Congrès des maires - Logement : les maires en terrain miné
Face au ministre de la Ville et du Logement, Olivier Klein, plusieurs maires ont fait état jeudi 24 novembre, lors d'un forum organisé dans le cadre du Congrès des maires, de leurs inquiétudes sur la crise du logement et des difficultés propres au logement social, y compris en matière d'attribution. Les relations avec les promoteurs et la maîtrise des prix du foncier font visiblement partie des grands sujets de préoccupation.
Face à la crise, conjuguant l’inflation et la hausse des taux d’intérêt avec les nécessités de la transition écologique, Olivier Klein a longuement répondu aux maires présents jeudi matin lors du forum sur le logement organisé dans le cadre du 104e Congrès des maires. Le ministre de la Ville et du Logement a évoqué le pacte de confiance avec le monde du logement social, qui figurait dans la déclaration de politique générale d'Élisabeth Borne et avait été évoqué en septembre dernier par Olivier Klein lors du congrès de l'USH. Un pacte qui se concrétisera entre autres dans la convention quinquennale d’Action Logement, qui doit prochainement être signée. Le maire de Clichy-sous-Bois a confirmé qu’un Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement se tiendra lundi 28 novembre, copiloté par Véronique Bédague, directrice générale de Nexity et Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé-Pierre (voir notre article de ce jour).
Il s’est félicité du nombre élevé de chantiers de rénovation thermique menés en France au cours des dernières années, citant le chiffre d’1,5 million de chantiers alors que le président de la République avait fixé l’objectif à 700.000. Il a souligné, pêle-mêle, la nécessité d’agir pour réduire autant que possible le reste à charge des opérations de rénovation énergétique, saluant la mise en place d’éco-prêts par la Banque populaire et les caisses d’épargne, pour accompagner le déploiement du dispositif "MaPrimeRénov’". Il a exprimé sa conviction de l’utilité des prêts à taux zéro (PTZ) en faveur des primo-accédants. Le ministre a souligné au passage l’intérêt de la création d’un statut du bailleur privé, intégrant ses différentes obligations, à la fois fiscales et environnementales.
Charte promoteur à Malakoff
Face au ministre, les maires présents lors des tables rondes de ce forum ont partagé leurs inquiétudes sur la crise du logement et leur difficulté souvent croissante à répondre à la demande de leurs habitants, singulièrement de logement social.
Jacqueline Belhomme a indiqué qu’elle avait fixé à sa commune l’objectif de construire 3.000 logements, dont 30% sociaux, à l’horizon de 2030. La maire (PCF) de Malakoff (Hauts-de-Seine) entend globalement maintenir le taux actuel de logements sociaux, qui s’élève à 40%. Elle a regretté que de nombreux maires de son département ne respectent pas le seuil de 25% de logements sociaux imposé par la loi Solidarité et Renouvellement urbains (SRU). La vice-présidente de Vallée sud Grand Paris a poursuivi son propos en exprimant son opposition à l’idée, défendue par certains, d’une application de ce plancher à la maille intercommunale. L’élue a vanté les mérites de la charte de la promotion immobilière, qui impose notamment à tous les promoteurs réalisant plus de 1.500 logements de respecter un minimum de 30% de logements sociaux. La même charte plafonne à 6.000 euros le prix de sortie au m2. "En petite couronne, les prix de marchés peuvent monter jusqu’à 10.000 euros du m2. Ainsi, un couple d’instituteurs dont les revenus sont au-dessus des plafonds d’éligibilité au logement social ne dispose pas des moyens suffisants pour acquérir un logement", a-t-elle déploré. "Nous avons besoin de promoteurs pour construire notre ville mais ils ont aussi besoin de nous", a-t-elle fait valoir, déplorant au passage qu’il existe en Île-de-France un nombre excessif de promoteurs, amenant ces derniers à se livrer une concurrence féroce. "Mais 95% des opérateurs respectent la charte et tout se passe bien", a-t-elle indiqué.
Jacqueline Belhomme a fait l’éloge des baux réels solidaires (BRS). Un mécanisme qui dissocie la propriété du foncier de celle du bâti et qui permet des prix jusqu’à 40% inférieurs au marché. Et qui présente l’avantage de proscrire la spéculation, contrairement à l’accession sociale à la propriété, parfois détournée de sa fonction originelle, les dispositions anti-spéculatives s’y rattachant n’excédant pas cinq à dix ans. Olivier Klein a également indiqué qu’il considérait que les BRS constituaient "un très bel outil". Gare, toutefois, à la création d’offices fonciers solidaires (OFS) privés par des opérateurs visant avant tout la rentabilité financière, a mis en garde la première adjointe au maire de Villeurbanne, Agnès Thouvenot.
Plusieurs élus ont regretté la faiblesse du poids des maires au sein des commissions d’attribution de logements (CAL) des bailleurs sociaux, appelant à une décentralisation accrue du logement. Jacqueline Belhomme a décrit comment sa ville parvient à obtenir du préfet qu’il utilise son quota de logements au titre du droit au logement opposable (Dalo) pour attribuer des logements sociaux à Malakoff à des demandeurs de la ville.
Des compétences à la répartition méconnue
Thierry Repentin, maire de Chambéry, a constaté que l’État bénéficiait en France du fait que les habitants ignoraient le détail de la répartition des compétences en matière de politique de logement, attribuant l’essentiel de la responsabilité de cette politique aux maires. "Ce qui explique qu’il n’y a jamais de manifestations à ce sujet rassemblant des dizaines de milliers de personnes dans les rues." Le vice-président du Grand Chambéry a exprimé sa conviction de la nécessité d’une régulation nationale des politiques, notamment en matière de mixité, mettant l’assistance en garde contre une décentralisation du logement qui serait pour l’État une manière de se défausser de sa responsabilité en la matière.
Thierry Repentin a fait la promotion de la taxe sur les plus-values de terrains nus rendus constructibles, allant de 5 à 10% de la plus-value réalisée. "Nous faisons des millionnaires", a-t-il souligné, décrivant des terrains agricoles devenant constructibles et dont le prix au m2 passe de 50 centimes à 200 euros.
La hausse continue du prix du foncier en zone tendue ces dernières années a été déplorée par différents élus, dont la première adjointe du maire de Villeurbanne (Rhône), Agnès Thouvenot. Cette dernière s’est inquiétée de la perspective de voir des ventes en blocs de projets de promoteurs compromis par la crise, "crantant à des niveaux toujours plus élevés le prix des terrains". Elle a appelé de ses vœux la mise en place d’outils permettant une maîtrise des prix du foncier, par leur encadrement ou la fiscalité. Elle a par ailleurs déploré l’appétence des bailleurs sociaux pour les résidences services, plus lucratives mais se substituant parfois à la construction des logements sociaux traditionnels nécessaires.
2,3 millions de demandeurs de logements sociaux
Emmanuelle Cosse a jugé "intéressante" la perspective de l’entrée en vigueur des règles de zéro artificialisation nette (ZAN). "C’est bien si cela incite à transformer en logements des locaux délaissés, mais attention à ne pas traiter de la même façon, comme le fait la loi actuellement, des territoires qui ont artificialisé massivement des terres ces dernières années et d’autres qui s’en sont abstenus", a-t-elle fait valoir. Pour la présidente de l’Union sociale de l’habitat (USH), qui a salué au passage l’opportunité du fonds friche mis en place par l’Etat, le ZAN pose des questions "de phasage, de dialogue et d’outils". "Toutes les collectivités territoriales disposent-elles des moyens nécessaires pour procéder au recensement de leurs fonciers ?", s’est-elle interrogée. Elle a rappelé que 2,3 millions de demandeurs de logements sociaux étaient dénombrés en France, soit une augmentation de 100.000 l’an dernier. Elle a encouragé les maires des petites communes à solliciter les bailleurs sociaux pour profiter de leurs compétences protéiformes, de constructeurs de logements sociaux pour les étudiants, les personnes âgées, ou celles en situation de handicap.