Catherine Arenou : "On parle moins de besoins financiers que de besoin d'organisation"
Désaffection pour les clubs sportifs dans les quartiers politique de la ville depuis la crise sanitaire, pertinence avérée des cités éducatives mais incertitude quant à la pérennité de leurs financements… A l'approche du congrès des maires, Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes, première vice-présidente de l’Association des maires Ville et Banlieue, fait le point sur l'actualité touchant aux quartiers politique de la ville. Elle appelle de ses vœux une organisation "plus transversale" et souhaite "en finir avec les appels à projets" afin que les solutions locales puissent être déployées… et financées.
Localtis - 5,4 millions d'habitants vivent en quartiers prioritaires de la politique de la ville ; un chiffre resté stable entre 2013 et 2018. Quelle réflexion vous inspire la publication des dernières données de l'Insee ?
Catherine Arenou - Cela fait dix ans que l'on dit que ces quartiers représentent entre 5 et 6 millions d'habitants. Mais si les quartiers prioritaires sont les mêmes en termes de géographie, ces millions d'habitants ne sont pas les mêmes. Il serait très intéressant de pouvoir faire des études de suivi de cohorte sur dix ans. Cela signifie sans doute que l'on continue de concentrer la pauvreté, car il y a eu beaucoup de démolitions entre 2013 et 2018 (période de l'étude Insee, NDLR). Car si les quartiers prioritaires sont des concentrations de pauvreté, ils sont aussi des tremplins, le lieu d'un ascenseur social qui n'existe plus toujours ailleurs. Une étude démontrait que ces quartiers étaient renouvelés de 20 à 30% tous les deux ans ; ce qui laisse supposer qu'il y a des habitants très installés mais une autre partie qui accède à un logement intermédiaire ou à la propriété. Les politiques publiques liées à la politique de la ville servent non pas les quartiers mais les habitants. Certains habitants ont ça comme point d'appui pour pouvoir avoir un parcours personnel.
Malgré la pertinence avérée des cités éducatives, notamment depuis le début de la crise sanitaire, la pérennisation des financements de l'État pourrait être remise en cause…
Les cités éducatives, issues du rapport Borloo, mises en place à l'automne 2019 soit six mois avant la crise du Covid, étaient définies au départ comme 80 expérimentations nationales avec les moyens d'une expérimentation. Pour ceux qui, comme nous à Chanteloup, font partie de la première expérimentation, les trois ans vont très vite arriver : ce sera en octobre 2022 puisqu'on a commencé en octobre 2019. Fin 2021, on est en train de travailler sur une programmation 2022 dont on ne sait pas si elle sera poursuivie. Nous avons entendu des rumeurs qui laissent entendre que les collectivités pourraient se substituer à l'État pour le financement à la fin de cette période expérimentale. Et là, on délire un peu car ce serait aux collectivités les plus impactées et souvent les plus pauvres de financer une autre forme d'enseignement dont on reconnaît l'efficacité mais qui reste exceptionnelle ? Le droit commun continuerait à s'appliquer ailleurs et les villes qui ont des cités éducatives porteraient le dispositif exceptionnel ? Alors là… bravo.
À partir du moment où on a obtenu l'augmentation du nombre d'expérimentations, quarante dans un premier temps, puis une soixantaine de plus depuis, on voit déjà dans le deuxième et le troisième volets que les moyens donnés sont moindres. Ce qui ne peut pas être un bon signe. En sachant que le dispositif n'est pas étendu à toutes les collectivités qui sont demandeuses et volontaires. Ceci dit, nous sommes dans une période d'échéance électorale, nécessairement compliquée pour demander la pérennisation des financements.
Il existe aussi désormais des "cités de l'emploi" et des "cités de la jeunesse". Qu'apportent ces nouveaux labels ?
Nous avions des dispositifs dans certains secteurs, en Île-de-France, qui étaient assez semblables, de Prêt renouvellement urbain (PRU) mis en place il y a trois ans reposant sur le même concept : "Comment tous les acteurs de l'emploi peuvent travailler sur des programmations qui concernent des jeunes accompagnés en arrêtant de travailler en tuyaux d'orgue." À Chanteloup-les-Vignes, nous avons demandé la labellisation "cité de l'emploi", pour stabiliser le dispositif. Sur un territoire, ce sont souvent les collectivités qui sont les plus agiles. Au final, ce sont les mêmes acteurs mais avec un fonctionnement organisé, certifié et qui fait que personne ne passe à travers les mailles du filet. Donc c'est plutôt une organisation qu'un dispositif particulier. Quant aux cités de la jeunesse, nous sommes un certain nombre de maires pourtant impliqués qui les avons vues apparaître sans avoir compris d'où elles venaient et où elles allaient ! (rires).
Le sport fait également l'objet de préoccupations fortes des maires de banlieue…
Le sport oui ! D'autant plus qu'avec un certain nombre de mes collègues, nous avons été à l'origine du premier Conseil national des solutions par le sport. Dans nos collectivités, après la crise du Covid, il y a une déshérence des clubs sportifs. Nous avions déjà attiré l'attention du gouvernement sur ce point à l'automne dernier. Les deuxième et troisième confinements ont été à l'origine de la fermeture de nombreux clubs de sports. Cela nous inquiétait mais il était très compliqué de trouver des solutions dans ce contexte sanitaire. Le sport est réapparu un peu avant l'été. Et nous avons eu l'espérance, avant la rentrée, que tout le monde allait se précipiter dans ces clubs. Mais les clubs n'ont pas vu revenir leurs adhérents. Perte de motivation pour beaucoup. Et le passe sanitaire est une contrainte supplémentaire. Je ne juge pas, je le signale simplement. Et l'on sait bien que dans les quartiers prioritaires, les habitants vaccinés ne sont pas les plus nombreux. Donc chez nous, les jeunes ne sont pas revenus au sport, avec des conséquences lourdes car pour eux bien souvent, il ne s'agit pas que du "sport-loisirs", "sport-santé", mais aussi du "sport-insertion". Sur beaucoup de territoires politique de la ville comme les nôtres, nous embauchons des éducateurs sportifs municipaux qui se mettent à disposition des enseignants sur le temps de l'école pour faire découvrir tout un tas de sports aux jeunes durant la période de scolarité élémentaire. Mais ce n'est pas une disposition nationale, alors que l'on pourrait tout à fait imaginer qu'il puisse y avoir des organisations sur le temps élémentaire, du CP au CM2, pour que le sport soit l'une des matières enseignées classiquement avec de vrais professionnels.
Le dispositif du Pass'Sport déployé par le gouvernement depuis mai 2021 peine à décoller. Pour quelles raisons selon vous ?
Le Pass'Sport est l'exemple parfait de ce qui tombe du haut et qui tombe mal (rires). Nous avions été quelques maires interpellés par le ministère des Sports pour travailler sur le projet du Pass'Sport qui, qui plus est, existait déjà localement. Nous avions dit : "Faites quelque chose d'agile, quelque chose qui ne soit pas une usine à gaz et éventuellement mettez-nous en interface, nous collectivités locales, mais ne faites pas peser ces Pass'Sport sur les finances des associations qui sont déjà fragiles." Les villes auraient pu, avec les CCAS, étudier qui est éligible au Pass'Sport et se faire rembourser après, très classiquement. Ils ont dit oui et quinze jours après ils nous ont proposé une usine à gaz qui a fait que cela a mis un temps fou à décoller. C'est assez dommage. Il y avait des moyens, des bonnes volontés…
La crise Covid a eu un effet d’accélérateur de pauvreté dans les banlieues. Votre appel au président de la République de novembre 2020 pour demander un milliard d'euros pour les banlieues a-t-il été entendu ?
Cet appel a donné lieu à la prise en compte par le Premier ministre d'un regard nouveau sur nos territoires. Cela a permis de tenir un Comité interministériel des villes qui n'avait pas été réuni depuis sept ans. Cela a permis de rédiger des lettres de mission dans les différents dispositifs. Et d'attribuer 2 milliards d'euros supplémentaires à l'Anru, ce qui n'est pas une mince affaire car certains dossiers étaient bloqués, par manque de financements, dans des avenants qui ne pouvaient pas s'écrire ou se signer. Il y a eu l'investissement dans de nouvelles cités éducatives et l'émergence du Pass'Sport. Globalement, il faut des alerteurs de proximité, comme nous, pour éviter tout effet d'annonce et s'assurer des retombées sur les territoires.
Il y a eu la mise en place des fameux "bataillons de la prévention" dans des territoires – choisis de manière… arbitraire et pour 18 mois – qui sont pour moitié des médiateurs, pour moitié des éducateurs spécialisés pour accompagner des jeunes en difficulté. C'est tombé un peu comme un cheveu sur la soupe car cela n'a pas été travaillé en amont, mais pourquoi pas. Le problème, c'est que les prises en charge de la prévention spécialisée varient beaucoup selon les départements. Les recrutements d'éducateurs spécialisés sont très compliqués en ce moment, qui plus est sur des CDD de 18 mois. Dans mon département des Yvelines, ça démarre enfin après 6 mois un peu compliqués avec une déconnexion complète des médiateurs qui, eux, sont financés par les villes… L'enfer est pavé de bonnes intentions. J'ose espérer que cela va fonctionner. Mais cela sera d'efficacité variable selon les territoires.
Dans quels secteurs faudrait-il déployer prioritairement les crédits ?
On parle moins de besoins financiers que de besoin d'organisation. Par exemple, nos territoires sont les territoires les plus jeunes. Toutes nos collectivités comptent environ 50% de jeunes de moins de 25 ans. Ce qui implique un impact considérable de nos politiques jeunesse, éducatives, périscolaires, crèches – donc tout ce qui touche les 0-25 ans – sur nos budgets municipaux. Cela fait un moment que nous demandons une aide ou une subvention de surcharge scolaire, dont les chiffres seraient assez faciles à évaluer via les inscriptions scolaires. C'est encore reporté aux calendes grecques alors que nos budgets municipaux enfance et jeunesse sont énormes. Et c'est au détriment d'autre chose ; il n'y a pas de mystère. Nous sommes très demandeurs d'une organisation plus transversale. C'est un peu l'objet du premier Conseil national des solutions dédié au sport. Nous allons d'ailleurs bientôt organiser un Conseil national de la culture.
Justement, qu'a apporté le premier Conseil national des solutions qui s'est tenu le 16 octobre dernier ?
Nous avons voulu attirer l'attention de tous : des collectivités, des maires volontaires, des fédérations aussi qui avaient beaucoup de bonne volonté mais qui n'ont pas l'accroche locale leur permettant de monter des projets, d'amplifier leur présence sur le territoire. Beaucoup de territoires ont un tas de solutions sur place mais qui n'arrivent à prendre d'ampleur au niveau national.
Concernant la culture, par exemple, il n'existe aucune lecture transversale sur nos territoires. Il faudrait vraiment inverser ce fonctionnement français très descendant et qui est fait de beaucoup d'effets d'annonce car tout est compliqué et ne retentit pas forcément sur les territoires. Les dispositifs reposent souvent sur des appels à projets, certes très pratiques pour le gouvernement car très lisibles et communicables mais pour les trouver, il faut être en veille permanente, il faudrait avoir des équipes dédiées, des têtes chercheuses au sein des collectivités locales, avoir le temps de monter les dossiers, d'évaluer…
Concrètement, pour inverser cette logique, il faudrait s'appuyer sur le préfet délégué pour l'égalité des chances et des sous-préfets chargés de la politique de la ville dans chaque département. Territoire par territoire, comme on fait des contrats de ville avec des comités de pilotage, comme on le fait dans les cités éducatives, les acteurs s'accordent sur un projet et ensuite, les financements de l'État abondent sur un objectif que tous les acteurs ont partagé.