L’économie mixte au service de la relocalisation industrielle
La relocalisation industrielle figure parmi les priorités du Plan de relance. Pour aider les collectivités à transformer l’essai, la Banque des Territoires a renforcé son soutien aux entreprises publiques locales (EPL), qui constituent des outils particulièrement pertinents. Exemple réussi en Bretagne avec la Coop des masques.
Masques, médicaments, biens de consommation… En soulignant la dépendance de notre économie vis-à-vis de l’étranger, la crise sanitaire a contribué à faire de la relocalisation industrielle une priorité gouvernementale. Sur les 35 milliards d’euros mobilisés par l’Etat en faveur de l’industrie dans le cadre du Plan de relance (2020-2022), 1,3 milliard d’euros y sont consacrés, dont 400 millions d’euros pour le développement de projets industriels dans les territoires. Objectif : sécuriser les chaînes d’approvisionnement et créer des emplois.
Dans le prolongement du travail accompli sur le front de la réindustrialisation depuis 2018, via le programme Territoires d'industrie, la Banque des Territoires est en première ligne au côté des collectivités afin de les aider à concrétiser leur projet. Au programme : un accompagnement complet, via des aides à l’ingénierie ou au financement, sous forme d'investissements sur fonds propres ou de prêts.
Cette action passe aussi par un renforcement de ses capacités de soutien aux acteurs de l’économie mixte.
Les entreprises publiques locales - sociétés d’économie mixte (SEM), sociétés publiques locales (SPL) et SEM à opération unique (SemOp)- représentent un outil stratégique et un interlocuteur privilégié pour la Banque des Territoires dans ces projets de relocalisation
Les entreprises publiques locales, des “interlocuteurs privilégiés”
Apparues dans l’Hexagone au début du vingtième siècle, les sociétés d’économie mixte (SEM) - sociétés anonymes composées en majorité de capitaux publics - se sont développées au sortir des deux guerres pour répondre aux besoins de logements, de reconstruction, puis d’aménagement du territoire. A partir des années 1980, dans le sillage des lois de décentralisation, elles se sont imposées comme de précieux outils du développement économique local.
Leurs atouts ? Un statut public/privé, qui permet de réunir autour de la table les différents acteurs du territoire, des capacités d’investissement et une ingénierie financière, une agilité dans le mode d’intervention qui font souvent défaut aux collectivités et offrent un véritable “effet levier” aux projets.
Historiquement centrées sur le logement et l’aménagement du territoire, les SEM sont désormais présentes dans tous les champs de compétence des collectivités locales. Elles sont souvent multi-activités (avec notamment des développements de leurs activités sous forme de filiales). Aux côtés des SEM, il faut désormais aussi compter sur les sociétés publiques locales (SPL) créées en 2010, et les sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOp), initiées en 2014, qui complètent la gamme des Entreprises publiques locales, véritable palette d’outils à disposition des collectivités.
Toutes ces raisons concourent aujourd’hui, selon Isabelle Bonnaud-Jouin, à faire des EPL des alliées précieuses en matière de relocalisation industrielle. A une condition : que les collectivités – dont les Régions - compétentes en matière de développement économique - “aient développé une politique industrielle et des outils d'économie mixte”.
La Bretagne, une longue expérience en matière d’économie mixte
C’est le cas de la Bretagne, où la Banque des Territoires a accompagné récemment le projet Coop des Masques, particulièrement emblématique de cette politique de relocalisation industrielle.
“Dès le début de la crise du Covid, le président de la Région, historiquement très actif en matière de développement économique, et marqué par la délocalisation en Tunisie, en 2018 de l’usine de fabrication de masques Honeywell de Plaintel, s’est ému des difficultés d’approvisionnement de masques et a souhaité y répondre à travers la création d’une usine de production de masques, 100% Bretons !”, relate Stéphane Lafargue, directeur régional adjoint à la direction régionale Bretagne à la Banque des Territoires, en charge du développement commercial et territorial.
En avril 2020, la Région et le Département des Côtes-d’Armor ont confié à Guy Hascoët, conseiller régional (EELV) et ancien secrétaire d’Etat à l’Economie sociale et solidaire dans le gouvernement Jospin, le soin de piloter le projet. Objectif : monter une filière locale de production de masques de protection, pour répondre aux besoins régionaux (secteur médical, chimie, aéronautique, bois, BTP...).
Une filiale de SEM pour assurer le portage immobilier
Pour porter le projet, les pouvoirs publics ont fait le choix de créer une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Un moyen d’impliquer les acteurs locaux, les salariés et les simples citoyens. Pour mettre toutes les chances de leur côté, ils se sont ensuite tournés vers BreizhImmo, la filiale patrimoniale de la SEM d’aménagement - SemBreizh dont la Banque des Territoires est actionnaire- de la région, pour assurer le portage immobilier du projet. Avec une contrainte de taille : être prêt à l’automne 2020 afin de pouvoir bénéficier d’une subvention de l’Etat de plusieurs millions d’euros dans le cadre de l’Appel à manifestation d'intérêt (AMI).
Depuis sa création, en 2016, par la région Bretagne et avec le soutien financier de la Banque des Territoires, la SAS BreizhImmo a accompagné plusieurs entreprises du territoire dans le développement ou le maintien d’activités industrielles, à travers un conseil en stratégie immobilière, et un investissement financier. Sa spécialité ? Les projets un peu complexes, qui n’ont pas reçu l’aval des banques, en raison, par exemple, d’un endettement trop important. “En tant que filiale de SEM, on investit sur le long terme avec en ligne de mire le maintien de l’emploi local”, précise Guillaume Dieuset, directeur général de SemBreizh, qui figure au côté de la Banque des Territoires et d’une série de partenaires locaux 1 au capital de la SAS;
Après avoir instruit le projet pour s’assurer qu’il est viable, BreizhImmo se charge de mener des études, et de trouver un site. Un sujet épineux qui demande une ingénierie spécifique.
Une filiale de SEM comme celle-ci comprend de vrais spécialistes de l'immobilier, capables de réaliser des diagnostics, d’évaluer les montants de travaux et le coût d’un projet, en un temps record
Dans le cas de la Coop des Masques, son choix s’est rapidement porté sur l’ancien site Honeywell, à Grâces, près de Guingamp (22) : "Il avait la bonne taille, n’était pas cher et comptait des personnels formés à proximité”, détaille Guillaume Dieuset.
Elle apporte ensuite un accompagnement financier, en investissant dans l’outil industriel. BreizhImmo monte une société civile d'investissement (SCI) où l’industriel est présent. En tant qu'actionnaire majoritaire, elle a financé pour un total de 4,3 millions d’euros l’achat de l’usine existante, puis les travaux de restructuration et d'aménagement du site.
Pour l’instant, la première tranche de l’usine, livrée début 2021, est occupée par la Coop des Masques, contre paiement d’un loyer. Mais à terme, l’idée est qu’elle puisse racheter ses parts à BreizhImmo, afin d’en devenir propriétaire.
La production, qui a démarré comme prévu en janvier 2021, devrait, en vitesse de croisière, atteindre 45 millions d’unités par an, soit la moitié des besoins de la région. A la clé : le maintien de 37 équivalents temps plein (ETP) dans une région à dominante rurale.
BreizhImmo, une grande agilité
Ce projet un peu fou n’aurait sans doute pas vu le jour sans l’intervention de BreizhImmo, qui a livré en un temps record. “On voit que ce type d’outils, d’une grande agilité, permet le maintien de l’emploi dans des zones de fracture territoriale. Le fait que BreizhImmo soit en prise directe avec l’ensemble des acteurs de la région lui assure une remarquable efficacité”, se félicite Stéphane Lafargue.
Diffuser les bonnes pratiques
Actionnaire à hauteur de 24 % de BreizhImmo, La Banque des Territoires a également investi 500 000 euros sur cinq ans au sein de la Coop des masques, qu’elle va suivre avec attention et accompagner dans la durée. “Le projet fera l’objet de points réguliers et le président de la Coop sait pouvoir compter sur l’accompagnement de la Banque des Territoires”, poursuit Stéphane Lafargue.
La Bretagne n’est pas un cas isolé. Les territoires fourmillent de projets. “Cela bouge beaucoup. Récemment, nous avons accompagné la réimplantation de l’équipementier automobile Faurecia, en Bourgogne Franche-Comté avec l'implication des SEM PMIE et SEDIA en Pays de Montbeliard,… Autre exemple, en région Occitanie, beaucoup de projets sont en cours via la SEM ARAC que nous accompagnons. Il faut donner à voir ces initiatives”, se réjouit Isabelle Bonnaud-Jouin. Son pôle développe actuellement un partenariat avec Régions de France afin de mettre en lumière les possibilités de déploiement des politiques régionales via l’économie mixte. Un projet qui va donner lieu à la parution d’un guide dédié présenté en octobre prochain en avant-première aux congrès et salon des EPL de Toulouse.