Commande publique - De la difficulté d'apprécier une offre anormalement basse
Dans un arrêt du 3 novembre 2014, le Conseil d'Etat précise de quelle manière doit s'apprécier une offre anormalement basse.
Dans les faits, la communauté de communes de la vallée de Rognon avait lancé une procédure d'appel d'offres en vue de l'attribution d'un marché public de travaux de restauration d'un tronçon des berges du Rognon, pour lequel l'offre de l'Office national des forêts (ONF) a été retenue. La société MPF, société candidate évincée, avait alors saisi le juge des référés en vue de la suspension de la signature dudit marché, et, ce, au motif que l'offre de l'ONF était une offre anormalement basse et devait à ce titre être écartée. Le juge a reçu favorablement cette demande et a rendu une ordonnance de suspension de signature du marché. C'est en contestation de cette décision que l'ONF se pourvoit alors en cassation devant le Conseil d'Etat.
La question pour les juges du Palais Royal était donc : l'offre retenue était-elle effectivement une offre anormalement basse ?
Un prix manifestement sous-évalué et susceptible de compromettre la bonne exécution du marché
Le Conseil d'Etat répond par la négative en rappelant tout d'abord les dispositions de l'article 55 du Code des marchés publics selon lequel le pouvoir adjudicateur peut rejeter une offre qui lui semble anormalement basse, après avoir demandé par écrit des précisions aux candidats concernés et vérifié les justifications fournies. Ainsi, le juge des référés qui a considéré que la communauté de communes avait commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'attribution dudit marché sur le fondement de "la seule comparaison de l'offre [retenue] avec des offres concurrentes ou passées ou encore avec les estimations du prix du pouvoir adjudicateur" a commis une erreur de droit dans son appréciation du critère d'offre anormalement basse. En effet, cette brève analyse ne permet pas de "rechercher si le prix proposé était lui-même manifestement sous-évalué et susceptible de compromettre la bonne exécution du marché en cause", selon le Conseil d'Etat. L'ordonnance du juge des référés est donc partiellement annulée en ce sens que la communauté de communes n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
Répondre précisément aux demandes du pouvoir adjudicateur
Cet arrêt n'est pas sans rappeler une décision récente du Conseil d'Etat en date du 15 octobre 2014 dans laquelle les juges administratifs apportaient des précisions concernant les critères permettant de justifier et d'apprécier une offre anormalement basse. Les Sages de la rue Cambon avaient ainsi estimé que l'expérience et la qualité du titulaire sortant ne pouvaient suffire à justifier des prix bas. En effet, les sociétés requérantes s'étaient bornées "à mettre en avant leur longue expérience et leur qualité de précédent titulaire du marché sans répondre aux demandes précises formulées par le pouvoir adjudicateur". Une offre qui apparaît anormalement basse doit donc être justifiée de manière concise par les candidats lorsque le pouvoir adjudicateur leur demande des précisions. L'acheteur public doit quant à lui, au regard des précisions apportées, rechercher si le prix proposé est manifestement sous-évalué et susceptible de compromettre la bonne exécution du marché sans se limiter à une simple comparaison entre les différentes offres.
La Direction des affaires juridiques de Bercy a d'ailleurs récemment actualisé sa fiche technique sur "l'offre anormalement basse" afin d'aider les pouvoirs adjudicateurs à identifier et traiter ce type d'offres mais également à appréhender les risques opérationnels et juridiques liés à leur acceptation.
Références : Conseil d'Etat, 3 novembre 2014, n°382413 ; Conseil d'Etat, 15 octobre 2014, n°378434 ; Fiche technique de la DAJ.