Crise énergétique : Matignon et Bruxelles affinent leurs propositions
Si le spectre de coupures d’électricité l’hiver prochain semble pour l’heure s’éloigner "si chacun répond à l’appel à la mobilisation générale", les prix de l’énergie poursuivent leur course folle en Europe. Pour aider les plus fragiles à y faire face, la Première ministre a annoncé le prolongement du bouclier tarifaire et un nouveau chèque énergie pour les plus vulnérables. De son côté, la Commission européenne affine ses mesures pour tenter d’enrayer la spirale haussière.
Face à l’hiver qui vient, le gouvernement tient sa ligne, et garde un ton rassurant. S’appuyant sur les perspectives dressées par les gestionnaires de réseaux de transport d’électricité et de gaz (voir notre article de ce jour), la Première ministre, dans une conférence de presse tenue ce 14 septembre après-midi, relève que "dans les scenarii les plus probables, si chacun prend ses responsabilités et fait preuve de la sobriété nécessaire, il n’y aura pas de coupure". Elle note également que "dans les cas de figure les plus pessimistes, seules la sobriété et la solidarité européenne permettront d’éviter les coupures". Des conclusions qui confortent la stratégie du gouvernement, qui repose sur la réussite du plan de sobriété choisie, et non subie (que la Commission européenne entend toutefois imposer), et sur la solidarité européenne, deux axes mis en avant par le Conseil de défense du 2 septembre dernier (voir notre article).
Le premier est en bonne voie, a expliqué la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Un point est prévu avec les neuf groupes de travail début octobre, au cours duquel ils partageront leurs engagements – l’objectif étant pour mémoire de réduire la consommation de 10%. Il sera suivi le 10 octobre par le lancement d’une campagne de communication grand public sur le thème "Chaque geste compte". Le second est également en cours de déploiement, Élisabeth Borne vantant notamment nos terminaux méthaniers, parfois décriés (voir notre article du 22 juillet), "grâce auxquels nous sommes devenus un point d’entrée pour le gaz en Europe. Nous devons fournir une part de ce gaz à nos partenaires européens, qui en retour nous fourniront en électricité".
Deux mesures pour atténuer l’impact de l’explosion des prix
La situation semble en revanche plus préoccupante sur le front des prix de l’énergie, qui continuent leur course folle. Pour traiter ses conséquences, la Première ministre a annoncé deux nouvelles mesures. D’abord, la prolongation en 2023 du bouclier tarifaire "pour tous les ménages, les copropriétés, les logements sociaux, les petites entreprises et les plus petites communes", qui ne verront donc leurs tarifs augmenter "que" de 15% en 2023 (en janvier pour le gaz et en février pour l’électricité). Élisabeth Borne précise que l’écart ne sera pas reporté ultérieurement sur les prochaines factures, mais bien pris en charge par l’État – une facture évaluée à 16 milliards d’euros par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Ensuite, un nouvel accompagnement spécifique pour les plus modestes (environ 4 foyers sur 10, précise la Première ministre), avec l’attribution d’un chèque énergie exceptionnel à la fin de l’année d’un montant de 100 ou 200 euros en fonction des revenus. Une mesure dont le coût est estimé par Bercy à 1,8 milliard d’euros, "déjà budgété pour 2022". "L’objectif est de continuer à répondre aux inquiétudes tout en veillant à ne pas creuser davantage notre dette", explique Élisabeth Borne. "L’urgence absolue est d’en finir avec l’inflation", martèle de son côté Bruno Le Maire, en signant l’acte de décès du "quoi qu’il en coûte, qui ne fera que de jeter de l’essence sur l’incendie".
Traiter le mal à la racine
Reste que l’objectif numéro 1 est de traiter le mal à la racine, en stoppant la flambée des coûts de l’énergie à l’échelle européenne. D’abord en rassurant les marchés, animés par des "craintes excessives". RTE s’y est notamment employé ce mercredi matin (voir notre article). Ensuite en luttant contre "la spéculation inacceptable". "Nous ne laisserons pas de situation de rentes s’installer", a prévenu la Première ministre, qui précise "partager une grande communauté de vues avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen". Parmi elles, l’élaboration de nouvelles règles sur le marché de l’électricité et un travail sur le plafond du prix européen du gaz (donc pas seulement d’origine russe), Élisabeth Borne ajoutant que "la France défendra la nécessité d’un plafond du prix du gaz utilisé par les centrales électriques".
Au plan national, la Première ministre entend également accélérer le déploiement des énergies renouvelables (EnR). Un projet de loi en ce sens sera déposé en conseil des ministres le 26 septembre prochain. À court terme, entreprises et collectivités sont invitées "à la prudence quand elles s’engagent dans de nouveaux contrats", alors que les cours sont au plus haut. La Première ministre prévient encore que la Commission de régulation de l’énergie conduira des enquêtes et "sanctionnera les pratiques abusives".
La Commission affine ses propositions
De son côté, faisant suite au conseil extraordinaire des ministres de l’Énergie de l’UE tenu ce vendredi (voir notre article du 12 septembre), la Commission européenne a affiné les propositions présentées le 7 septembre (voir notre article).
Contrairement à la stratégie française, la Commission propose d’instaurer une obligation de réduction de la consommation d'électricité d'au moins 5% pendant certaines heures de pointe. Les États membres seraient tenus de déterminer les 10% d'heures pour lesquelles le prix attendu est le plus élevé et de réduire la demande pendant ces heures de pointe. La Commission propose également que les États membres se donnent pour objectif de réduire la demande globale d'électricité d'au moins 10% jusqu'au 31 mars 2023.
La Commission affine également sa proposition de prélèvement sur les "profits inattendus" des producteurs d’électricité à bas coût – dispositif en vigueur en France et que Bruno Le Maire espère voir étendu au niveau européen – en proposant que l’intégralité des recettes générées au-dessus d’un plafond de 180 euros /MWh soient perçues par les États membres, charge à eux de les redistribuer aux consommateurs pour alléger leurs factures. Bruxelles propose en outre un mécanisme similaire de redistribution entre États. S’agissant de la contribution de solidarité que devraient verser les producteurs d’énergies fossiles, elle serait perçue sur leurs bénéfices de 2022 excédant de plus de 20% les bénéfices moyens des trois dernières années. Là encore, les recettes générées seraient réorientées vers les ménages vulnérables et les entreprises à forte intensité énergétique, ou encore pour financer des mesures de protection de l’emploi ou de promotion des investissements dans les EnR. Autre mesure qui ne passera pas inaperçue, la Commission propose d’autoriser des prix de l’électricité réglementés inférieurs aux coûts et dont le périmètre serait élargi. D’autres propositions doivent encore être précisées par Bruxelles. L’ensemble sera examiné lors d’un nouveau conseil des ministres de l’Énergie de l’UE, qui se tiendra le 30 septembre prochain.