Décrets d'application de la loi Climat sur le "zéro artificialisation nette" : le Sénat dénonce un "passage en force"
La commission des affaires économiques du Sénat a vertement critiqué ce 14 mars la méthode choisie par le gouvernement pour les décrets d'application de la loi Climat et Résilience sur le "zéro artificialisation nette". Pour les sénateurs, les projets de texte soumis à consultation publique "remettent en cause les équilibres de la loi" et "constituent une négation délibérée de l'intention du législateur".
Déjà âprement discutées au Palais du Luxembourg lors de la navette parlementaire l'été dernier (voir notre article du 29 juin 2021), les dispositions de la loi Climat et Résilience sur la lutte contre l'artificialisation des sols et le fameux "zéro artificialisation nette" font l'objet d'une nouvelle levée de boucliers au Sénat. Dans un communiqué, la commission des affaires économiques a dénoncé ce 14 mars la méthode du gouvernement pour élaborer les décrets d'application, qui consiste selon elle à "passer en force pour remettre en cause la loi".
"Précipitation et manque d'écoute"
"Depuis la promulgation de la loi et lors des concertations préalables, parlementaires, élus locaux et acteurs du monde de la construction n’ont cessé d’exprimer leurs craintes quant au contenu des versions successives des projets de décrets d’application présentés par le Gouvernement, font valoir les sénateurs. Le Conseil national d’évaluation des normes, dont l’avis est requis sur ces mesures réglementaires, a lui-même (…) rendu un avis défavorable sur ces décrets." Malgré l'échec des concertations, ces décrets ont été soumis à consultation publique (voir notre article du 7 mars 2022)
Pour les sénateurs, "cette précipitation et ce manque d’écoute regrettables sont les arbres qui cachent la forêt" car ils estiment aussi que les projets de décrets présentés "remettent en cause les équilibres de la loi 'Climat et Résilience'" et constituent "une négation délibérée de l’intention du législateur".
Des règles facultatives devenues contraignantes
À l’initiative du Sénat, le Parlement a fait en sorte que l’objectif de 50% de réduction de l’artificialisation des sols sur dix ans soit inscrit parmi les objectifs généraux du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), et non parmi les règles du fascicule, laissant ainsi aux collectivités territoriales la souplesse nécessaire à la déclinaison locale des cibles du Sraddet, rappelle la commission des affaires économiques. Or, par un décret "non prévu par la loi", souligne-t-elle, "le gouvernement entend aujourd’hui rendre obligatoire l’adoption de règles contraignantes supplémentaires, ce, en contradiction directe et délibérée tant avec le texte de loi qu’avec l’intention clairement exprimée des parlementaires, qui avaient souhaité préserver le caractère facultatif de ces règles. C’est d’ailleurs au prix de cette condition qu’un accord avait pu être trouvé par la commission mixte paritaire (voir notre article du 13 juillet 2021, ndlr)."
Les sénateurs pointent l'"urgence somme toute fictive" invoquée par le gouvernement, ce nouveau système de comptabilité ne devant en réalité entrer en vigueur que dans dix ans. Le souhait du gouvernement d'instaurer au plus vite, par décret, une nouvelle nomenclature des sols artificialisés et non artificialisés est également critiqué. "Là encore, l’intention claire de la loi, qui exclut des surfaces artificialisées les parcs et jardins végétalisés, est remise en cause par les projets de décrets", estiment les sénateurs. "La commission doit-elle rappeler aux ministres qu’aucun décret ne saurait, dans notre droit français, aller à l’encontre des lois votées par le Parlement ?", lancent-ils.
"Sur un sujet si structurant pour l’aménagement de notre pays, pour des décennies à venir, l’État se doit de soutenir la construction d’un consensus, d’accepter la critique constructive des parties prenantes, d’adapter les principes aux réalités", soulignent-ils avant d'appeler le Gouvernement "à prendre le temps du dialogue et de l’écoute".
"Ce dialogue est déjà installé, s’appuyant sur les 'conférences des Scot' défendues et instaurées par le Sénat, qui rassemblent les élus locaux et font déjà œuvre remarquable au sein des territoires", appuie la commission. Mais selon elle, la prolongation de six mois des délais laissés pour réviser les documents d’urbanisme, votée dans la loi "3DS", reste "de portée limitée car "repenser les politiques nationales et locales d’aménagement, d’habitat et de transport, ne se fait pas en un an".
Rendre au Sraddet le rôle qui lui a été confié par la loi
La commission appelle le gouvernement à "rendre au Sraddet le rôle qui lui a été confié par la loi – ni plus, ni moins – en respectant la répartition actuelle des compétences entre région, intercommunalités et communes, en vertu du principe constitutionnel de non tutelle d’une collectivité sur une autre". "L’inscription de règles au sein du fascicule doit rester une faculté, car elles ne sauraient résulter que d’un choix délibéré et consensuel des acteurs du territoire", souligne-t-elle. Elle demande enfin que l'État joue un rôle de "facilitateur, d’accompagnateur des projets", plutôt que de "censeur" ou d’"arbitre entre intérêts locaux". "C’est à ces conditions que pourra se créer un réel élan national en faveur de la préservation des sols et des espaces, sans mettre en danger la cohésion territoriale ni tomber dans le piège d’une opposition entre espaces urbains et ruraux", estiment les sénateurs.