Conflits d’intérêts et fonds européens : la prévention plutôt bonne, la détection en retrait
Dans un rapport consacré aux conflits d’intérêts dans les dépenses agricoles et de la politique de cohésion de l’UE, la Cour des comptes européenne souligne les efforts conduits par la Commission et les États membres. Elle déplore toutefois des failles persistantes dans la détection des situations à risque.
"Dans l’ensemble, la Commission comme les États membres ont déployé des efforts pour lutter contre les conflits d’intérêts, mais des failles persistent, en particulier en ce qui concerne la promotion de la transparence et la détection des situations à risques", juge la Cour des comptes européenne dans un rapport spécial "Conflits d’intérêts et dépenses agricoles et de cohésion de l’UE" qu’elle vient de publier.
Côté Commission, la Cour salue le travail conduit en interne – formation complète, obligations de déclarations, codes et guides… –, mais décèle des failles dans les procédures en matière de pantouflage. Côté États membres, elle relève que ceux examinés (Allemagne, Hongrie, Malte et Roumanie) ont mis en place des règles et des procédures pour prévenir et gérer les conflits d’intérêts. Mais elle déplore qu’elles n'aient pas été actualisées pour tenir compte de la révision, entrée en vigueur en 2018, du règlement financier étendant explicitement ces obligations aux personnes participant à la gestion partagée des fonds de l’UE (afin d’en faciliter la mise en œuvre, la Commission a publié des orientations).
Déclaration sur l’honneur
Pour autant, elle observe que tant dans le domaine agricole que dans celui de la cohésion, aucune faiblesse systémique n’a été décelée chez les États membres audités (dans sa réponse à la Cour, la Commission souligne a contrario que, dans le domaine de la politique de cohésion, "de graves lacunes ont été détectées, en particulier en Pologne et en Lettonie" et que "l’audit effectué dans le cadre de la PAC a conduit à la décision d’imposer des corrections financières à la Tchéquie"). La Cour constate que la mesure préventive la plus couramment utilisée est la déclaration d’intérêts sur l’honneur et que des formations, séances d’information et de sensibilisation sont dans l’ensemble dispensées. En revanche, la rotation du personnel n’est pas appliquée "de manière régulière et cohérente".
Transparence
La Cour salue également les efforts constants conduits pour accroître la transparence sur les bénéficiaires de financements de l’UE. Ainsi, dans le domaine de la cohésion, l’identification des bénéficiaires effectifs finals des entreprises recevant un financement de l'UE est devenue obligatoire dans les systèmes de gestion et de contrôle des États membres pour la nouvelle programmation. Et dans le domaine agricole, les bénéficiaires devront désormais fournir des informations sur les groupes d’entreprises auxquels ils participent. La Cour regrette néanmoins que les noms des bénéficiaires effectifs ne soient pas rendus publics – une transparence à laquelle la Cour de justice s’est opposée dans une décision du 22 novembre dernier.
Au passif, la Cour place par ailleurs la transposition tardive de la directive sur la protection des lanceurs d’alerte par nombre d’États membres – la France faisant partie des bons élèves (v. notre article du 5 mai 2022). À l’actif, elle salue la grande importance accordée par les États membres à la détection des conflits d’intérêts dans les marchés publics, en mettant un place "un large éventail de contrôles et de procédures". Elle décèle toutefois une attention parfois insuffisante à certains signaux d’alerte, tels que la proportion élevée de procédures à un seul soumissionnaire (51% en Pologne en 2020), ou encore un nombre inhabituel de commandes directes.
Des outils européens peu utilisés
La Cour pointe encore l’insuffisante exploitation des données pour détecter les conflits d’intérêts. Elle constate singulièrement que l’outil de calcul du risque de la Commission Arachne n’est pas systématiquement utilisé, les autorités des États membres lui préférant les bases de données nationales, aux informations "plus récentes et plus complètes". Elle observe en outre que cet outil ne contient pas d’informations sur les fonctionnaires participant à la gestion et au contrôle des fonds.
De même, elle regrette une alimentation insuffisante, et dans tous les cas différente d’un État à l’autre, du système de gestion des irrégularités (440 cas de conflits d’intérêts recensés dans les domaines étudiés depuis 2000), qui ne permet pas de disposer d’une photographie claire des conflits d’intérêts dans l’UE.