Archives

Coopération - Ces agglomérations qui font tomber les frontières

Avec la libre circulation, les soixante agglomérations transfrontalières sont devenues les coutures du patchwork européen. Elles se réunissent mercredi 19 novembre au Parlement de Strasbourg pour donner le coup d'envoi du projet EGTC (Expertises de la gouvernance dans les conurbations transfrontalières). L'objectif : promouvoir les meilleures formes de coopération. Décryptage des enjeux avec Jacques Houbart, directeur de la Mission opérationnelle transfrontalière, chef de file du projet.

 

Localtis : Quels sont les objectifs du projet EGTC ?

Jacques Houbart : L'idée du projet EGTC est de promouvoir des outils de gouvernance innovants en matière de coopération transfrontalière à partir d'un échantillon de six agglomérations*, plus la MOT qui joue le rôle de chef de file. Le projet se fixe deux niveaux de travail : l'un local, dans le but d'échanger sur les pratiques, l'autre européen pour faire dialoguer les sites avec les référents nationaux puis faire remonter les recommandations à Bruxelles. Dans la perspective de la modification prévue en août 2011 du règlement communautaire du 31 juillet 2006 qui a institué le Gect (groupement européen de coopération transfrontalière), Danuta Hübner, la commissaire chargée de la politique régionale, s'est d'ores et déjà montrée très intéressée par ces remontées d'expériences.
C'est la première fois qu'Urbact finance un projet de mise en réseau d'agglomérations transfrontalières. Or ce réseau prend toute sa signification à l'heure des premiers Gect : l'eurométropole Lille-Tournai-Courtai et l'eurorégion Ister-Granum entre la Slovaquie et la Hongrie. Plusieurs autres sont en gestation.

 

En quoi est-il si important de donner corps à ces agglomérations ?

Sous l'impulsion de la France (et de la MOT) qui historiquement a une forte expérience de coopération transfrontalière, surtout aux frontières Nord et Est, s'est développé un droit de la coopération transfrontalière. Le GECT doit permettre de passer des idées aux actions. Le processus a commencé avec la mise en place du programme Interreg au début des années 1990 pour soutenir des activités régionales transfrontalières : plus de quinze ans après, les collectivités doivent sortir du discours, des études et des petites actions ponctuelles.
On a pendant longtemps essayé de travailler avec le droit français, mais ça a assez mal fonctionné, les collectivités étrangères acceptant mal cette prééminence du droit français. Le GECT offre de nombreux avantages, c'est un cadre réglementaire de codécision. Il donne la possibilité d'utiliser le droit du lieu du siège en négociant des contreparties pour celui qui n'a pas le siège.
Autre avantage de taille : il est possible d'avoir, dans la même structure, l'Etat aux côtés des collectivités territoriales. C'est très important, car dès qu'on dépasse la frontière, on a des compétences d'Etat.

 

Aujourd'hui, les exemples de coopération transfrontalière les plus poussés se font avec la Suisse qui n'est pas membre de l'Union européenne. N'est-ce pas paradoxal ?

La coopération avec l'agglomération genevoise est en effet très forte. C'est la seule agglomération transfrontalière qui a un plan stratégique à vingt ans en matière de transports : tarification unique, intermodalité, logements. Cette agglomération concerne 500.000 personnes côté suisse et 250.000 sur la couronne française, avec des cofinancements français et suisses. Mais cette coopération est freinée dans sa gouvernance. Et le Gect tel qu'il est prévu aujourd'hui n'est pas suffisant. Il y a aujourd'hui possibilité d'avoir un Gect avec des pays voisins membres du Conseil de l'Europe mais il faut pour cela l'implication d'au moins deux Etats membres de l'Union européenne et que le siège soit dans l'un de ces deux pays. Il  faudra trouver une formule pour assouplir ces conditions.

 

Avec 300.000 salariés français qui travaillent dans un pays frontalier, la France est la première concernée par ces échanges. Qu'est-ce qui explique cette spécificité ?

C'est aussi ce qui explique qu'un tiers des Gect en gestation implique des collectivités françaises ! On a perdu 400.000 emplois suite aux fermetures des industries primaires du Nord et de l'Est. Ces salariés sont allés retrouver du travail là où il y en avait, de l'autre côté de la frontière, en Allemagne, au Luxembourg, en Suisse, en Belgique. Dans le même temps, on n'a pas réimplanté les activités économiques nécessaires. On ne s'est pas non plus posé les bonnes questions en termes de coût à long terme de ces échanges, d'impact sur les transports, les services, l'immobilier... Aujourd'hui, 300.000 migrants français vont en effet travailler tous les jours à l'étranger. Mais il n'y a en sens inverse que 10.000 migrants qui viennent en France. Le déséquilibre est encore très fort et il faut trouver des formes de régulation.

 

Comment remédier à ces déséquilibres ?

Pour reprendre l'exemple de la Suisse, les salariés sont prélevés à la source contrairement à la France, ce qui représente un manque à gagner en termes de finances publiques. Il faudra travailler sur les accords de compensation financière. Par exemple, la Suisse reverse aux collectivités françaises 3,5% de la masse salariale brute pour compenser les prélèvements sur les salaires des frontaliers. Le même système existe entre le Luxembourg et la Belgique mais pas entre le Luxembourg et la France. Or, c'est un surjet très important car il y a une certaine forme de concurrence déloyale. Le rapport du préfet Lemaire qui est sur le point d'être publié devrait comporter une série de recommandations pour remédier au de déséquilibre des charges sociales et aux différences de législation fiscale.
En définitive, l'enjeu est qu'on ait un jour une politique européenne spécifique pour les agglomérations transfrontalières.

 

Propos recueillis par Michel Tendil

 

* L'eurométropole Lille-Tournai-Courtrai (France/Belgique), l'agglomération Francfort-sur-l'Oder/Slubice (Allemagne/Pologne), l'eurocidade Cheves-Verin (Portugal/Espagne), le Gect Ister-Granum (Hongrie/Slovaquie), l'eurodisctrict Strasbourg-Ortenau (France/Allemagne), l'eurodistrict trinational de Bâle (Suisse/Allemagne/France).