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Cécile Gallien : "L'envie de ruralité n'est pas une mode, c'est une tendance forte"

Vice-présidente de l'Association des maires de France (AMF) et maire de Vorey (Haute-Loire), Cécile Gallien participait au deuxième comité interministériel aux ruralités du 14 novembre en tant que membre de la mission Agenda rural. Elle revient dans le détail sur les enjeux du plan de relance pour la ruralité et dresse un bilan de l'Agenda rural avant de passer à l'acte 2. Si la ruralité connaît un réel regain d'attractivité, celle-ci doit être accompagnée par une politique de "réaménagement du territoire" qui "ne dépend pas que de l’État" et qui doit mobiliser l'ensemble des collectivités sur le terrain.

Localtis - Cinq milliards d’euros sur les 100 milliards d’euros du plan de relance devraient bénéficier directement aux territoires ruraux qui représentent près d'un tiers de la population. Cela vous semble-t-il suffisant ?

Cécile Gallien - Tout d’abord, le plan de relance ne s’adresse pas qu’aux collectivités locales. Il apporte des aides directes aux entreprises notamment aux PME pour la réindustrialisation et l’innovation, y compris celles situées en milieu rural. À ce sujet, 18% des emplois en zone rurale sont des emplois industriels (11% dans les autres territoires). Ensuite, 30% des crédits du plan de relance ont pour but de passer à une transition écologique et énergétique, qui devrait, par nature, concerner largement les territoires ruraux.

S’agissant plus précisément des 5 milliards d’euros, il s’agit d’un chiffre estimatif et plancher. Il inclut notamment le volet agricole qui bénéficie d’1,1 milliard d’euros, dont les aides pour les cantines et les projets alimentaires territoriaux (PAT). Les Territoires d’industrie bénéficient de 400 millions d’euros, or beaucoup sont dans des départements ruraux, on en compte deux chez moi. Il y a aussi les aides au tourisme durable (50 millions d’euros dont 10 pour les restaurants et 40 pour les hébergements touristiques qui, tous, en auront bien besoin ) ou encore les crédits ouverts sur le "plan très haut débit" (240 millions d’euros).

De plus, de nombreuses enveloppes du plan de relance bénéficieront aux collectivités, notamment rurales, qui portent des projets dans le cadre de la relance : la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) exceptionnelle ouverte en 2020 (950 millions d’euros) ; le ministère de la Cohésion des territoires rajoute 250 millions d’euros de FNADT. C’est aussi le cas de la rénovation thermique des bâtiments publics (950 millions d’euros pour les collectivités territoriales). Charge à nous d’activer tout cela.

Et puis il y a toutes sortes de politiques publiques qui devraient bénéficier aux communes rurales à hauteur de 30%, sachant en effet qu’un Français sur trois environ habite dans le rural. Une partie d’entre eux sera éligible aux 2 milliards de l’aide à la réhabilitation des logements pour les ménages modestes MaPrimeRénov’. Sur les 6 milliards d’euros du Ségur de la santé, 2,2 sont territorialisés. Il y a aussi la biodiversité et la prévention des risques (300 millions d’euros), la modernisation des réseaux d’eau et d’assainissement (300 millions d’euros), la résilience des réseaux électriques (50 millions d’euros) et l’inclusion numérique (250 millions d’euros).

Comment s’assurer que cet argent bénéficiera bien aux petites communes ?

Les crédits ne manquent pas mais il faudra que les préfets de département, grâce au binôme essentiel préfet-maire, veillent au grain. Les référents ruralité dans chaque département auront un rôle majeur pour s’assurer que ces 5 milliards vont bien aux petites communes. Il a aussi été acté, comme nous le souhaitions dans l’Agenda rural, que dans chaque ministère un référent ruralité soit à la manœuvre. La création du CIR (comité interministériel aux ruralités) permet tous les 6 mois de faire le point sur les avancées de l’Agenda rural, mais les ministres devront aussi présenter le bilan des crédits du plan de relance alloués aux départements ruraux. Les cinq membres de la mission Agenda rural sont là pour alerter. On a aussi demandé des outils data libres d’accès à tous les citoyens qui vont permettre, géographiquement, d’avoir un état des lieux par exemple sur la présence de la 4G ou les zones encore non couvertes, les villes bénéficiaires des actions Cœur de Ville, Petites Villes de demain, les montants de DETR ou DSIL versés par commune. Ces outils s’appuieront sur le même modèle que l’open data du ministère de l’Économie sur les aides aux entreprises et salariés (fonds de solidarité, PGE, activité partielle...).

Mais cet argent du plan de relance ira aussi aux petites communes si leurs intercommunalités les aident et les associent en termes d’ingénierie. Il faudra de même que l’ANCT actionne son ingénierie. C’est ce qui permettra de faire émerger et surtout de financer les projets qui leur permettront de gagner de la population. Et ce, en conjuguant les aides sociales des départements et économiques des régions. Chacun doit jouer le jeu. La politique de réaménagement du territoire ne dépend pas que de l’État, c’est un choix politique sur le terrain.

La crise a confirmé ce "désir de campagne" dont on parle depuis plusieurs années. Ce qui pose la question de l’attractivité des territoires ruraux : santé, jeunesse, mobilité, numérique, commerce... Où en sont les propositions de l’Agenda rural et quelles sont les mesures prioritaires de l'acte 2 lancé le 14 novembre ?

Depuis des années déjà, des communes rurales voient leur population augmenter. 80% sont dans cette situation, c’est un renversement de situation. L’exode rural est terminé. Une enquête de septembre 2019 fait apparaître que 45% des Français préféreraient vivre à la campagne dans l’idéal. Avec la crise du Covid et le premier confinement, la campagne est apparue comme une valeur refuge, de nombreux urbains sont venus s'y réfugier, certains y sont restés. La politique c’est prévoir. C’est l’objectif de l’Agenda rural. Il faut que l’État accompagne cette envie de ruralité. Car ce n’est pas une mode, c’est une tendance forte.

Sur les 180 mesures de l’Agenda rural, une centaine sont en cours. Parmi les mesures que je considère comme prioritaires dans l’acte 2, il y a évidemment la prolongation des ZRR (zones de revitalisation rurale) jusqu’à fin décembre 2022. C’est une mesure majeure, vitale pour nos petites entreprises, nos Ehpad… Par ailleurs, la nouvelle définition - tant attendue et souhaitée dans l’agenda - des communes rurales par l’Insee va aboutir au versement d’une enveloppe plus conséquente de la DETR en leur faveur.

Plusieurs mesures majeures vont être mise en œuvre : le renforcement des centralités (et de leurs commerces) avec les 170 premières Petites Villes de demain sur trois régions, l’allocation de 3,3 milliards d’euros pour booster la couverture internet avec l’objectif du haut débit d’ici fin 2020, du très haut débit (30 mégabits/s) d’ici fin 2022 et de la généralisation de la fibre pour 2025. Il fallait mettre le paquet. Et concernant la téléphonie mobile à déployer sur les zones non ou mal couvertes, souvent à la campagne, 2.066 zones non couvertes ont été actées par arrêté ministériel et 800 de plus le seront en 2021. Soit presque 3.000 sur les 5.000 zones pylônes prévues dans le New Deal Mobile de 2018.

En matière de services publics, on compte désormais 856 maisons France services, avec la labellisation récente de 323 maisons. 250 millions d’euros sont mobilisés par le plan de relance pour soutenir les Français quant à l’utilisation du numérique.

Et puis il y a la santé. C’est là qu’il va falloir passer à la vitesse supérieure. Si la création de 1.400 contrats d’assistants médicaux, la télémédecine avec ses 1 million de consultations par mois durant le Covid et son remboursement à 100%, ainsi que les augmentations de rémunération décidées dans le Ségur et le PLFSS pour les infirmières, aides-soignantes et aides ménagères vont dans le bon sens, il est nécessaire d’accélérer l’accueil dans les zones sous-dotées d’internes en médecine (objectif de 1.500 stages supplémentaires en territoire rural) ainsi que le salariat de médecins. 50 médecins salariés ont été recrutés en un an, cela peut paraître peu, mais on espère que les territoires s’organiseront pour en accueillir. Une petite commune rurale ne peut pas le faire toute seule, il faut une dynamique collective au niveau de plusieurs communes, de l’intercommunalité, avec l’aide du département, des hôpitaux, de l’Ordre des médecins…

En matière de mobilité, les décisions de modernisation de quelques petites lignes ferrées avec les régions, et la relance de trains de nuit sont inclues dans le plan de relance. Mais il faut lancer le chantier de la mobilité du quotidien jusqu’au dernier kilomètre, toujours avec l’aide de l’État via des appels à manifestations d’intérêt qui vont permettre aux territoires de s’organiser en intermodal. À charge aux territoires d’inventer des solutions utiles et efficaces. 

Concernant les jeunes, près de 10.000 ruraux ont bénéficié du dispositif "Les cordées de la réussite" afin qu’ils accèdent aux études supérieures ; ce nombre passera à 20.000 d’ici 2022. 19 campus connectés sur 33 ont été créés dans les départements ruraux. Mais il ne s’agit pas de dire aux jeunes ruraux : "Restez chez vous." Au contraire. C’est une solution pour de jeunes couples par exemple, avec enfants, permettant à l’un des parents de suivre des études supérieures sans avoir à déménager. L’Agenda rural entendait aussi ouvrir davantage Erasmus aux jeunes ruraux. Car parfois les ruraux s’autocensurent, notamment les filles...

Accueillir de nouveaux habitants, c'est aussi des logements...

L’enjeu du développement de l’habitat est primordial. Si l’on veut accueillir des habitants, il va falloir que les maires soient aidés pour réhabiliter les logements vacants, qu’une enveloppe conséquente du plan de relance soit attribuée via des Opah par exemple. La prolongation du PTZ pour les ménages des secteurs ruraux non tendus est une bonne chose, les ORT devraient également s’étendre aux territoires ruraux si leurs intercommunalités se mobilisent. Nous avons aussi besoin de construire du neuf dans les villages et bourgs, et le principe recherché de zéro artificialisation ne doit pas nous en empêcher car les moins vertueux n’ont pas forcément été les communes rurales.

Il nous semble par ailleurs utile qu’une réflexion sur le foncier agricole soit lancée pour permettre l’installation de nouveaux agriculteurs et développer les productions locales.

Enfin, on a souhaité que les contrats de réciprocité entre villes et campagnes se développent, voire deviennent obligatoires dans les attributions de crédits type CPER. S’il n’y a pas d’obligation, cela va être très compliqué

L’une des questions qui vous tient à coeur est celle des "aménités rurales", c’est-à-dire la valorisation des bienfaits apportés par ces territoires au reste du pays. Quelles sont les pistes envisagées ? Connaît-on le calendrier ?

Je suis très heureuse que les aménités aient été inclues dans l’Agenda rural et que les ministères aient commandé un rapport en mars 2020. Le pré-rapport qui nous a été présenté oralement propose enfin une définition et des pistes de valorisation en termes de politiques publiques, de politiques agricole et environnementale, d’aménagement du territoire, de coopérations entre urbains et ruraux, avec un chapeau développement rural durable. On pourrait aussi imaginer un fonds d’amorçage Aménités rurales dans le plan de relance doté d’1,4 milliard qui compenserait l’inéquité de la DGF, les communes rurales en percevant deux fois moins que les urbaines par habitant. Les aménités posent une question de rééquilibrage, c’est un peu révolutionnaire. Dans le pré-rapport, il est recommandé d’insérer dans la loi la reconnaissance de ces aménités. Reste à savoir si les parlementaires voudraient aller jusque-là. À l’heure où les Français et habitants du monde s’interrogent sur l’avenir de la terre, il est à mon avis essentiel que ce rapport soit publié et donne lieu à une discussion. Ce serait d’utilité publique.

 

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