Comment "repenser les ingénieries du développement économique" ?

La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat a confié à quatre sénateurs une mission relative à l’ingénierie du développement économique, dont les travaux doivent s’achever fin mars 2025. Afin d’alimenter le futur rapport, une table-ronde était organisée le 20 février pour appréhender les évolutions nécessaires. 

Quels sont les outils existants ou à mettre en place pour permettre aux collectivités d’accompagner les entreprises, de contribuer à la réindustrialisation et à la performance économique du pays, de faire face aux enjeux du réchauffement climatique et de la décarbonation ? Comment les collectivités doivent-elles coordonner leurs actions pour une meilleure efficacité, et quel doit être le rôle de l’État ? D’emblée, le président de la délégation et sénateur du Cantal, Bernard Delcros, déclare que "tous les niveaux de collectivités disposent d’une certaine légitimité à intervenir en matière économique" : "Bien-sûr, la loi Notr de 2015 a voulu renforcer le binôme intercommunalité-région, mais le développement économique ne peut réussir sans l’engagement des communes". Il cite à l’appui deux soutiens emblématiques apportés par les communes, et étroitement liés : le commerce local et l’habitat, "absolument déterminants pour la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs". 

Comment dans ce cas éviter la superposition des structures et la redondance des outils ? En misant sur "l’intelligence territoriale et la collaboration", selon Anne-Marie Jean, vice-présidente de l’eurométropole de Strasbourg, représentant l’association d’élus France urbaine. "La situation économique de Strasbourg n’a rien à voir avec celles de la Meuse et de la Haute-Marne par exemple. Si tout le monde était traité de la même façon, ce serait désastreux. Il faut partir de la réalité des territoires", dit-elle. 

La fracture entre territoires urbains et territoires ruraux

"On voit bien qu’il y a une fracture entre les territoires urbains qui ont une force de frappe financière et les territoires ruraux", indique Bernard Delcros. À l’instar du département du Gers dont le déclin des activités agricoles et agroalimentaires inquiète le sénateur Franck Montaugé. "Quelles sont, dit-il, au-delà de l’ingénierie territoriale, les conditions à réunir pour que la transition écologique et ce qui en découle, une nouvelle économie, constituent une opportunité plus qu’une menace pour les territoires ruraux, dans le cadre de la planification écologique nationale qui nous est proposée ?" 

Sa question renvoie à celle de la planification. "Il faudrait peut-être repenser les schémas de développement économique", avance Stéphane Vincent, cofondateur et délégué général de La 27e Région. Ces schémas sont pensés de façon "trop verticale" et fonctionnent en silo, ce qui les conduit à être "parfois déconnectés de la réalité du terrain". Les inscrire dans des durées plus longues, de "cinq, dix, vingt ans, au-delà de la durée des mandatures" est également nécessaire selon lui.

Quel rôle de l’État dans cette planification économique ? 

"Le national existe et l’on voit bien que c’est difficile de faire une politique d’aménagement du territoire uniquement en compilant les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires" (Sraddet), souligne Nicolas Portier, enseignant à l’École urbaine de Sciences Po et président du Cercle pour l’aménagement du territoire. "Aujourd’hui, il faut une réorganisation collective pour penser nationalement l’aménagement du territoire afin de répondre aux grands défis comme la planification écologique."

Nicolas Portier appelle aussi au rééquilibrage de nos modèles de développement économique et à un renouveau des politiques nationales d’aménagement du territoire. "Cela ne va pas bien, dit-il : hyper concentration des créations d’emplois depuis vingt ans, record de l’OCDE en France de polarisation spatiale de la valeur ajoutée. Les valeurs des actifs (patrimoines immobiliers, mobiliers, professionnels…) sont le seul point qui a massivement évolué en France." Pour l'ancien délégué général d'Intercommunalités de France, qu’il s’agisse de l’ex-Datar ou non, il faut une structure qui remplisse la fonction d’aménagement économique du territoire et refasse de l’action régionale. 

Pratiques inspirantes

Plusieurs pratiques "inspirantes" pour les collectivités en matière d’ingénierie du développement économique ont été décrites au cours de cette table-ronde. Ainsi, en Seine-Maritime, l’agence de développement économique de Caux Seine agglo a été érigée en société publique locale (SPL). "Elle fonctionne comme une entreprise avec près de 40 collaborateurs, ce qui lui permet d’être très réactive", précise son président Jean-Marc Vasse, maire de la commune de Terre de Caux et membre du comité directeur de l’Association des maires de France (AMF). 

Depuis 2017, cette agence propose un large panel d’actions pour renforcer l’attractivité économique de l’axe Seine. Elle doit aujourd’hui accompagner l’écosystème pétrochimique du site de Port-Jérôme-sur-Seine marqué par la décision d’Exxon Mobil d’arrêter ses activités chimiques sur le site. "L’agence est appelée à la rescousse pour favoriser les reconversions. Il faudra aussi s’occuper du site qui va devenir une friche industrielle après les opérations de démantèlement et de dépollution." La particularité de cette agence de développement est d’être en mesure d’apporter des réponses aux entreprises autant sur le foncier que sur les ressources humaines via la maison des compétences qu’elle héberge.

De nouvelles approches du développement économique

De son côté, l’association La 27e Région déploie Rebond, un programme de recherche-action qui explore de nouvelles approches du développement économique local, avec le soutien de l’Ademe et de la Fondation de France. "Les choses ont considérablement changé dans ce domaine, en France comme à l’étranger", observe Stéphane Vincent. "Toutes les collectivités se posent les mêmes questions : comment repenser les ingénieries du développement économique", complète Sylvine Bois-Choussy, cheffe de projet. D’autant plus qu’elles sont confrontées à de nouvelles problématiques comme le rejet d’implantations d’entreprises par des collectifs d’habitants ou la raréfaction de l’eau, ce qui les oblige à avoir une vision "grand angle" du développement économique.

La recherche-action met en évidence de nouvelles théories du développement économique. C’est le cas de la Doghnut Economy qui vise à contenir le développement entre un plancher social et un plafond écologique. En France, la ville de Grenoble a adopté ce modèle. Ces nouvelles théories qui souvent se greffent à des outils traditionnels de développement rendent "indispensable la formation des élus", selon les représentants de la 27e Région.