Congrès des maires - La prévention des crises doit devenir un service public local
Une table ronde organisée lors du 104e Congrès des maires ce 23 novembre a rappelé que les communes seront confrontées à une multiplicité de crises au cours des prochaines années. Pour se préparer à ces évènements extrêmes qui vont perdre leur caractère exceptionnel, les élus doivent s’adosser à un véritable service public local de la gestion des crises. Ils revendiquent aussi l’obtention de marges de manœuvre dans leurs politiques d’aménagement.
"Il faut bien prendre conscience que nous allons être confrontés à des crises de plus en plus fréquentes, de plus en plus inédites, et de plus en plus violentes" : Éric Ménassi, le maire de Trèbes (Aude), et Sébastien Leroy, le maire de Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes), n’ont pas laissé beaucoup de place au doute lors de la table ronde consacrée à la gestion des risques et des crises qui s’est tenue ce mercredi 23 novembre lors du 104e Congrès des maires et des présidents d’intercommunalité.
Multiplicité de risques pour les communes
Ces deux élus qui coprésident un groupe de travail de l’AMF sur la gestion des risques ont une connaissance presque "charnelle" du sujet. Leurs communes ont été frappées par des inondations meurtrières (Trèbes en 2018, Mandelieu en 2015 et 2019) ; ils se préparent aujourd’hui à la répétition de ces épisodes "sidérants" qui bousculent toutes les certitudes. "Un maire qui n’a pas connu une crise de cette ampleur ne peut pas complètement se rendre compte. Cette violence qui touche une collectivité est aussi une expérience très intime. C’est comparable à l’expérience du deuil", a estimé Éric Ménassi.
Selon Bettina Laville, conseillère d’État et présidente du Comité 21, une ONG qui aide les territoires à se transformer dans la perspective des changements climatiques, "les communes sont aujourd’hui exposées à une multiplicité de risques, on l’a vu avec les terribles incendies de cet été. Aux risques climatiques qui explosent avec le triptyque effondrement et éboulement des sols, incendie et inondation, s’ajoutent les risques sanitaires, et depuis plus récemment le risque cyber".
Besoin d'une "stratégie nationale de résilience"
Dans ce contexte incertain, il n’est plus possible de gérer la crise comme une situation d’exception avec l’espérance d’un retour à la normale (business as usual). "Dans cette affaire, les élus sont en première ligne. Lorsque la catastrophe survient, on ne peut se tourner que vers le maire qui s’expose pour sa part à un risque supplémentaire : celui de sa mise en cause pénale post-crise ! Même les présidents d’EPCI n’ont pas les mêmes responsabilités. La bonne nouvelle, c’est que l’État commence à s’en rendre compte", a expliqué Bettina Laville.
La présidente du Comité 21 a d’ailleurs renouvelé sa demande lors cette table ronde "d’une véritable stratégie nationale de résilience vis-à-vis de ces crises multiples qui vont s’installer dans le paysage communal". Cette résilience, "qui ne doit pas être décrétée le lendemain d’un événement catastrophique", pourrait utilement s’adosser aux conclusions d’un rapport qui doit être prochainement rendu par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Et surtout passer par le déploiement d’un véritable service public local de la gestion des risques.
Formation des élus, des personnels communaux... sans oublier les habitants
Cette exigence nécessite l’attribution de moyens qui doivent être consacrés à la formation des élus et des personnels communaux, "sans surtout exclure les habitants eux-mêmes qui doivent devenir les sentinelles de la gestion de crise, et les premiers acteurs de terrain", prévient Judith Laborieux, adjointe au maire du Lamentin en Martinique. Cette commune, à l’instar d’autres territoire ultramarins et, notamment, des îles de l’arc antillais, est fréquemment frappée par des phénomènes de grande ampleur comme les cyclones. "Justement, depuis quelques années, nous avons été heureusement épargnés par ces phénomènes violents", se félicite Judith Laborieux, "mais le revers de cette bonne nouvelle est que les habitants ont partiellement perdu la mémoire de ces phénomènes extrêmes. Il faut donc leur rappeler régulièrement sans rien cacher de la réalité. Et aussi se préparer à ces événements en impliquant la population. Celle-ci doit comprendre que dans les minutes et les heures qui suivent la survenue d’une catastrophe climatique, elle ne pourra compter que sur elle-même".
Au Lamentin, un documentaire réalisé par un pompier antillais pendant les opérations de secours du séisme de Haïti de 2010, a été projeté aux habitants de la commune. Par ailleurs, celle-ci s’appuie sur le dispositif des réserves de sécurité civile. Ce réseau de bénévoles réparti sur l’espace cartographié du territoire communal (15 quartiers et 71 sous-quartiers) est soumis depuis 2011 à des exercices réguliers. Ces fantassins civils, en fonction de leurs compétences, ont été formés aux bonnes pratiques d’accompagnement logistique des secours. "Ce premier rideau d’habitants, recruté à l’issue d’une véritable cérémonie d’engagement, permet d’éviter les phénomènes de désorganisation et de panique qui sont susceptibles de survenir au moment d’une catastrophe. Il faut qu’il soit régulièrement renouvelé et composé en osmose avec les élus et le personnel communal", prévient Judith Laborieux.
Éviter les injonctions contradictoires
Mais se préparer à la crise qui vient, ce devrait être aussi tirer les leçons de la précédente. "L’État, qui multiplie les injonctions contradictoires à l’endroit des maires, a beaucoup de progrès à faire en la matière", a déploré Sébastien Leroy. "Au lendemain de la catastrophe de 2015, le gouvernement nous a tenu des propos rassurants. On allait venir à notre aide, on allait assouplir les règles d’urbanisme. Quatre ans, plus tard lorsque nous avons été inondés pour une seconde fois, rien n’avait changé. Le maire se retrouve toujours à devoir faire une chose et son contraire. De 9h à 9h30, les pouvoirs publics peuvent nous demander de construire 6.000 logements sociaux sous peine de subir des pénalités. Et de 9h30 à 10 h, nous rappeler que le PPRI (plan de prévention du risque inondation) ne permet pas d’engager le moindre projet !"
Le premier magistrat de Mandelieu-la-Napoule rappelle que l’État avait donné l’ordre au préfet de préempter un terrain de 14 hectares – qui sera utilisé comme bassin aménagé d’écoulement des eaux à l’issue d’une rude bataille juridique –… pour y construire des logements. "Pour que les élus puissent appréhender la gestion des risques extrêmes avec une plus grande efficacité, il faut simplifier et adapter les règles aux spécificités du territoire. Surtout, il faut que les maires recouvrent de la liberté dans leur politique d’aménagement", a conclu Sébastien Leroy.
L’adoption de la loi Matras a étendu le nombre de communes qui doivent se doter d’un plan communal de sauvegarde (PCS) avant 2024. Les EPCI qui comptent au moins une commune soumise à un risque majeur devront, pour leur part, avoir élaboré un plan intercommunal de sauvegarde avant la fin 2026. |