Crise énergétique en Europe : le plafonnement du prix du gaz met les 27 sous pression
Les ministres de l’énergie des 27 ne sont pas parvenus à s’entendre sur le plafonnement du prix du gaz le 24 novembre dernier. La question bloque l’adoption formelle de deux règlements visant à limiter la volatilité des prix du gaz et à renforcer la solidarité entre États membres pour le premier, et à accélérer la délivrance de permis et le déploiement des énergies renouvelables (EnR) pour le second, sur lesquels les 27 se sont accordés. Prochaine étape le 13 décembre prochain.
"Aujourd’hui nous ne sabrons pas le champagne, mais nous mettons la bouteille au frais", a déclaré le ministre de l’Industrie tchèque Jozef Síkela à l’issue du conseil extraordinaire des ministres de l’énergie de l’Union européenne (UE), qu’il avait convoqué le 24 novembre dernier. À Bruxelles, on sait peindre les échecs en semi-victoires, comme en témoignent les communiqués du Conseil. Car il y a encore loin de la coupe aux lèvres… Certes, les 27 sont parvenus à cette occasion à s’accorder sur l’essentiel du contenu de deux projets de règlements visant pour le premier "à contenir les prix élevés de l’énergie et à améliorer la sécurité de l’approvisionnement" et pour le second à "accélérer la procédure d’octroi de permis et le déploiement de projets dans le domaine des énergies renouvelables (EnR)". Mais aucun des deux n’a été adopté formellement comme prévu. La cause ? La question du plafonnement du prix du gaz, qui continue d’empoisonner les relations au sein de l’UE (voir notre article du 12 septembre).
Le mécanisme de plafonnement du prix du gaz fait pschitt
Devinant l’impasse, la présidence tchèque avait fait le choix de retirer du premier projet de règlement ce "mécanisme temporaire de correction du marché" proposé par la Commission européenne – mécanisme que cette dernière a d’ailleurs revu deux jours seulement avant la réunion – afin de pouvoir s’accorder sur le reste. Concrètement, la Commission propose que ce mécanisme byzantin se déclenche lorsque deux conditions cumulatives sont remplies : lorsque le prix du gaz sur la plateforme virtuelle d’échange de gaz néerlandaise "Title Transfer Facility" (TFF) dépasse un plafond, fixé à 275 euros le MWH, pendant deux semaines et lorsque l’écart entre le prix du TFF et le prix mondial du gaz naturel liquéfié (GNL) est supérieur d’au-moins 58 euros pendant 10 jours de transactions boursières. Une fois activé, il interdirait toute transaction au-dessus du plafond de 275 euros proposé. Un mécanisme jugé notoirement insuffisant par plusieurs États membres, dont la France : "C’est un texte d’urgence en réalité, qui va couper l’augmentation des prix du gaz dans des cas très exceptionnels. Ça peut être utile mais ce n’est certainement pas une réforme structurelle ni une réponse à l’envolée des prix du gaz à laquelle l’industrie européenne fait face et qui met en danger nos économies. À ce titre, ce n’est pas un texte suffisant, il faut continuer à travailler", avait indiqué Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, avant d’entrer en réunion le 24 novembre. "C’est une sorte de blague", a même lâché son homologue polonaise. Pour la Commission, la voie est d’autant plus étroite que d’autres États membres, singulièrement les Pays-Bas, et dans une moindre mesure l’Allemagne, restent peu enclins à l’idée même d’un plafonnement.
Un accord pour limiter la volatilité des prix du gaz et renforcer la solidarité
Remettant ce sujet à plus tard, les 27 se sont en revanche accordés sur le reste du texte présenté par la Commission européenne le 18 octobre dernier en complément des mesures adoptées le 30 septembre, répondant ainsi aux demandes de plusieurs États membres, dont le gouvernement français (voir notre article du 3 octobre).
Cet accord prévoit :
• des achats communs obligatoires de gaz sur les marchés mondiaux. Concrètement, les États membres, les entreprises de gaz et celles consommant du gaz présenteront leurs besoins d’importation à un prestataire de services, qui sera chargé de passer une commande groupée (l’achat de gaz russe en étant exclu). L’objectif est double : négocier de meilleurs prix et réduire le risque de surenchère entre les États membres. Ces derniers seront contraints d’avoir recours à ce prestataire pour les volumes de gaz équivalant à 15% de leurs obligations de remplissage des installations de stockage pour 2023. Au-delà, la mise en commun sera volontaire. Autre mesure prévue, la nécessité pour les entreprises de notifier leurs projets d’achat dépassant 5TWH par an (un peu plus de 500 millions de m3) à la Commission et aux États membres ;
• un nouvel indice de référence pour les prix du GNL, à compter du 31 mars prochain, alors qu’ils sont aujourd’hui souvent basés sur la désormais fameuse plateforme TFF, accusée par la Commission d’être "indûment influencée par les goulets d’étranglement dans les infrastructures de gazoducs du nord-ouest de l’Europe". Le règlement introduit en outre un plafond sur le prix des transactions réalisées le même jour sur cette plateforme TFF afin d’enrayer la volatilité des cours. Ce "coupe-circuit" sera mis en place pour tous les instruments dérivés sur matières premières liées à l’énergie ;
• de nouvelles mesures de solidarité en cas de pénurie d’approvisionnement en gaz. Elles permettront aux États membres de réduire la consommation de gaz "non essentielle" des clients protégés afin de fournir du gaz aux industries et services essentiels (sont pris pour exemple de consommation "non essentielle" le "chauffage d’extérieur" ou celui des piscines résidentielles, mais les États membres auront la main pour en définir les contours). La consommation "essentielle" des clients protégés (chauffage d’intérieur des ménages, des écoles et des hôpitaux) sera, elle, "garantie en toutes circonstances". Cet appel à la solidarité sera également possible pour un État membre lorsqu’il ne sera pas en mesure de garantir les volumes de gaz nécessaire à son réseau électrique (des exceptions sont prévues). Comme, pour l’heure, seulement 6 des 40 accords de solidarité potentiels ont été conclus, le règlement prévoit des règles par défaut qui s’appliqueront en cas de "véritable urgence".
En outre, ces règles de solidarité sont élargies aux États membres ne disposant pas de liaison directe par gazoduc mais disposant d’installations de gaz naturel liquéfié (GNL).
… et pour accélérer le déploiement des EnR
Les 27 se sont donc également accordés sur le règlement accélération des EnR, présenté par la Commission le 9 novembre dernier (voir notre article du 10 novembre). Ils sont néanmoins revenus sur certaines dispositions proposées par la Commission. Ainsi, s’ils ont retenu que "la planification, la construction et l'exploitation d'installations de production d'énergie à partir de sources renouvelables sont présumées relever de l'intérêt public supérieur", permettant une évaluation simplifiée des projets, ils ont introduit la possibilité pour les États membres d’exclure du dispositif certaines parties de leur territoire, certains types de technologies ou de projets.
Ils ont également convenu que la procédure d’octroi de permis d’installation d’équipements d’énergie solaire ne devra pas dépasser trois mois, alors que la Commission proposait un mois seulement. Inversement, alors que la Commission proposait que le délai pour les pompes à chaleur soit de trois mois maximum, les États membres ont introduit un distinguo : pour celles d’une puissance inférieure à 50MW, le délai ne devra pas dépasser un mois ; il reste en revanche de trois mois pour les pompes à chaleur géothermiques. Et si pour certaines catégories de pompes à chaleur les raccordements au réseau de transport ou de distribution devront être octroyés sur déclaration, les États membres pourront là encore exclure certaines zones ou certaines structures pour des raisons liées à la protection du patrimoine culturel, aux intérêts de la défense nationale ou à la sécurité.
Ce règlement, qui ne devait initialement s’appliquer que pendant un an, le sera finalement pendant 18 mois, au terme desquels la Commission pourra proposer sa prolongation.
Même si ces deux textes ne seront pas rediscutés, leur adoption formelle reste soumise à un accord sur le plafonnement du gaz. Jozef Síkela s’est dit confiant sur la probabilité pour le Conseil "de parcourir le dernier kilomètre" le 13 décembre prochain, lors du prochain conseil extraordinaire de l’énergie.