Cour des comptes - Collèges : de fortes inégalités dans la gestion par les départements
La Cour des comptes déplore la "persistance d'inégalités fortes" entre départements concernant la construction, la rénovation et l'entretien des collèges, dans son rapport annuel, appelant à améliorer la gestion pour "une plus grande prise en compte" des différences de situations. Elle prône aussi une "évolution de la gouvernance" entre l'État et les collectivités.
Dans son rapport annuel rendu public le 10 mars 2023 intitulé "La décentralisation 40 ans après", la Cour des comptes consacre l'un de ses chapitres à la gestion des collèges par les départements. Il en ressort que depuis 1986, "les départements n’ont cessé de voir leur rôle croître en matière éducative". Cet "investissement croissant" des départements les a amenés "à aller au-delà de leurs obligations réglementaires pour prendre toute leur place dans un processus de coconstruction du service public de l’éducation aux côtés de l’État". La Cour salue "d'importants efforts financiers", mais relève que "malgré une politique volontariste", de "fortes inégalités territoriales demeurent", qui "ne permettent pas d'offrir à tous les collégiens des conditions matérielles de scolarisation homogènes".
Des dépenses tributaires de l’état du bâti, de la démographie et du privé
Certains départements "disposent en effet de marges de manoeuvre plus étroites, en raison de capacités financières plus faibles et d'une dynamique démographique" plus forte, souligne-t-elle. C'est le cas notamment de la Seine-Saint-Denis, qui a connu entre 2013 et 2018 "un taux annuel moyen d'augmentation de sa population 2,5 fois supérieur à la moyenne nationale". Depuis 1986, ce département a dû construire 25 nouveaux collèges et en reconstruire 40, quand la Mayenne n'en a construit aucun, explique la Cour. La croissance de la population est globalement plus forte dans les aires d’attraction des villes, près des littoraux à l’ouest et au sud. "La courbe démographique apparaît alors comme le principal facteur impactant les stratégies patrimoniales des départements", expliquent les Sages.
D’autres critères peuvent également expliquer la différence de situation entre les collectivités, tels que le poids de l’enseignement privé. "Le département n’ayant l’obligation de participer qu’aux seules dépenses de fonctionnement de ces établissements, un fort taux de collèges privés, comme c’est le cas dans l’ouest de la France, allège d’autant la charge départementale en matière d’investissement". La part de l’éducation prioritaire joue également : "en diminuant les effectifs d’élèves par classe, le classement d’établissements en éducation prioritaire fait augmenter les besoins en espaces d’enseignement".
De 2,15 millions d'euros dans les Ardennes à 78,05 millions d'euros en Seine-Saint-Denis
En 1986, les départements consacraient aux collèges l’équivalent de 1,1 milliard d’euros. Ce montant a plus que quintuplé (x 5,6), pour atteindre 6,2 milliards d’euros en 2020. Des augmentations qu'il faut toutefois relativiser "car dans le même temps, la part des dépenses correspondantes dans l'ensemble des dépenses des départements a doublé, passant de 3,12% en 1986 à près de 6% en 2021". Les Sages analysent que "cet effort a principalement porté sur les dépenses d’équipement, dont la part dans les budgets des départements a plus que triplé entre 1987 (5,84%) et aujourd’hui (20,7%). Aussi la proportion consacrée au fonctionnement des dépenses réalisées par les départements en faveur des collèges a-t-elle parallèlement diminué, passant de 77% en 1986 à 51,5% en 2021.
Mais globalement, l'effort financier des départements pour les collèges a été marqué par de "fortes disparités", indique la Cour, avec des écarts dans les dépenses d'équipement "allant d'un montant moyen annuel de 2,15 millions d'euros dans les Ardennes à 78,05 millions d'euros en Seine-Saint-Denis".
Un "pilotage central" qui est "encore à construire"
La Cour estime que "la coconstruction du service public" d'éducation entre l'État et les départements pour les collèges est "à consolider". Elle pointe notamment des relations entre les collectivités et les services du ministère "variables d'un territoire à l'autre". La Cour regrette que "le système éducatif français demeure centralisé : 55,2% des décisions concernant le collège sont prises au niveau de l'État, contre 23,8% pour l’ensemble des pays de l’OCDE". Les concertations qui peuvent exister entre le ministère et les associations d’élus "n’apparaissaient pas suffisamment adaptées aux modalités de mise en œuvre d’une action publique plus décentralisée", c’est pourquoi "une instance de dialogue entre le ministère de l’Éducation nationale et les collectivités territoriales a été mise en place" fin 2022, rappelle la Cour.
L'exemple de la création de la cellule bâti scolaire au ministère
Les Sages pointent du doigt un exemple récent : la création d’une cellule "bâti scolaire" au ministère (voir notre article du 27 juillet 2022). Cela s’est "traduit par la mise à disposition de guides thématiques et de référentiels destinés aux services de l’Éducation nationale et aux collectivités". Or, "alors que le ministère était resté en retrait sur le sujet du bâti scolaire depuis les premières lois de décentralisation, les représentants des collectivités n’ont pas manqué de soulever des interrogations au sujet de l’articulation des travaux de cette cellule avec le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, déplorant des risques d’empiétements sur leurs champs de compétences propres".
Le rapport regrette enfin "un déploiement encore très inégal du service public du numérique éducatif". Or, l'État doit rester garant "du déploiement homogène d'un service public national de l'éducation sur l'ensemble du territoire", juge-t-elle. La Cour souligne également la "nécessaire adaptation aux besoins du service public de l'éducation du XXIe siècle", avec la prise en compte des enjeux environnementaux ou sanitaires (ventilation des espaces, points d'eau, circulation des usagers...). "Bien des départements ont développé une réflexion volontariste en la matière, en demandant parfois au ministère de s'y associer", salue-t-elle.
Pour la Cour des comptes, la détermination de la carte scolaire résulte d’un "pari hasardeux" consistant à estimer que l’État et les départements "partagent des informations et, plus globalement, travaillent ensemble". En effet, "les départements déterminent la localisation des établissements et leur secteur de recrutement, tandis que les informations sur les caractéristiques socio-économiques et le pouvoir d’affectation des élèves sont détenus par les inspecteurs d’académie". Or, poursuivent les Sages, "la décision de créer ou de fermer des établissements scolaires constitue, de toute évidence, un choix de politique publique éminemment stratégique, non seulement en termes d’aménagement du territoire mais aussi en termes de promotion de la mixité sociale". Et d'ajouter que "l’objectif de mixité sociale demande toujours à être rendu opérationnel". La Cour cite le cas des départements en déprise démographique. Elle regrette que "peu de départements se soient saisis de la compétence de sectorisation pour modifier la carte d’implantation de leurs collèges et fermer des établissements, à l’exemple des départements de la Mayenne ou de l’Allier, et plus particulièrement de l’agglomération de Montluçon [...]". "L’élaboration de conventions ruralité, favorisée par le ministère, peut apparaître comme un levier de réflexion partagée sur le bon maillage territorial dans un contexte de baisse démographique", signale la Cour. |