Citoyenneté - Budgets participatifs : quelles ambitions derrière l'engouement ?
Depuis quatre ans, les budgets participatifs se sont multipliés : 80 communes, dont un tiers en Ile-de-France, seraient concernées en 2018, selon une note de la Fondation Jean-Jaurès. Le montant médian alloué aux démarches diminue toutefois, signe que toutes les collectivités n'y accordent pas la même importance. Outil de mobilisation citoyenne ou gadget marketing ? Tout dépendra de la façon dont les collectivités s'en empareront.
En 2018, 80 communes représentant quelque 6 millions de Français, deux départements et deux régions seraient engagés dans une démarche de budget participatif. Dans une note publiée début octobre par la Fondation Jean-Jaurès, Antoine Bézard, communicant public animant un site dédié aux budgets participatifs, livre ses observations, notamment sur la base d'une enquête annuelle menée auprès de son réseau.
Un essor lié à "un alignement des planètes politiques, citoyennes et techniques"
"Les budgets participatifs connaissent depuis 2014 et les dernières élections municipales un renouveau et un essor sans précédent", constate-t-il. Après un faux départ aux alentours de l'an 2000, suite à l'invention du concept à Porto Alegre au Brésil en 1989, "seules six communes étaient encore engagées dans un budget participatif" en 2014. "Depuis, le nombre de ces villes a presque doublé chaque année", estime Antoine Bézard.
A l'origine de ce succès : "un alignement des planètes politiques, citoyennes et techniques". Loin de se contenter d'une "démocratie intermittente" par le biais des élections, les citoyens dont le "pouvoir d’agir s’est démultiplié" – notamment via internet et les réseaux sociaux - aspireraient à avoir davantage "prise sur les programmes qui leur sont proposés". En facilitant le déploiement de la démarche et son accessibilité au plus grand nombre, le développement des civic tech serait aussi "décisif dans l’essor des budgets participatifs". En s'emparant de cette possibilité nouvelle, les collectivités locales passeraient un nouveau "contrat" avec leurs habitants, en leur proposant de "se réapproprier leur ville et d’y faire émerger leurs projets, selon le principe : 'vous décidez, nous réalisons'".
30 démarches en Ile-de-France, dont 11 dans les Hauts-de-Seine
Les collectivités qui se sont lancées sont de toutes sortes : derrière les grandes villes ayant donné une vitrine à la démarche – Paris, Metz, Grenoble ou encore Rennes -, beaucoup de villes moyennes et quelques petites villes, avec 49 budgets participatifs portés par des communes de moins de 50.000 habitants. Les départements du Gers et du Loiret, les régions Occitanie et Bourgogne-Franche-Compté et quelques universités s'y sont également mis.
Du point de vue géographique, l'Ile-de-France serait dominante, avec 30 démarches (soit plus du tiers du total), dont 11 dans les Hauts-de-Seine. L'auteur propose une explication à cette concentration : le budget participatif ferait "tache d’huile, s’étendant de proche en proche". Il n'évoque pas le coût – financement de l'outil et éventuellement du prestataire, charge de personnel pour l'organisation et la communication – que peut représenter la démarche et qui constitue probablement un frein pour nombre de collectivités.
Un montant médian passé de 9 euros par habitant en 2016 à 5 euros en 2018
La mise en œuvre d'un budget participatif passe généralement par six étapes : "choix d’un montant et de critères de sélection, appel à projets avec ou sans présélection des habitants, étude et chiffrage des projets par les services municipaux, campagne de mobilisation par les porteurs pour valoriser leurs projets, vote des projets - la collectivité s’engage à les réaliser, concrétisation des projets lauréats".
Alors que les démarches se multiplient, le montant médian des budgets participatifs diminue : il serait d'environ 5 euros par habitant en 2018, après 6 euros en 2017 et 9 euros en 2016. "La volonté d’expérimenter peut être mise en avant pour expliquer les chiffres modestes d’une première édition. Cependant, seuls Orléans (Loiret) ou Billère (Pyrénées-Atlantiques) ont respectivement triplé et doublé leur montant d’une année à l’autre", analyse l'auteur.
Deux communes de moins de 10.000 habitants parmi les cinq plus engagées financièrement
Selon lui, cet indicateur est "révélateur de la volonté politique des collectivités". Avec la diminution des montants, il y aurait un "risque de faire glisser cet outil de la démocratie participative au marketing politique". A 1 ou 2 euros par habitant, la démarche relèverait davantage du gadget ; or, au moins 14 communes alloueraient moins de 2,50 euros par habitant à la démarche.
Parmi les communes les plus engagées financièrement, il cite Paris (largement en tête, avec près de 45 euros par habitant), Jarny (8.300 habitants, Meurthe-et-Moselle, près de 30 euros par habitant), Aramon (4.150 habitants, Gard), Firminy (16.800 habitants, Loire) et Grande-Synthe (23.600 habitants, Nord) - entre 20 et 25 euros par habitant pour ces trois communes.
Autre indicateur témoignant de la stratégie dans laquelle s'inscrit le budget participatif : sa place dans l'organigramme. La plupart des démarches (78%) seraient pilotées par les services de démocratie locale, 10% seraient rattachées au cabinet ou à la direction générale – dans les petites communes dépourvues d'un service démocratie locale – et 12% seraient portées par la direction de la communication.
Une participation des habitants encore faible
Par ailleurs, la volonté politique n'entraîne pas forcément – ou pas dès le départ - une forte participation, observe Antoine Bézard. L'engouement des habitants pour cette nouvelle pratique est à relativiser, avec une participation médiane qui serait de l'ordre de 4% en 2018, même si cette participation atteindrait 7% dans certaines grandes villes et 10% dans certaines petites villes. Prudemment, l'auteur cite quelques exemples qui tendent à montrer que ces taux de participation augmentent, à mesure que la démarche gagne en notoriété.
Le vote est le plus souvent possible en ligne – 71%, dont 35,5% avec également un vote papier. Pour 22% des démarches recensées, seul un vote papier est possible – un vote qui "conserve une symbolique forte et a l’avantage de donner de la visibilité au scrutin dans l’espace public", observe l'auteur, encore une fois sans donner d'indication sur les coûts d'organisation d'un tel scrutin. "Enfin, dans 6,5% des cas présents, il n’y a pas de vote des habitants, la décision revenant aux instances de démocratie locale."
Le cadre de vie et la nature en ville parmi les thématiques les plus prisées
Les projets lauréats ont trait le plus souvent au cadre de vie (cité par 87% des collectivités), "de la simple pose de bacs à fleurs à l’aménagement d’une place", la nature en ville et l’agriculture urbaine (57%) – espaces verts, jardins partagés, ruches urbaines… -, la mobilité (46%) et les sports et loisirs (43%). L'émergence de projets liés à la solidarité, à l'économie ou au numérique – véhicules d'assistance, rénovation de commerces… - laisse apparaître "une évolution dans l’application du critère d’investissement dans les projets par les collectivités".
Le budget participatif a-t-il un impact sur la citoyenneté des habitants en général, et notamment sur les plus en retrait, ou ne sert-il "que les bobos" ? L'auteur conclut en invitant les collectivités à creuser cette question et à se souvenir que le budget participatif "n’est pas une fin en soi". "La participation dépend aussi des élus, qui doivent fixer des objectifs et accorder une priorité de moyens pour aller vers les publics qui participent peu", via la formation d'agents et le développement de méthodes inspirées du community organizing.