Cités éducatives : des objectifs mal appréhendés, des partenariats insuffisants
Près de deux années scolaires après leur mise en place, les cités éducatives n'ont pas encore prouvé leur plus-value, selon une note de l'Injep. En cause : un flou conceptuel et des partenariats inaboutis.
Les cités éducatives ne semblent pas porter les fruits escomptés. Tel est le constat d'une note intitulée "Évaluation nationale des cités éducatives-Premiers enseignements sur l’appropriation du programme en matière de continuité éducative, d’orientation-insertion et de place des familles", mise en ligne le 10 mai 2022 par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep).
Mises en place à la rentrée 2019 dans certains quartiers prioritaires de la politique de la ville, les cités éducatives reposent sur le renforcement d’une communauté éducative comprenant les professionnels de l’éducation, les parents, les services de l’État, les collectivités et les associations. Elles visent à "intensifier les prises en charge éducatives des enfants et des jeunes de 0 à 25 ans, de la naissance à l’insertion professionnelle, avant, pendant, autour et après le cadre scolaire", et, partant, "à assurer des parcours sociaux et éducatifs cohérents en favorisant la continuité entre les acteurs, les espaces et les temps scolaires et périscolaires". Après une première labellisation de 80 cités en 2019, on en dénombrait 200 au début de l’année 2022, pour un total d'un million de jeunes de 0 à 25 ans concernés autour de 323 collèges et 600 écoles. Les cités éducatives sont dotées de moyens humains et financiers apportés par leurs cofinanceurs (ministère de l’Éducation nationale, ministère de la Ville et collectivités), le budget moyen attribué par l'État s'élevant à un million d'euros pour trois ans.
Clarifier les priorités nationales
Le premier enseignement tient au pilotage tripartite (collectivité, État, Éducation nationale) des cités éducatives. La note rappelle que l’idée du programme n’est pas de "cadrer de manière rigide les actions ou les axes à développer mais de donner de grandes orientations aux cités qui les approfondiront en fonction des besoins et priorités de leur territoire". Toutefois, ce "flou conceptuel […] ne facilite pas l’appropriation du programme par les acteurs de terrain et révèle des divergences entre institutions". Et sans surprise, "plusieurs acteurs locaux ont appelé à clarifier les attentes et priorités nationales".
Toujours à propos de la philosophie du projet initial, la note fait remarquer que la part des actions d’ordre "procédural", c'est-à-dire dévolue à la coordination des acteurs, ne dépasse pas 10%. Pour les auteurs, "cela révèle une dissonance importante entre les objectifs du programme national, qui parie sur la gouvernance, et son appropriation locale".
L’évaluation s’articule ensuite autour de trois thématiques centrales du programme : la mise en œuvre et les effets de la continuité éducative sur le parcours des enfants et des jeunes ; les parcours d’orientation, d’insertion et de formation pour les 11-25 ans ; et les effets de la cité sur la place des familles dans les coopérations éducatives.
Un travail pas toujours collectif
En matière de continuité éducative, on retrouve le travers pointé à propos du pilotage : la notion est perçue comme "complexe" et "appréhendée de manière incomplète". L'incomplétude venant peut-être de la nécessité d'esquiver la complexité... En effet, la logique synchronique (continuité pédagogique dans les différentes activités de l'enfant sur le temps court) est privilégiée à la continuité diachronique (continuité des parcours sur le temps long). Pour cette dernière, les actions sont souvent centrées sur le seul passage du primaire au collège.
Toujours à propos de la continuité pédagogique, la note s'attarde sur les partenariats. Elle relève que l’Éducation nationale est l’acteur le plus impliqué, avec une présence dans 60% des actions analysées, suivie par les collectivités et les associations, impliquées dans la moitié des actions. Quant aux actions impliquant conjointement Éducation nationale, collectivités et associations, elles sont moins fréquentes. "La vocation des cités éducatives à faire travailler ensemble des acteurs éducatifs variés est donc plus ou moins respectée selon les territoires", souligne la note. Cette difficulté à travailler ensemble est encore illustrée par ce que l'Injep appelle le "score des partenariats". Lequel nous apprend que sur 1.035 actions répertoriées, 396 (38%) n'impliquent qu'un seul acteur, 376 (36%) impliquent deux partenaires et seulement 195 (19%) impliquent trois partenaires.
Orientation-formation : des actions "diluées"
Les actions en faveur de l'orientation, de la formation et de l'insertion ont pour leur part été "diluées", selon la note. Environ 12% des actions des programmations 2021 relèvent de cet objectif, avec d’importantes disparités selon les territoires. De plus, "l’orientation fait davantage l’objet de développements, parfois au détriment des actions visant l’insertion et surtout la formation". Des actions d'orientation qui sont principalement destinées aux 11-15 ans, un ciblage que la note explique par la présence d'un principal de collège au sein de la "troïka" de pilotage des cités éducatives. À l'inverse, la lutte contre le décrochage scolaire ne fait "pas forcément l'objet d'actions à part entière".
Le travail autour de la place des familles, troisième thématique centrale, ne semble pas donner de résultats plus probants, bien au contraire. Si un consensus se dessine entre acteurs autour de la nécessité de leur donner une place plus importante, "il ne se fonde généralement pas sur un partage des besoins identifiés et des problématiques prioritaires auxquels répondre". La part des actions réservées aux familles reste "limitée" – 17% des actions recensées dans les revues de projet 2020 – et, là encore, "variable d’une cité à l’autre".
La place des parents en question
Surtout, les actions destinées aux familles relèvent davantage de leur montée en compétences – à travers l'explication des codes et attentes scolaires, l'accès à la santé, à la culture ou au numérique – que de leur participation à la gouvernance ou à la mise en œuvre des cités éducatives. Les parents ne sont en effet présents que dans 23% d’entre elles. Ce qui fait dire aux rapporteurs que les parents sont "avant tout perçus comme des bénéficiaires, moins comme des acteurs". Et la note d'appuyer : si les actions à destination des parents sont surtout portées par les communes et le secteur associatif, "les tensions et rapports de force entre institutions parfois observés sont peu propices à la construction de dispositifs participatifs".
La note s'achève sur un constat pour le moins mitigé, évoquant "une appropriation partielle et inégale des enjeux du programme". Et plus que des consensus, la mission a principalement observé "des compromis, voire des 'cohabitations d’approches' qui peuvent parfois entrer en tension". Pour l'Injep, la tendance est pour l’instant davantage tournée vers un renforcement de partenariats anciens que vers l’émergence de nouveaux acteurs. "Si cela s’inscrit dans la philosophie des cités éducatives, il est encore difficile de mesurer la plus-value du programme sur ces partenariats préexistants", conclut la note.
L'Injep, mandaté par l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) pour piloter l'évaluation des cités éducatives, va poursuivre ce travail jusqu'en juin 2023.