Eau, foncier, énergie, emploi : France Stratégie analyse les impacts d'une réindustrialisation en France

Dans un document de travail publié le 12 juillet, France Stratégie analyse les impacts en termes de ressources naturelles, de consommation d'énergie et de main d'œuvre de la réindustrialisation de la France, selon les scénarios envisagés.

Quels sont les impacts des différents scénarios de réindustrialisation à l'horizon 2035 en termes de ressources naturelles, de consommation d'énergie, de main d'œuvre et d'émissions de CO2 ? C'est ce qu'a analysé France Stratégie, dans un document de travail intitulé "Réindustrialisation de la France à l'horizon 2035 : besoins, contraintes et effets potentiels" publié le 12 juillet 2024. Huit scénarios ont été définis sur la période 2022-2025, en fonction de la part qu'atteindrait en 2035 la valeur ajoutée manufacturière en pourcentage du PIB (8, 10, 12 ou 15%) et en fonction de l'accent mis sur les branches manufacturières considérées comme technologiques, les branches dites "amont", c'est-à-dire les plus éloignées du consommateur final, ou sur celles "en aval" (les plus proches du consommateur final).

Côté main d'œuvre, l'évolution dépend du niveau de réindustrialisation ou de la poursuite du déclin. Ainsi, le scénario à 8% (contre un peu moins de 10% aujourd'hui) conduirait à une destruction de plus de 150.000 emplois manufacturiers tandis que le scénario à 15% fixé par l'exécutif nécessiterait une création de près de 2 millions d'emplois. Elle dépend aussi du type de réindustrialisation menée : "une industrie manufacturière à 12% du PIB pourrait nécessiter la création de 740.000 emplois entre 2022 et 2035 dans le cas où la réindustrialisation se ferait essentiellement par les secteurs aval et technologique, détaille le document, dans le cas d'une réindustrialisation par l'amont, les emplois progresseraient moins vite, avec potentiellement 580.000 emplois créés d'ici 2035". A l'heure actuelle, le secteur compte 3,1 millions d'emplois, soit environ 11% des emplois en France métropolitaine.

Un fort niveau de qualification nécessaire

"Quel que soit le scénario de réindustrialisation, des emplois pourraient être créés dans les métiers de l'industrie à fort niveau de qualification (ingénieurs et cadres de l'industrie et personnels d'études et de recherche), à l'inverse des ouvriers peu qualifiés qui perdraient des emplois dans tous les scénarios à 10%", mentionne le document, soulignant le mouvement de montée en qualification des emplois. Mais dans le scénario d'une réindustrialisation à 12%, ce sont les emplois d'ouvriers qualifiés ou de techniciens et agents de maîtrise qui seraient les familles les plus porteuses en termes de nombre d'emplois potentiellement créés.

"Le besoin en emplois qualifiés augmenterait nettement plus vite que la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB", explique aussi la note, qui mentionne les tensions en matière d'emplois qui existent actuellement dans le secteur et qui risquent de se renforcer avec le départ à la retraite de nombreux employés (plus de 35% dans certains métiers d'ouvriers de l'industrie dès 2030). Elle souligne le manque d'attractivité du secteur, en particulier dans les métiers les moins qualifiés et associés à une certaine pénibilité du travail.

Une réduction de la consommation d'énergies fossiles

Les scénarios de réindustrialisation intègrent la décarbonation de l'industrie manufacturière, à travers une augmentation de l'efficacité énergétique, une forte électrification et une progression de la biomasse. D'un côté, ces hypothèses vont conduire à réduire fortement la consommation directe d'énergies fossiles et les émissions directes de gaz à effet de serre, de l'autre, cela va conduire à une hausse de la consommation d'électricité, de 106 térawattheures (TWh) en 2022 à 135 TWh dans le scénario "10%", et à 165 TWh dans le "12%" en 2035. Attention cela dit à une vision très positive des transformations. Dans un premier bilan des actions mises en place pour décarboner les 50 sites industriels les plus émetteurs de CO2 réalisé par le Réseau Action Climat France avec France Nature Environnement, les ONG pointent une hausse des émissions sur certains de ces sites (voir notre article du 16 juillet 2024).

Des besoins qui ne pourront être couverts avec des énergies bas-carbone que par du nucléaire existant et par une forte croissance des renouvelables électriques, les nouveaux réacteurs nucléaires ne pouvant être en état de marche en 2035. Parmi les risques : une diminution des exports français d'électricité. "Dans le scénario '15%', la consommation d'électricité excéderait ainsi largement les productions électriques bas-carbone anticipées : il serait alors nécessaire de solliciter de manière accrue les centrales à gaz fossile en France ou en Europe", poursuit le document.

Retour au positif pour la balance commerciale manufacturière en 2035 ?

Enfin, côté ressources naturelles, "une réindustrialisation à 12% serait synonyme d'intensification des besoins en foncier (de 23.000 à 30.000 hectares supplémentaires d'ici 2035 hors logistique, soit davantage que les estimations du rapport de Rollon Mouchel Blaisot) et en eau", indique le document de travail, qui explique aussi que certains secteurs, comme l'industrie chimique, le travail du bois ou l'industrie agroalimentaire, ont des besoins en eau plus conséquents que d'autres. France Stratégie mise toutefois sur des gains, en eau et en foncier, à travers une gestion plus économe du sol, par l'utilisation des friches, le renouvellement urbain ou la densification des zones d'activité existantes, et une amélioration des procédés de prélèvements de certaines industries.

Le rapport analyse aussi les effets de la réindustrialisation sur la balance commerciale : une hausse de la valeur ajoutée manufacturière d'un point de pourcentage dans le PIB améliorerait la part de la balance commerciale dans le PIB d'environ 0,7 point de pourcentage. "La balance commerciale manufacturière redeviendrait alors légèrement positive à l'horizon 2035 dans le scénario 12%", assure le rapport.