteurs, au-delà des mesures salariales déjà prises. Cela impliquera notamment la "modernisation du cadre conventionnel de la branche du secteur sanitaire et social" et une révision des "modalités de formation et de reconversion" des personnels.
  • Il y a aussi l'aide sociale à l'enfance, sur laquelle la Première ministre a dit son refus de "réponses en silo" : "C'est une compétence des départements, mais les réponses aux besoins des enfants protégés se trouvent aussi dans la scolarisation, l'accès à la santé, la prise en charge du handicap ou l'insertion des jeunes sortant de l'ASE." Il est donc prévu de poursuivre la contractualisation sur la protection de l’enfance "pour y intégrer l’Éducation nationale et la Justice" et on saura qu'"une nouvelle gouvernance territoriale associant le président du département et le préfet sera expérimentée dans les départements volontaires dès l'année prochaine". Le tout sous la houlette du GIP "France enfance protégée" prévu par la loi Taquet de février dernier, dont la convention constitutive a été signée fin septembre par François Sauvadet et Charlotte Caubel, la secrétaire d'État chargée de l'enfance, et qui devra être opérationnel début 2023.
    Sur ce sujet, le président de la Gironde et du groupe des départements de gauche, qui s'était exprimé juste avant l'arrivée d'Élisabeth Borne, a estimé que l'idée de ce GIP est certes "préférable à un outil de gouvernance qui chercherait à nous dicter les orientations de la politique de protection de l'enfance" et pourrait apporter une réponse au "manque de coordination des services de l'État"… Mais attention à toute "tentation centralisatrice", a-t-il mis en garde, alertant en outre sur "la carence régalienne de la pédopsychiatrie" (un problème que pointent depuis longtemps les départements… et aujourd'hui plus que jamais).
  • Deux des autres sujets listés font l'objet en parallèle d'un autre processus de discussions : le Conseil national de la refondation (CNR), auquel Élisabeth Borne appelle les élus départementaux à participer dans le cadre des CNR territoriaux. Il y a, d'une part, l'accès aux soins (le CNR santé a été lancé le 3 octobre), un enjeu auquel les assises avaient consacré une table-ronde la veille (Localtis y reviendra dans une prochaine édition).
  • Élisabeth Borne s'est d'autre part arrêtée sur la "transition démographique", autrement dit la perspective d'une "politique de l'autonomie ambitieuse", qui fait l'objet du CNR "bien vieillir" lancé le 11 octobre par le ministre Jean-Christophe Combe (voir notre article). Encore une politique que le gouvernement considère comme "conjointe", partagée. Partagée entre ARS et services départementaux et, au niveau national, au sein de la CNSA (depuis peu présidée par l'ancien président du Nord, Jean-René Lecerf). La Première ministre entend d'ailleurs engager une "réflexion pour renforcer le rôle de la CNSA comme garante de l’équité entre les territoires et de la sécurisation financière de la politique de l’autonomie".
    Soulignant l'apport de la création de la cinquième branche, elle a mis l'accent sur quelques axes : la prévention, la simplification des parcours, la prise en charge à domicile, la lutte contre la maltraitance, la lutte contre l'isolement, les Ehpad (personnels soignants, contrôle…). Et a rappelé le projet de "service public territorial de l’autonomie" évoqué la veille par la ministre déléguée Geneviève Darrieussecq (voir notre article du 14 octobre), qui devra "simplifier l’information, l’orientation et l’accès aux droits".
  • S'agissant du handicap, les choses avaient déjà été esquissées le 6 octobre lors d'un comité interministériel du handicap "de méthode" avec, en ligne de mire, la conférence nationale du handicap prévue pour le printemps prochain et d'ici là, des groupes de travail organisés avec les départements "sur l’école et l’université inclusives, l’accessibilité universelle, l’emploi et la simplification des parcours et de l’offre" (voir notre article).
  • Le dernier dossier évoqué par Elisabeth Borne avait occupé une large place pendant ces assises, avec une table-ronde dédiée et la présentation en présence de Caroline Cayeux du rapport "retour d'expérience" Gleyze / Accary : la sécurité civile, dont le modèle doit être "adapté", avec un soutien accru de l'État (voir notre article de ce jour consacré à ce volet).

Finances : quelques confirmations et un "travail prospectif"

La seule annonce sonnante et trébuchante faite ce vendredi concerne un enjeu qui ne figure pas dans le programme commun et que Christophe Béchu n'a pas non plus abordé. La transition écologique. Alors que François Sauvadet avait eu l'occasion de se demander si les départements auraient accès au "fonds vert", la Première ministre a fait savoir que la moitié de l'"enveloppe supplémentaire" annoncée une semaine plutôt devant la convention nationale des élus intercommunaux (voir notre article) "sera mobilisée pour les seuls départements". Soit "environ 200 millions" permettant de "financer des projets ciblés, locaux, notamment dans les territoires ruraux". Rappelons que le fonds vert était initialement calibré à 1,5 milliard, qu'Élisabeth Borne avait ensuite évoqué "entre 300 et 500 millions d’euros supplémentaires" puis que la secrétaire d'État en charge de l'écologie, Bérangère Couillard, a le 11 octobre choisi la fourchette haute en indiquant que le fonds vert serait porté à 2 milliards (voir notre article).

Élisabeth Borne n'a pas éludé les problématiques financières auxquelles sont confrontés les départements. Hausse des dépenses, fragilité des ressources… la plupart des élus ayant pris la parole lors des assises s'en sont fait l'écho avec intensité, quelle que soit leur couleur politique. "Non, les finances des départements ne se portent pas bien !" avait d'emblée résumé François Sauvadet (voir notre article du 13 octobre).

Christophe Béchu lui-même avait d'ailleurs tracé un tableau plutôt sombre, soulignant que les divers états des lieux (celui de la Cour des comptes par exemple) sont "une photographie au 1er janvier, qui ne présume rien du film à venir". Et le ministre de se dire conscient que la hausse des DMTO et la baisse des dépenses sociales liée à celle du nombre des bénéficiaires du RSA appartiennent déjà au passé. Élisabeth Borne a elle aussi évoqué des budgets départementaux "soumis à un effet de ciseaux", des recettes "soumises à une forte variabilité" et de faibles marges de manœuvre du fait de dépenses "sur lesquelles vous n'avez pas la main".

Pas de mesures immédiates de la part de Matignon toutefois, à part la confirmation de deux engagements déjà pris dans le cadre des deux projets de loi financiers du moment :

  • les allocations individuelles de solidarité seront bien "neutralisées" dans le mécanisme de modération de l’évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités (prévu par le projet de loi de programmation des finances publiques… mais supprimé mardi par les députés, ce qui n'empêchera pas sa réintroduction au Sénat)
  • la compensation de la CVAE par une part de TVA prendra pour référence les années 2020 à 2023 (et non plus seulement 2022) et permettra à chaque département de "bénéficier d'une dynamique nationale" (et non plus territorialisée). Cette part de TVA représentera ainsi "environ 10,4 milliards d'euros", soit "nettement plus que le montant de CVAE perçu par les collectivités cette année" (9,3 milliards), a fait valoir Élisabeth Borne. "Ce sera un deal gagnant pour les départements", avait de même assuré Christophe Béchu, évoquant une courbe de +3,5% par an pour la TVA, contre +2,5% pour la CVAE.

Confirmation, aussi, concernant le soutien de l'État face aux hausses des prix de l'énergie : "Je souhaite qu’un nouveau filet de sécurité pour toutes les collectivités soit mis en place pour 2023", a déclaré Élisabeth Borne, qui présentera "prochainement les détails de ces mécanismes" déjà évoqués début octobre (voir notre article).

Pour le plus long terme, les choses mériteront d'être précisées. Il a seulement été dit qu'une "clarification sera apportée" pour offrir aux départements "plus de prévisibilité et plus de transparence" sur leurs moyens. Et que le gouvernement entend "simplifier le financement de certaines politiques publiques" et "sécuriser" celui des prestations d'autonomie. Le document commun indique pour sa part que "État et départements conviennent de mener un travail prospectif permettant de s’interroger, à terme, sur l’articulation des structures des recettes et des dépenses" et, notamment, "sur la question du reste à charge des allocations individuelles de solidarité".

En tout cas, les éléments du discours d'Élisabeth Borne n'auront pas épuisé, loin de là, les demandes financières émises par les uns et les autres au fil des assises : mécanisme de péréquation horizontale, bouclier tarifaire énergétique pour toutes les collectivités et pour les établissements sociaux et médicosociaux, prise en compte de l'impact des multiples mesures salariales ou sociales décidées de façon "unilatérale" (Ségur de la santé, avenant 43, point d'indice, hausse du RSA…), moyens spécifiques "pour les 15 à 20 départements les plus en difficulté"…

De même, si certains, à l'instar de Nicolas Lacroix (Haute-Marne), président du groupe "droite, centre et indépendant" de DF, estiment que "l'on n'est pas loin de la confiance", difficile de ne pas sentir un certain décalage entre le fait d'avoir abouti à ce "programme de travail commun" et les insatisfactions ou difficultés exprimées par les élus pendant deux jours.

Le prochain rendez-vous annuel de Départements de France aura lieu à Strasbourg, à l'invitation de la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) présidée par Frédéric Bierry.

 

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