Certificats d’économies d’énergie : des outils de pilotage à consolider, selon un nouveau rapport inter-inspections

À l’aube de sa sixième période, le dispositif des certificats d’économies d'énergie, qui vient déjà de faire l’objet d’un audit de la Cour des comptes, est passé en revue par les grands corps d’inspections dans un rapport datant de juillet mais mis en ligne ce 17 octobre seulement. Si les constats présentent des redondances, en particulier sur les lacunes des outils d’évaluation et de pilotage au regard des enjeux financiers, les recommandations y sont plus nuancées notamment sur le système de bonifications. Une certitude : l’État doit, dès à présent, clarifier sa stratégie et les objectifs qu’il poursuit, pour mieux les articuler avec l’ensemble des dispositifs promouvant des économies d’énergie, notamment dans le secteur résidentiel avec la subvention "MaPrimeRénov'", du fait du fort couplage des deux instruments.

Les dernières semaines ont été riches en actualités concernant le dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE), avec la parution le 17 septembre dernier d’un rapport de la Cour des comptes formulant des recommandations pour les travaux d’élaboration de la sixième période et le lancement par l’Ademe, à la demande de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), d’une étude relative à l’évaluation du dispositif - confiée au cabinet Colombus Consulting -, à l’image de ce que l’agence avait précédemment réalisé en 2019. 

C’est également dans la perspective de la sixième période des CEE, qui débutera en 2026, qu’un rapport inter-inspections - Inspection générale des finances (IGF), Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd), Conseil général de l’économie (CGE) - a livré ses constats et ses préconisations au diapason de l’audit réalisé par les magistrats de la rue Cambon. 

Une navigation à l’aveugle

Ce dispositif, dont le coût est majoritairement répercuté sur les factures d’énergie des ménages (entre 3 et 4,5% de ces factures), est en croissance très forte depuis sa création, le niveau d’obligation ayant été multiplié par 57 depuis 2006. Sa physionomie actuelle, très axée sur le secteur résidentiel (près de 70% des délivrances de CEE depuis la quatrième période), a été "modelée" par l’État grâce à une obligation spécifique "Précarité", qui contraint à produire 36% des CEE auprès de ménages aux revenus très modestes, au système de "bonifications", qui représentent depuis la quatrième période près du tiers des délivrances, principalement au profit des logements, et à la possibilité de coupler les primes CEE à "MaPrimeRénov'" (MPR) pour les ménages, relève le rapport. 

Si l’État y joue donc un rôle majeur, il ne dispose pas pour autant des outils de pilotage permettant de s’assurer de l’efficacité des mécanismes incitatifs associés et du dispositif en général. Pas plus que ne sont mieux appréhendés les "effets d’aubaine", ni les risques inflationnistes sur le coût des travaux. La mission tripartite pointe des limites et vulnérabilités importantes en termes d’évaluation et de contrôle exercés par l’État face aux fraudes et malfaçons. 

À la "cécité" sur les paramètres financiers s’ajoute en outre une connaissance "approximative" des gisements d’économies, malgré une nette amélioration méthodologique dans le secteur résidentiel, ainsi qu’une évaluation "encore balbutiante" des gains réels d’économies d’énergie. 

Des insuffisances d’autant plus préoccupantes au vu du poids financier du dispositif estimé à plusieurs milliards d’euros annuels (près 6 milliards d’euros par an en moyenne) - qui pourrait encore augmenter fortement en sixième période (jusqu’au doublement de l’obligation actuelle, soit 1.600 TWhc par an) - et compte tenu de sa répercussion sur le prix des énergies essentiellement à la charge des ménages (70% du financement du dispositif). Le coût moyen pour un ménage pourrait ainsi atteindre 480 à 580 euros par an (contre environ 160 euros actuellement) dans le cadre des estimations de contribution des CEE à la directive relative à l’efficacité énergétique (DEE) révisée en 2023. 

Clarifier les objectifs pour la prochaine période

Ces constats effectués par la mission la conduisent à recommander de renforcer l’évaluation du dispositif sur la base d’objectifs "plus précisément définis" et d’améliorer la connaissance de ses grands paramètres, tels que l’effet incitatif des aides apportées aux différents ménages, l’articulation avec les subventions publiques dont "MaPrimeRénov’", et les économies d’énergie réellement obtenues grâce aux travaux entrepris. 

"Si un signal clair a été donné en faveur des ménages aux revenus très modestes dans le cadre de l’obligation 'Précarité', les inflexions en faveur de la décarbonation et des rénovations globales sont moins nettes et se déduisent plus des actions menées in concreto que d’une stratégie claire énoncée en début de période", souligne le rapport. Ces choix ou objectifs "ne sont pas neutres" sur le coût du dispositif pour les ménages - et/ou sur le volume des économies d’énergie, insiste-il. 

La mission estime que ces décisions structurantes relatives aux CEE devront être prises sur une base interministérielle, et souligne la nécessité de fournir au Parlement les éléments d’éclairage nécessaires à l’exercice de ses prérogatives, consistant à encadrer le niveau de l’obligation pour la prochaine période. 

L’augmentation éventuelle de la part relative de l’obligation "Précarité", qui détermine le caractère plus ou moins redistributif du dispositif, sera l’un des paramètres importants à fixer pour la sixième période. Il s’agit aussi d’offrir un cadre rationnel et stable sur la période considérée, notamment en précisant la doctrine d’usage des programmes et bonifications, "qui, de par leur flexibilité, présentent des risques de dérive", note le rapport. C’est ici un point de divergence avec la Cour des comptes. La mission "n’a pas considéré que de telles interventions, pour autant qu’elles répondent à une stratégie claire, documentée et partagée, soient a priori illégitimes ou contreproductives". 

Améliorer l’évaluation du dispositif

Établir une méthode robuste d’évaluation des gisements "technico-économiques" sur le bâtiment résidentiel et le secteur tertiaire en particulier, en se nourrissant des expertises extérieures (par exemple celle du Centre scientifique et technique du bâtiment) constitue un autre axe de progrès. Cela passe également par une meilleure compréhension des variations de comportements en fonction des incitations. Le rapport préconise ainsi de mettre en place, au titre des dossiers CEE, les remontées d’informations nécessaires à l’évaluation des taux de couverture des travaux par les primes. 

De même pour les autres aides perçues, que ce soient des subventions MPR ou du fonds chaleur, pour analyser le cumul de ces aides avec les CEE. "L’articulation des primes CEE avec les subventions aux ménages MPR reste largement méconnue, sauf dans le cadre des chantiers de rénovation globale de l’habitat, pour lesquels les deux aides ont été récemment fusionnées dans le cadre d’un barème subventionnel", remarque le rapport. 

Le calcul conventionnel des économies d’énergie réalisées grâce au dispositif pourrait également s’accompagner de "campagnes mesurages" pour corroborer les forfaits utilisés et connaître l’impact exact des CEE. Pour progresser dans l’évaluation régulière du dispositif, une augmentation significative des moyens humains et financiers alloués paraît également pleinement justifiée "de préférence au sein des budgets de l’État et de l’Ademe". 

Renforcer l’efficacité des contrôles

La mission considère qu’on pourrait aller "un cran plus loin", en envisageant la possibilité de suspendre temporairement la délivrance de CEE sur la base d’une suspicion de fraude. Elle attire par ailleurs l’attention sur le nouveau rôle de l’Anah pour les dossiers de rénovation globale et sa mise en oeuvre opérationnelle en matière de contrôle. "L’allègement des taux de contrôle évoqué par l’Anah pour les dossiers de rénovation globale, qui viennent de lui être transférés, par rapport à ceux qui étaient imposés au titre des CEE aux obligés (passage de 100% de contrôles à près de 10%, selon la compréhension qu’en a la mission) ne semble pas adapté au vu des risques de fraude qu’ont fait ressortir, sur ce dossier spécifique, les récentes opérations de contrôle du PNCEE [pôle national CEE]", pointe la mission. 

Pour des dossiers qui seraient constitués par l’Anah avant d’être instruits par le PNCEE, il importe "de clarifier les circuits et responsabilités des contrôles de ces deux entités". "Il est probablement sous-optimal de considérer que le PNCEE contrôlera les dossiers de l’Anah, pour éventuellement annuler ex-post des CEE qui auront déjà été vendus par l’Anah, ce qui risque de faire reposer sur cet organisme la responsabilité d’effectuer l’essentiel des vérifications", analyse-t-elle. Le rapport recommande notamment d’expertiser l’inclusion dans le référentiel de l’Anah du contrôle de la qualité des travaux. 

Enfin, une réflexion mérite aussi d’être menée, selon lui, sur les moyens de garantir l’indépendance et l’impartialité des acteurs de la chaîne de production des CEE que sont les nouveaux Mon Accompagnateur Rénov, dit MAR, mais aussi les contrôleurs CEE habilités Cofrac, "d’autant que ces acteurs peuvent disposer de liens capitalistiques avec d’autres intervenants sur des chantiers CEE". 

 

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