Sobriété foncière : quelles solutions pour répondre aux obligations notamment dans le cadre du zéro artificialisation nette (ZAN) ?
Face à l’urgence écologique, aux dommages liés à l’artificialisation des sols, la sobriété foncière s’impose depuis plusieurs années comme une nécessité. Comment repenser l’aménagement afin de préserver nos territoires ? Quels enjeux pour demain ?
Comprendre l’importance de la révision de nos modèles d’aménagement urbains
Alors que nos modèles de développement urbain doivent être repensés, la problématique de la surconsommation des sols naturels devient un enjeu essentiel. Selon le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires1, plus de 243 000 hectares de terres ont été consommés en France entre 2011 et 2021. Une surface équivalente au département du Rhône, et majoritairement utilisée pour l’habitat (68 %) et l’activité (25 %).
En d’autres termes, 20 000 hectares d’espaces agricoles, naturels et forestiers sont consommés en moyenne en France annuellement, soit l’équivalent de quatre terrains de football artificialisés par heure ! Un rythme qui a de nombreuses conséquences, écologiques et socio-économiques.
Écologiques, parce que la biodiversité est une des principales victimes de l’artificialisation des sols. Ces derniers abritent plus d’un quart de la biodiversité de la planète. L’érosion y est importante puisque 65 % des espèces d’insectes du territoire sont menacées par l’artificialisation2. Elle est également responsable de la dégradation du cycle de l’eau : un sol artificialisé n’a plus les mêmes fonctions. Il ne permet plus à l’eau de s’infiltrer correctement (inondations), ni un rafraîchissement par la nature (îlots de chaleurs). Même chose pour le stockage du carbone, puisque le premier mètre de sol naturel renferme 2 à 3 fois plus de carbone que l'atmosphère et 3 à 7 fois plus que la végétation.
Socio-économiques, parce que l’artificialisation des sols s’est faite au détriment de notre souveraineté alimentaire, la diminution des surfaces agricoles cultivables ayant provoqué une diminution du potentiel de production agricole en France. L’étalement urbain augmente également les temps de déplacements et la dépendance à la voiture. Cela a des conséquences directes sur le pouvoir d’achat des Français, comme en 2022 avec la forte hausse du prix des carburants. Enfin, elle a un impact sur la dévitalisation des territoires délaissés et isolés, créant des difficultés d’accès à différents services pour les habitants : écoles, structures de soins, culture, etc.
Les territoires confrontés à un étalement urbain incessant doivent donc apprendre à gérer la diminution de l’attractivité des centres-villes, où l'augmentation des friches et des locaux vacants témoigne d’un important besoin de revitalisation. Une question se pose ainsi : comment repenser l’aménagement du territoire, pour préserver les équilibres entre la nature, le nouveau bâti, et l’existant ?
Sobriété foncière : enjeux et obligations pour l’aménagement du territoire
C’est pour répondre à cette problématique que la sobriété foncière a été placée au centre des enjeux de l’aménagement des territoires, et notamment par une obligation inscrite dans la loi.
La loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a marqué un tournant dans la lutte contre l’étalement urbain et la protection/restauration des fonctionnalités des sols. Désormais, elle concilie ces deux objectifs, en imposant spécifiquement de réduire la consommation d’espaces par deux d’ici à 10 ans, et fixe l’obligation d’atteindre le Zéro artificialisation nette (ZAN) d’ici à 2050.
Dorénavant, tous les acteurs de l’aménagement et de la construction doivent adapter leurs pratiques, car la ressource foncière « artificialisable » devient limitée, il faut reconstruire sur la ville. La sobriété foncière vise donc à recycler les friches, remettre sur le marché des biens vacants, densifier des tissus existants, plutôt que de construire en extension sur des terrains nus et à mener des actions pour préserver les sols naturels. Cela peut de prime abord paraître difficile à concilier avec le besoin de créer de nouveaux équipements et services, de réindustrialiser le territoire national, et surtout, de massification de la construction de logements.
La réflexion autour de la consommation des sols amène les collectivités, les élus, à se poser de nombreuses questions : combien de terrains à reconvertir ont-ils à disposition ? Combien de commerces vides ? de zones d’entrées de villes ? Dans quelles conditions peut-on les reconvertir, à quel prix Etc. Il est impératif qu’ils aient en tête l’état des lieux du foncier à leur disposition.
Les politiques d’aménagement doivent intégrer un nouveau paradigme de ressource foncière limitée et de limitation de l'impact sur les sols vivants.
De ces changements découlent de nouveaux enjeux interdépendants, qui accélèrent la prise de conscience du besoin de raisonner à long terme :
- Quels sont les besoins du territoire en matière économique, démographique, social ?
- Quels sont les enjeux et risques climatiques, et de disponibilité de la ressource en eau, de la qualité de l’air, etc. ?
- Quels sont les enjeux de souveraineté et dans quels secteurs peut-il y avoir un besoin de reconquérir une autonomie (énergie, alimentation, industrie…) ? Comment soutenir et accompagner les filières ?
- Est-ce que la valeur du foncier bâti est juste ? Est-ce que la valeur du foncier semi-naturel est décorrélée de sa valeur environnementale (ses fonctions) ?
Les élus, acteurs de l’aménagement doivent donc élaborer des programmes d’action à moyen terme qui vont permettre de densifier et/ou favoriser la continuité urbaine, tout en maîtrisant les coûts et en tenant compte des spécificités du territoire (lutter contre la spéculation et les conflits d’usages dans les zones à fort dynamisme démographique, ou trouver un modèle permettant de redynamiser les zones en déprise).
Engagée pour le développement durable des territoires et la transformation écologique, la Banque des Territoires se positionne comme un acteur clé pour accompagner l’ensemble des acteurs concernés dans la mise en place de leur trajectoire de sobriété foncière.
L’accompagnement de la Banque des Territoires dans les projets d’aménagement en lien avec la sobriété foncière
La Banque des Territoires propose un accompagnement global sur tous les projets qui inscrivent le développement du territoire dans une logique de sobriété foncière.
Toute la chaîne de l’aménagement a été modifiée avec la sobriété foncière. Les approches sont différentes, il faut prendre en compte le risque climatique, les évolutions démographiques, économiques, les besoins des habitants qui évoluent, etc. Quand on cumule cette somme d’enjeux colossaux interdépendants, on se rend compte que les acteurs concernés, ne sont pas encore suffisamment formés, ne sont pas équipés pour y répondre de manière globale. C’est là où la Banque des Territoires intervient, au plus près de leurs besoins.
Ainsi, l’offre sobriété foncière de la Banque des Territoires se présente en différents axes, avec des objectifs et moyens adaptés aux besoins des territoires. L’accompagnement de la Banque des Territoires peut intervenir en amont des projets, ou lors de leur mise en œuvre, et peut prendre différentes formes.
En amont des projets, il s'agit d’aide à la maîtrise des outils et méthodes permettant de s’engager dans une trajectoire de sobriété foncière. La filière de l’aménagement étant en pleine mutation, la Banque des Territoires apporte un appui pour la formation des acteurs concernés. Elle met à disposition également son expertise sous la forme d’appui aux études d’identification, de planification de l’utilisation/usage et de la maîtrise des fonciers ou à la définition d’outils de portage foncier. C’est par exemple le cas en Bretagne, où une étude est en cours avec l’EPF de Bretagne, la Région Bretagne et la Banque des Territoires, pour accompagner la structuration d’une foncière régionale pour du portage foncier sur le long terme (10, 20, 30 ans, et plus) afin de lutter contre la spéculation.
Pour la mise en œuvre des projets, la Banque des Territoires met à disposition son appui et finance des projets concourant à la mise en œuvre des trajectoires de sobriété foncière.
Elle investit dans des actions d’aménagement auprès des acteurs publics et/ou privés, dont le redéveloppement des friches. Elle peut investir dans le portage foncier de long terme, y compris agricole (exemple de la foncière Terre de Lien), ou dans du foncier à vocation d’activité industrielle, comme la création de Terra Eco début 2024, en partenariat avec Grand Paris Aménagement.
Le nouveau prêt Gaïa Territorial est également disponible pour les acteurs du secteur public local. Il permet de les accompagner dans leurs projets de sobriété foncière, résorption de friches, redynamisation urbaine avec un prêt sur du court et long terme. Par exemple, la Banque des Territoires a accordé un prêt Gaïa territorial de 2,2 millions d’euros à la société publique locale Alter public pour acquérir une friche de l’usine de l’ancienne Société des Fours à Chaux (SFAC) à Angers, et ainsi la réhabiliter.
Des services sont également mis à la disposition de la filière, comme la consignation pour sécuriser les projets : sécurisation de l’acquisition par voir de préemption et d’expropriation, pour compensation agricole, garantie financière pour la réhabilitation d’une friche industrielle, etc.
Plus récemment, la Banque des Territoires et le Cerema ont annoncé le lancement, le 17 avril dernier, du portail France Foncier+. Ce dernier vise à favoriser le développement économique et la réindustrialisation dans le respect des objectifs de sobriété foncière. Sur le portail, plus de 600 sites sont référencés sur l’ensemble du territoire, permettant d’avoir une vue d’ensemble de l’offre disponible.
Céline LAINS
Experte territoriale, responsable du plan Sobriété Foncière à la Banque des Territoires
Après un parcours mixte dans le secteur privé et dans le secteur public de l'immobilier et de l’aménagement, Céline Lains est entrée à la Caisse des Dépôts en 2021 en tant que Directrice de projet Village des athlètes JOP 2024. Elle est aujourd’hui chargée de la mise en œuvre de la mesure sobriété foncière au sein de la Banque des Territoires. Céline accompagne ainsi des partenaires de la banque dans leur trajectoire de sobriété foncière : ingénierie, définition des modèles juridiques et financiers de portage foncier, mais aussi recherche pour la création et le financement d'outils innovants d'aménagement durable. Elle est titulaire d’un Master en droit immobilier et de la Construction de l’Université Paris II Panthéon Assas.