Sécurité - Carrière des policiers municipaux : un quinquennat pour rien ?
Pour ce qui sera sans doute sa dernière commission consultative des polices municipales (CCPM), le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, a défendu, le 29 novembre, le bilan de son action en faveur des polices municipales depuis son arrivée place Beauvau en 2014. Une période qui a été marquée par la vague d'attentats islamistes et l'accord passé avec l'Association des maires de France (AMF) en janvier 2015 sur la sécurisation des policiers municipaux : livraison d'armes de poing, achat de gilets pare-balles, interopérabilité des réseaux de radiocommunication… Depuis lors, l'Etat a contribué à "l'achat de 12.108 gilets pare-balles et 2.700 revolvers Manurhin qui ont déjà été distribués au profit de 270 communes", a détaillé le ministère, dans un communiqué, diffusé à l'issue de la réunion. Cet "effort sera poursuivi et amplifié", assure-t-il. Par ailleurs, 385 communes "ont fait connaître leur intérêt pour le dispositif d'interopérabilité des réseaux de radiocommunication".
En revanche, le ministre s'est une nouvelle fois opposé à la généralisation de l'armement comme l'a proposé François Fillon, le 24 novembre, lors de son débat face à Alain Juppé : "En vertu du principe de libre administration des collectivités locales, c'est aux maires et à eux seuls qu'il revient d'apprécier la nécessité d'armer les agents de leur service de police municipale." Il ne peut non plus "être envisagé de transposer aux policiers municipaux le régime applicable aux policiers nationaux en matière de port d'arme hors service", tranche-t-il. Cette demande avait été formulée par les syndicats suite à l'assassinat d'un commandant de police et de sa compagne fonctionnaire au ministère de l'Intérieur, à leur domicile de Magnanville (Yvelines), le 13 juin dernier.
Légitime défense
Mais les policiers municipaux ont obtenu d'autres avancées. Hasard du calendrier, ce 29 novembre était publié un décret permettant de doter les policiers municipaux de pistolets semi-automatiques 9 mm (voir ci-contre notre article du jour), comme les syndicats l'avait demandé après l'attentat de Nice, le 14 juillet 2016. Un autre décret est en cours de finalisation : il permettra aux policiers municipaux de se rendre à leur centre de tir armés, alors qu'aujourd'hui, leur arme doit être sécurisée et transportée dans une mallette. Enfin, le décret sur l'accès aux fichiers des véhicules volés, des immatriculations et des permis de conduire devrait être publié d'ici la fin de l'année, a assuré le ministre. Il ferait l'objet des derniers réglages avec la Cnil et le Conseil d'Etat.
Les syndicats voudraient aussi bénéficier de "l'état de nécessité" accordé aux policiers et gendarmes par la loi du 3 juin 2016 "renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale" et profiter de la réforme annoncée de la légitime défense qui logerait les policiers nationaux à la même enseigne que les gendarmes. "On ne peut pas partager un même espace public à sécuriser sans avoir les mêmes règles", justifie Fabien Golfier de la FA-FPT, le 14 juillet (date de l'attentat de Nice, ndlr) les primo-intervenants étaient aussi bien des policiers nationaux que municipaux, il n'y a aucune logique que les deux ne puissent pas intervenir avec les mêmes droits." Le ministre a "acquiescé" ces revendications, assure le syndicaliste, sans vraiment s'engager. Le projet de loi de prolongation de l'état d'urgence pourrait en être le véhicule législatif.
Renvoi à l'AMF
Si le contexte terroriste a accéléré la mise en œuvre de certaines revendications syndicales en matière opérationnelle, le quinquennat risque bien de se solder par une amère déception des policiers municipaux en ce qui concerne le "volet social". Le ministre de l'Intérieur a une nouvelle fois renvoyé à l'Association des maires de France (AMF), représentée par François Grosdidier, le sénateur-maire de Woippy (Moselle), qui a été élu nouveau président de la CCPM, en remplacement de Christian Estrosi, ce dernier n'étant plus maire de Nice. Or, François Grosdidier ne souhaite pas pour le moment rouvrir le dossier vu la situation budgétaire des collectivités et la baisse des dotations de l'Etat. Depuis le rapport Ambroggiani de 2009, les syndicats ont ainsi le sentiment de se faire balloter sans obtenir la moindre avancée. "Nous sommes très mécontents. On a obtenu des avancées pour le volet matériel et le volet police, mais sur le volet social, qui est primordial pour nous, l'Etat a renvoyé aux collectivités locales, les collectivités ont renvoyé à l'Etat", résume Christophe Leveillé de FO Territoriaux. "Même si le ministre a beaucoup fait pour les policiers municipaux, il reste beaucoup à faire. Les policiers municipaux ont le sentiment d'être mal traités et il risquent d'exprimer leur mécontentement lors des élections", réagit Serge Haure, représentant de la CFDT Interco. "On salue le bilan du ministère sur le suivi des dossiers, mais sur ce dossier en particulier, ce n'est pas satisfaisant (...) La balle est dans le camp de l'AMF", juge pour sa part Fabien Golfier.
Les syndicats demandent la prise en compte de l'indemnité spéciale de fonction dans le calcul de leur retraite. Ils demandent aussi une revalorisation de l'ISF (indemnité spéciale de fonction) à un taux plancher de 20% du salaire pour tous les agents, assortie d'une part variable pouvant aller jusqu'à un taux de 25%. "L'ISF est un marqueur important, mais le sujet est plus vaste, il concerne l'attractivité et le déroulé des carrières. L'AMF a fait valoir que l'Etat ne pouvait pas augmenter les charges et baisser les dotations", commente Philippe Pradal, le nouveau maire de Nice qui a hérité du siège de membre de Christian Estrosi. Le maire de la plus importante police municipale de France estime par ailleurs que "si on veut faire de la police municipale la troisième force de sécurité du pays, l'armement est nécessaire". "Mais cela suppose un accompagnement et une formation adéquats pour que les interventions se fassent dans les meilleures conditions possibles", ajoute-t-il, rappelant que "le maire est pénalement responsable".