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Changer de méthode pour ouvrir massivement codes et des données

Le rapport sur la politique publique de la donnée publié fin décembre 2020 invite à changer de méthode mais pas d’objectif sur un sujet aux enjeux démocratiques, économiques et sociétaux considérables. Parmi la trentaine de recommandations, on retiendra le renforcement du portage politique et de l’accompagnement des administrations. Quant aux données d’intérêt général, le rapport plaide pour des obligations ciblées et un développement des incitations.

28 milliards d’euros de retombées économiques pour l’open data en France en 2019 selon la Commission européenne. Ce chiffre, indiqué par le rapport de la mission conduite par le député des Côtes-d’Armor Éric Bothorel sur la politique publique de la donnée vise à couper court aux critiques sur l’open data. Le rapport regorge du reste d’exemples concrets d’usages de la donnée publique. Pour piloter la lutte contre la pandémie, repérer les entreprises en difficulté, trouver des emplacements pour les énergies renouvelables ou encore acheter un bien immobilier au juste prix, la donnée publique est aujourd’hui au cœur de nombreuses applications. Le point national d’accès aux données de mobilité Transport.data.gouv.fr – dont le ministère des transports a officialisé la pérennité le 5 janvier – ou le Géoportail de l’urbanisme – qui compile les PLU et autres documents de plus de 10.000 collectivités – sont des outils exploités quotidiennement par des centaines de "réutilisateurs".

Un déficit de portage politique 

Si les acquis sont là, l’ouverture et la circulation des données restent très imparfaites. Trop d’administrations "ne jouent pas le jeu" déplore le rapport qui note que dans 80% des cas l’administration ne répond même pas aux demandes, et un délai moyen de réponse de la Cada de 176 jours en 2019. "Au mieux, l’ouverture est perçue comme une obligation ; au pire, les acteurs ne se sentent pas concernés", certains "l’assimilent à un enjeu "tech" alors que c’est d’abord et surtout une question politique, démocratique, scientifique et économique". Côté collectivités, la marge de progression reste également très importante avec près de 90% des structures concernées par les obligations de la loi Lemaire sans aucun jeu de données publié (lire notre article du 20 octobre 2020). La réutilisation des données tient par ailleurs souvent du parcours du combattant. A la multiplication des sites et des portails s’ajoute un manque de standardisation, de complétude et de qualité des données.

Un administrateur général des données à temps plein

Face à ce diagnostic – connu – le rapport invite à "changer de méthode mais pas d’objectif". Constatant que l’intérêt de l’open data a "encore besoin d’être affirmé et démontré" il invite à former massivement agents et dirigeants à la "culture de la donnée". Sans oublier les élus car "sans portage politique, la politique d’ouverture des données et des codes sources ne peut s’envisager faute d’une priorisation des moyens humains, techniques, financiers et juridiques". La nécessité du portage politique vaut autant pour les collectivités que pour l’État. Le rapport déplore en effet le portage bicéphale du sujet avec la direction interministérielle du numérique (Dinum) pour le volet technique et la direction interministérielle de la transformation publique (Ditp) pour le volet accompagnement du changement. Recommandant un pilotage au niveau du Premier ministre, il préconise la création d’un poste administrateur général de la donnée, des algorithmes et des codes sources (Agdac) à plein temps, cette mission étant aujourd’hui noyée dans les multiples attributions du Dinsic.

Cnil, Cada et Anssi en renfort

Pour mieux accompagner les administrations, le rapport estime qu’il faut aussi muscler les compétences et capacités d’accompagnement humain de la Cada, de la Cnil et de l’Anssi. Soutenant les demandes (répétées) de la Cnil d’augmenter ses effectifs – notamment dans des profils autres que des juristes – il propose aussi d’attribuer à la Cada un pouvoir de sanction. Quant à l’Anssi, elle serait amenée à éclairer la politique d’ouverture des codes sources et à apporter son expertise sur la sécurité et l’anonymisation des données. Concernant les petites collectivités, le rapport préconise que l’Anct se saisisse pleinement de l’open data et contribue au financement, aux côtés des régions, des politiques d’ouverture des codes et des données. En matière de logiciels libres, il propose de fédérer les communautés existantes et de créée une mission spécifique au sein du programme "tech.gouv".

Investir dans les infrastructures

Insistant sur la nécessité d’investir dans les infrastructures, enjeu de souveraineté et clef du développement des usages "big data" (IOT, intelligence artificielle…), le rapport invite l’État à mobiliser les financements pour la création de plateformes de partage de données sectorielles ou intersectorielles (santé, environnement, Etat-collectivités…). S’il considère que le portail data.gouv.fr participe à une vision "communautaire et fédératrice" de l’open data et facilite la publication de données des petites collectivités, il estime qu’il doit se doter des moyens nécessaires pour être "consolidé".  Parmi les pistes : proposer davantage de contenu éditorial, de fonctionnalités et fournir des informations sur toutes les bases de données publiques existantes, y compris celles non ouvertes ou en accès restreint. Quant aux API (acronyme anglais qui signifie "Application Programming Interface", que l'on traduit par interface de programmation d'application et qui sont les connecteurs pour l’accès aux données) le rapport insiste sur leur intérêt (automatisation des mises à jour, maîtrise possible des réutilisations) mais souligne aussi qu’elles peuvent restreindre les usages aux techniciens et générer des coûts importants.

Souplesse pour les données d’intérêt général

En matière de "données d’intérêt général", produites par des acteurs privés mais permettant d’éclairer voire d’agir pour l’intérêt général, le rapport plaide pour une approche souple et différenciée. Il estime qu’il ne faut pas chercher à figer une définition des données d’intérêt général dans la loi – qui aurait toutes les chances d’être inconsistante ou attaquée – mais privilégier des règles sectorielles en fonction de besoins clairement identifiés. Une stratégie aujourd’hui en vigueur dans plusieurs secteurs – mobilité, énergie, logement, santé… – qui gagnerait néanmoins à se doter d’une "doctrine d’action" commune. Il propose aussi de créer un cadre juridique pour favoriser les démarches volontaires de partage de données (type hub) et invite à garantir l’effectivité de l’accès des collectivités aux données des concessionnaires et délégataires de services publics. Quant à l’accès aux données des grandes plateformes internet – demandées par de nombreux acteurs publics - le rapport estime que seule l’Europe est en capacité d’agir. Avec pour principal défi d’apporter des garanties fortes au citoyen sur l’anonymisation des données personnelles. Le partage volontaire et de données personnelles par le citoyen, notamment à l’échelle locale, est du reste encouragé de même que la simplification des procédures permettant de déroger aux règles du RGPD à des fins d’expérimentation.