Déchets : Amorce se prépare à assigner l’État

Comme elle nous l’avait récemment indiqué, l’association Amorce a décidé d’enjoindre officiellement au gouvernement de prendre des mesures pour atteindre les objectifs fixés par le Parlement en matière d’économie circulaire, et de saisir la justice en cas d’absence de réponse. Si le feu couvait de longue date, la "série de mauvaises nouvelles" de la fin 2024 a fini de convaincre l’association de passer à l’action. Une série qui continue avec la publication, attendue cette fois, au Journal officiel de l'union européenne du 22 janvier du nouveau règlement Emballages. Lequel devrait, sauf spectaculaire retournement de situation, déboucher sur la tant décriée "fausse consigne" des bouteilles en plastique, faute d’un taux de collecte séparée idoine.

"Retenez-moi ou je fais un malheur". Depuis plusieurs années, l’association Amorce entonne régulièrement ce refrain, exaspérée par l’inertie, les atermoiements, voire les double discours qu’elle prête à l’État en matière de lutte contre les déchets. Le tout avec pour conséquence de placer les collectivités locales, en bout de chaîne, dans une situation inextricable. "En vingt ans, rien n’a changé. Ce sont toujours les collectivités qui paient l’addition, et donc nos administrés", indique, désabusé, le président de l’association, Gilles Vincent, ce 24 janvier, en conférence de presse. Un président las de prêcher dans le désert (voir notre article du 28 mai dernier). 

Amorce passe à l’offensive

Mais cette fois – et comme elle nous l’avait déjà laissé entendre (voir notre article du 6 janvier) –, l’association a décidé de mettre ses menaces à exécution. Elle interpellera officiellement le gouvernement début février afin qu’il mette en œuvre "des mesures attendues de longue date par les collectivités" en matière de lutte contre les déchets, et surtout prévues ou induites par une législation dont Amorce déplore l’absence d’application – en particulier la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) et la loi relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire (Agec). Et en cas d’absence de réponse du gouvernement dans les deux mois (rejet implicite), l’association déposera un recours afin que la justice administrative enjoigne au gouvernement de prendre les mesures nécessaires. Une requête du même type que celle qu’avait initiée la commune de Grande-Synthe afin que l’État prenne toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national (voir notre article du 22 novembre 2018). Et une action que l’association pourrait bien ne pas mener seule : "Il n’est pas impossible que d’autres organisations s’associent à notre recours", confie Nicolas Garnier, délégué général de l’association. Il invite d’ailleurs les collectivités à se joindre également à la procédure.

Des "cadeaux de Noël  qui font déborder une hotte…

Le feu couvait de longue date. La "série de mauvaises nouvelles" de décembre dernier (voir notre article) aura sans doute été de trop. 

• Au premier rang de ces "décisions gouvernementales catastrophiques pour l’économie circulaire", le prolongement, à l’identique, pour 5 ans de l’agrément des éco-organismes, dont Amorce n’a de cesse de dénoncer l’incurie (voir notre article du 29 janvier 2024), parmi d’autres (voir notre article du 12 avril). Une décision "précipitée" et prise "sans aucune concertation" qui a suscité "stupéfaction et colère", en ce qu’elle ne "donne d’autre choix aux collectivités que d’accepter les conditions qui leur sont imposées dans un contexte budgétaire très contraint", déplore l’association. 

• Autre motif de courroux, la publication, au Journal officiel du 24 décembre dernier, d’un arrêté limitant aux seules lingettes le périmètre de la responsabilité élargie du producteur (REP) devant s’appliquer aux textiles sanitaires à usage unique, pris en application de la loi Agec "par un gouvernement démissionnaire". "Un véritable coup d’arrêt à nos projets" – notamment de déploiement de couches compostables –, déplore Marie Bénévise, présidente du syndicat mixte Savoie Déchets. "La continuité du tout jetable", résume abruptement Nicolas Garnier. Un texte tout bonnement illégal, dénoncent en chœur Gilles Vincent et Benoit Jourdain, vice-président d’Amorce, en renvoyant à la source. Entendre la loi Agec, qui dispose effectivement, en son article 62, que relèvent du principe de la REP "les textiles sanitaires à usage unique, y compris les lingettes préimbibées pour usages corporels et domestiques, à compter du 1er janvier 2024". En sus d’être plus que partielle, l’application est donc tardive. Non sans conséquence, puisque Amorce estime que sont ainsi exclus du dispositif plus de 98% des déchets issus des textiles sanitaires à usage unique (les lingettes ne représentant qu’1,2% du total), lesquels représenteraient 14% des ordures ménagères résiduelles. Soit le premier gisement de déchets non recyclables dans les OMR, dont la prise en charge coûterait entre 600 et 800 millions d’euros par an aux collectivités. 

… déjà bien remplie

Gilles Vincent confesse que cela fait déjà longtemps qu’il plaide pour lancer un tel coup de semonce, déplorant que les collectivités – et les textes – ne soient pas respectés. Il prend l’exemple de "la REP matériaux", évoquée depuis le Grenelle de l’environnement, en 2007. "On en est encore aujourd’hui à discuter des difficultés de sa mise en œuvre", constate-t-il, amer. Son introduction a pourtant elle aussi été gravée dans le marbre par la loi Agec. Prévue en 2022, la REP "PMCB" (produits et matériaux de construction du bâtiment) peine toujours à se mettre en place. Nicolas Garnier dénonce même "une mise en œuvre en trompe l’œil". Il relève que "l’État est incapable de dire si le maillage prévu des points de collecte devant être déployés est respecté". La réponse est toutefois connue : il ne l’est pas. Et l’expert de souligner que ce sont là encore des collectivités "prises en otage" qui portent le système à bout de bras, "en maintenant l’accès des professionnels à leurs déchetteries". La grogne gagne toutefois sur le terrain. Certaines collectivités ont ainsi refusé de jouer une nouvelle fois le rôle de fusible. Le mécontentement se fait également grandissant côté entreprises. "Elles paient mais ne bénéficient pas du service de collecte qui devait être déployé. La fédération des matériaux du bois aurait d’ailleurs décidé d’arrêter de payer l’éco-organisme", indique le délégué général. À l’heure où le secteur du BTP traverse une mauvaise passe, il redoute la remise en cause pure et simple de cette REP. Non sans raison. Pour preuve, ce 15 janvier, la sénatrice Anne-Catherine Loisier a déposé une proposition de loi visant à retirer les produits du bois de cette REP. L’élue cite l’OCAB, qui estime que les éco-contributions pèseront plus de 30% de la valeur de certains de ces produits, entrainant une distorsion de concurrence au profit d’autres matériaux. "En pratique, le bois, plus vertueux pour l’environnement, paye 15 à 30 fois plus cher que le béton et l’acier en matériaux de structure", plaide l’élue.

Un État défaillant…

Plus généralement, Nicolas Garnier met en exergue ces objectifs législatifs qui restent lettre morte faute de mesures concrètes adoptées pour les atteindre. Et de prendre l’exemple de celui visant à "réduire de 50% d’ici à 2030 le nombre de bouteilles en plastique à usage unique pour boissons mises sur le marché" posé par la loi Agec, qui ne sera selon lui pas respecté. Comme ne le sera vraisemblablement pas non plus l’objectif d’un taux de collecte pour recyclage de ces mêmes bouteilles de 77% en 2025 et de 90% en 2029, fixé par cette même loi. Compromise également, l’atteinte d’un taux de collecte séparée de ces bouteilles de 80% (en poids) en 2026 qu’exige le nouveau règlement Emballages de l’Union européenne (voir notre article du 5 mars 2024), publié ce 22 janvier au Journal officiel de l’UE, pour qu’un État membre puisse être exempté de la mise en place d’un système de "fausse" consigne de ces bouteilles. Chez Amorce, on n’est pas loin de penser que l’État parie sur "un pourrissement de la situation" qui rendrait cette "fausse consigne" inéluctable. "Christophe Béchu s’était fermement opposé à cette dernière (voir notre article du 28 septembre 2023). On attend toujours la position d’Agnès Pannier-Runacher sur cette question", pointe Nicolas Garnier, en soulignant par ailleurs le "besoin d’avoir une ministre qui porte l’ambition de l’économie circulaire du pays".

… accusé de s’enrichir sur la bête

Pis, le délégué général en vient même à se demander si "l’État n’aurait pas intérêt" à ce que les dispositions de la loi Agec restent lettre morte. Il souligne ainsi qu’avec une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) dont les recettes tutoient désormais le milliard d’euros, "l’État est le grand gagnant" du dispositif. D’autant que ce qu’il gagne d’un côté, il ne le reverse guère de l’autre : "Jamais la TGAP n’aura rapporté autant. Et jamais le fonds Économie circulaire n’a été aussi peu doté", observe Nicolas Garnier. À l’heure où le gouvernement fait flèche de tout bois pour tenter de résorber une dette abyssale, l’argument n’est pas sans portée.

 

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