De l'importance de la "délinquance observée" sur l'image de son quartier
Une étude de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales met en avant le "lien fort" existant entre le fait d'être témoin d'actes de délinquance et le fait de ressentir de l'insécurité et d'avoir une opinion défavorable de son quartier. Une conclusion que les maires ont empiriquement tirée depuis longtemps. La parution de l'étude intervient alors que le ministre de l'Intérieur vient d'indiquer qu'il communiquera désormais chaque mois "un bilan de l'activité des forces de l'ordre".
Alors qu'une nouvelle fois le débat fait rage autour du "sentiment d'insécurité" – le président de la République ayant de son côté acté la "banalisation de la violence" –, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) vient de publier une étude sur l'effet de la "délinquance observée" dans son quartier sur l'opinion que l'on a de ce dernier, dont les résultats ne créeront pas la surprise.
Plus la taille de l'unité urbaine augmente, plus on est témoin de la délinquance
Au préalable, la note prend le soin de rappeler que le sentiment de sécurité ne dépend pas seulement du fait d'être ou non "directement" victime de la délinquance, mais tient également – entre autres facteurs – au fait d'en être le témoin. "Il peut s'agir de violences contre une tierce personne, de phénomènes liés à la consommation excessive d'alcool, à la drogue ou à d'autres types de trafics ou d'autres formes de délinquance", précise la note. Or, relève cette dernière – à partir de l'enquête "Cadre de vie et sécurité" (CVS) dite de victimation conduite par l'Insee chaque année (v. notre article sur l'édition 2019) – plus la taille de l'unité urbaine augmente, plus les habitants sont témoins de ces phénomènes. Le constat paraît logique : plus les habitants sont nombreux, plus statistiquement le risque est grand de compter des "délinquants" parmi la population, et donc d'observer leurs méfaits. L'étude retient pour sa part qu'avec la densité de la population, un fait délictueux "sera visible par un plus grand nombre d'habitants" en ville qu'à la campagne. Toujours est-il que 43% des habitants de l'agglomération parisienne interrogés ont déclaré avoir observé au cours des douze derniers mois des "phénomènes de consommation d'alcool considérée comme excessive", contre seulement 28% dans les unités urbaines de moins de 20.000 habitants. Le constat est le même avec la drogue (36% dans l'agglomération parisienne, 9% en milieu rural), les agressions (26% dans l'agglomération parisienne sur les deux dernières années, 11% en milieu rural) ou encore les autres formes de trafic (de voitures, d'équipements électroniques…) : 7% des résidents étudiés de l'agglomération parisienne, contre 2% en zone rurale.
Inégalités territoriales et "vote avec les pieds"
L'étude observe par ailleurs que les habitants des grandes unités urbaines ont une image moins positive de leur quartier (un habitant sur dix interrogé le juge "pas vraiment", voire "pas du tout agréable à vivre" et un sur cinq "pas sûr") que ceux vivant en zone rurale (4% seulement jugeant leur village ou quartier "pas agréable" et 8% "pas sûr"). De même, elle constate que si 17% des habitants de l'agglomération parisienne sondés déclarent ressentir souvent ou de temps en temps de l'insécurité dans leur quartier, ils ne sont que 5% en zone rurale.
L'étude en conclut "l'existence d'un lien significativement fort entre le fait d'être témoin d'actes de délinquance et le fait de ressentir de l'insécurité dans son quartier ou d'avoir une opinion défavorable à son égard" et relève que cette inégalité entre les territoires peut avoir "de lourdes conséquences socio-économiques sur le quartier, allant jusqu'à la désertification [désertion ?] de ses habitants".
À dire vrai, la démonstration a déjà été faite, y compris par l'ONDRP, et les maires ont compris depuis bien longtemps le risque de ce "vote avec les pieds". Rappelons également que les criminologues George Kelling et James Q. Wilson, auteurs de la célèbre théorie de la vitre brisée, ont jadis démontré que ce sentiment de désordre et d'insécurité était en outre lui-même criminogène, facilitant le passage à l'acte. Dit autrement, plus l'usager des transports en commun observe des fraudeurs autour de lui, plus il est lui-même incité à ne pas s'acquitter de son titre de transport*. Un enseignement que connaissent là encore déjà les élus, qui alertent en outre sur la porosité grandissante entre "incivilités, petite délinquance et grand banditisme", alors que le gouvernement se dit "à la recherche de l'impunité zéro".
* Pour une courte mais brillante présentation de ce "pouvoir du contexte", v. M. Gladwell, Le Point de bascule, Flammarion, Champs Essais, spéc. p. 123 et s.