Bruno Le Maire dévoile son plan d'urgence économique
Alors que l'économie française se met en sommeil, le ministre de l'Economie a présenté, mardi, son "plan d'urgence" pour permettre aux entreprises de résister en attendant le redémarrage. Une enveloppe de 45 milliards d'euros est débloquée pour financer notamment les annulations et reports de charges et le recours massif au chômage partiel. Elle comprend aussi un fonds de solidarité de 2 milliards d'euros (qui sera abondé par les régions à hauteur de 250 millions d'euros) créé pour soutenir les TPE, les indépendants et les micro-entreprises en difficulté. La veille, le président de la République avait annoncé une garantie de l'Etat de 300 milliards d'euros sur les prêts bancaires.
L’économie du pays est désormais quasiment à l’arrêt. Bars, restaurants et tous les commerces "non indispensables" fermés depuis dimanche. PSA, Michelin, Renault qui annoncent tour à tour la fermeture de leurs usines. Et suite au confinement annoncé par Emmanuel Macron lundi soir, sans en prononcer le mot, Airbus a aussi décidé mardi de suspendre sa production pendant plusieurs jours… Avec des conséquences en cascade pour tous les sous-traitants. Des secteurs entiers, tels que les transports ou le tourisme sont déjà exsangues. L’enjeu à présent : tenir le coup le plus longtemps possible pour éviter la faillite... en attendant le redémarrage. Dès jeudi dernier, appelant à un "plan d’urgence", le chef de l’Etat avait assuré que l’Etat soutiendrait les salariés et les entreprises "quoi qu’il en coûte". Le lendemain, la Commission européenne a lâché la bride pour que les Etats puissent s’affranchir des critères de stabilité budgétaire, alors que selon ses calculs le choc pourrait être de 2,5% du PIB. Conséquence pour la France : le déficit repassera la barre des 3%. Retour à 2008 et aux plans de relance colossaux qui ont abouti à l’envolée de la dette publique. Le ministre de l’Economie a d’ailleurs indiqué, mardi, que la dette dépasserait les 100% du PIB cette année. Bercy s’attend à un recul de 1% du PIB en 2020, contre une prévision de croissance de 1,3% avant l’apparition du virus. Un projet de loi de finances rectificative a été présenté en conseil des ministres ce mercredi pour tenir compte du nouveau contexte.
Emmanuel Macron l’a redit, lundi soir, "aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite". Il a promis 300 milliards d’euros de garantie de l’Etat aux prêts bancaires des entreprises en manque de trésorerie, emboîtant le pas de l’Allemagne qui avait annoncé la veille une garantie de 550 milliards d’euros. L’objectif est de sécuriser les prêts des banques peu enclines à aider des entreprises en difficulté. Dans ce sens, Bpifrance a déjà décidé de porter sa garantie à 90%.
Un plan de 45 milliards d'euros
Après s’être exprimé devant les acteurs économiques en début de semaine, par téléphone, le ministre de l’Economie a repris le ton martial du président évoquant une "guerre économique et financière". Il a dévoilé, mardi, lors d’une conférence de presse téléphonique, son "plan de soutien économique national", doté de 45 milliards d’euros pour aider les entreprises et les salariés à passer le cap. Encore ne s’agit-il que d’une "première estimation" qui pourra "évoluer évidemment en fonction de la durée et de l’application des mesures", a-t-il précisé. L’essentiel de ces crédits - 32 milliards – financera les annulations ou reports de charges sociales et fiscales (ne sont visés ici que les impôts directs et non la TVA) pour le mois de mars, déjà annoncées depuis plusieurs jours.
Avec ce plan d’urgence, le gouvernement veut assurer que pendant toute la durée de la crise, il n’y aura aucun problème d’accès au crédit, aucun dépôt de bilan et même aucun licenciement. "Pendant la crise actuelle, c’est zéro licenciement", a même martelé Muriel Pénicaud, lundi, alors qu’il y a quelques jours, les laboratoires Boiron annonçaient un plan de réorganisation visant la suppression de 512 postes. Pour ce faire, le gouvernement encourage au maximum le chômage partiel : une enveloppe de 8,5 milliards d'euros sur deux mois est prévue. L’allocation d’activité partielle versée par l’État à l’employeur sera égale à 70% du salaire brut (84% du salaire net) et portée jusqu’ à 4,5 fois le taux horaire du Smic. Soit le niveau pratiqué par l’Allemagne. Toute entreprise rencontrant une baisse d’activité partielle ou totale y est éligible. Elle dispose d’un délai d’un mois pour se déclarer, avec effet rétroactif. La ministre du Travail a annoncé lundi un mécanisme similaire au chômage partiel pour les emplois à domicile, comme les assistantes maternelles. Concrètement, les employeurs continueront de leur verser 80% de leur salaire, c’est à eux de se faire ensuite rembourser par le Cesu.
La "stratégie économique" qui consiste à assurer "le maintien des savoir-faire, le maintien des compétences", "rompt avec des décennies d'économie française" : "lorsqu'il y avait une crise économique, on se séparait des salariés, on faisait des licenciements et, du coup, on redémarrait plus difficilement l'économie parce qu'on avait perdu les compétences et des savoir-faire", a développé le ministre pour qui ce dispositif est la condition d’un "redémarrage rapide". En réalité le chômage partiel, très utilisé après la crise de 2008, notamment dans le secteur automobile, avait déjà été mis à profit pour former les salariés. Mais attention au retour de manivelle : en 2009, le centre d’études pour l‘emploi avait montré que le chômage partiel servait d’ "amortisseur social" mais qu’il ne faisait que "retarder" les licenciements économiques.
Le ministère du Travail exhorte par ailleurs les entreprises à recourir au maximum au télétravail : près de 8 millions d’emplois seraient compatibles avec le télétravail dans le secteur privé, selon ses estimations. Encore faut-il que les infrastructures numériques suivent. Le site de déclaration du chômage partiel était "planté" ce mardi.
Fonds de solidarité de 2 milliards d’euros
Personne ne sera laissé au bord de la route, martèle le gouvernement : un fonds de solidarité cofinancé par l’Etat, les régions, et Bpifrance doit soutenir soit les petites entreprises de moins d’un million de chiffre d’affaires (dont les indépendants, les micro-entreprises et les TPE), soit celles qui ont perdu plus de 70% de leur chiffre d’affaires en mars 2020 par rapport à mars 2019 ou qui ont dû fermer. Le ministre pense notamment aux 160.000 entreprises de restauration, aux 140.000 commerces non-alimentaire et aux 100.000 activités touristiques.
Ce fonds, qui sera doté d’environ deux milliards d’euros sur deux mois, permettra de leur accorder une aide forfaitaire de 1.500 euros. La demande doit être adressée à la DGFIP sur simple déclaration. Les régions ont annoncé mardi dans la soirée elles contribueraient au fonds de solidarité à hauteur de 250 millions d'euros. "Pour les régions, cheffes de file du développement économique, c’est l’engagement de leur solidarité totale vis-à-vis des indépendants et des plus petites entreprises. Elles sont les premières à souffrir", a souligné l'association Régions de France, dans un communiqué.
A ce coup de pouce s’ajoute un dispositif "anti-faillite" pour les petites entreprises qui emploient au moins un salarié et qui se trouvent en "très grande difficulté" : elles bénéficieront d’un soutien supplémentaire.
Dans son allocution, le président de la République a indiqué, lundi, que les petites entreprises, les TPE et les microentrepreneurs en difficulté bénéficieront d'une suspension du paiement de leurs factures d'eau, de gaz, d'électricité et de loyer. Un accord a déjà été conclu avec EDF ; des discussions sont en cours avec Engie mais il reste à convaincre les centres commerciaux pour qu’ils se montrent souples sur les loyers. Le Centre national des centres commerciaux a ainsi appelé ses adhérents bailleurs à suspendre le recouvrement des loyers pour le mois d'avril.
La mise en place de ce fonds de solidarité répond à une revendication forte des représentants de l’artisanat et des réseaux consulaires qui demandaient d’aller plus loin que les reports de charges. "L’activité a chuté jusqu’à 80% pour certains secteurs en lien avec le tourisme, le commerce de bouche ou l’événementiel", avait alerté le président de CMA France Bernard Stalter, jeudi, avant même les fermetures de bars et restaurants, appelant le gouvernement à un "samu économique".
Plus généralement, le gouvernement est en train de revoir entièrement son logiciel. Après avoir annoncé le report de la privatisation d’Aéroport de Paris, il se dit prêt aujourd’hui à recourir à des nationalisations. "Je n'hésiterai pas à employer tous les moyens qui sont à ma disposition pour protéger les grandes entreprises françaises", a affirmé Bruno Le Maire. "Cela peut passer par de la capitalisation ou une prise de participation. Je peux même employer le terme de nationalisation si nécessaire."
Toutes les réformes sont suspendues, dont la réforme des retraites, a annoncé Emmanuel Macron. De son côté, la ministre du Travail Muriel Pénicaud a évoqué le report de la réforme de l’assurance-chômage au 1er septembre, au lieu du 1er avril (cette réforme durcit les règles d’indemnisation des nombreux chômeurs, notamment ceux qui alternent périodes de contrats courts et chômage).
Le tourisme part sur "une année blanche"
Pierre Goguet, président de CCI France, qui participait à la conférence téléphonique de lundi, à laquelle participaient six ministres, salue des mesures "extrêmement fortes". "Il va falloir être particulièrement vigilants avec le tourisme, on part sur une année blanche", alerte-t-il auprès de Localtis. Chez les CCI, les salariés ont été mis en télétravail mais ils remplissent, plus que jamais, leur rôle de conseil auprès des entreprises pour les informer de tous les dispositifs en vigueur. "Il faut agir sans attendre de s’être épuisé en trésorerie (…) Il faut aller voir sa banque le plus vite possible", conseille Pierre Goguet. Les CCI doivent aussi assurer une mission de veille économique sur les territoires pour repérer les entreprises en difficulté, en lien avec le comité de suivi Etat-régions-Bpifrance. Le président des CCI alerte aussi sur la situation des entreprises qui font actuellement l’objet d’un plan d’apurement judiciaire. "Ces entreprises étaient en train de revenir en force, tout est remis en cause. Elles risquent la liquidation immédiate", s’inquiète-t-il, appelant spécialement pour elles à un "moratoire de quelques mois".
Alors que l’accueil dans les organismes de formation a dû être interrompu, le ministère du Travail et Régions de France ont appelé, dans un communiqué commun, mardi, "à une mobilisation de tous pour que l’activité de formation soit maintenue via le déploiement de modalités de formation à distance".