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Avenir des zones rurales : le Comité des régions veut du concret, et maintenant

Dans un avis relatif à la "vision à long terme pour les zones rurales" de la Commission européenne, le Comité européen des régions invite cette dernière à mettre en place sans tarder des "propositions concrètes d’action immédiate" dans le cadre d’un "Agenda rural européen". Le CdR demande notamment de valoriser les apports des zones rurales au monde urbain. États membres et collectivités sont par ailleurs appelés à soumettre leurs dispositifs au "test rural" promu par la Commission.

"Il est urgent de mettre en place un Agenda rural européen qui définisse les propositions concrètes d’action immédiate, […] accompagnées de ressources, d’instruments financiers et d’objectifs quantitatifs." Dans son avis adopté le 26 janvier dernier relatif à la communication de la Commission européenne sur "Une vision à long terme pour les zones rurales de l’UE" (voir notre article du 12 juillet 2021), le Comité européen des régions (CdR) n’entend pas se payer de mots.

Mais il n’en méconnaît pas non plus l’importance. Ainsi, c’est sur amendement de Cécile Gallien (Renew) – et de sept autres élus, dont les Français Jean-François Barnier (Renew), Vincent Chauvet (Renew), Karine Gloarec-Maurin (PSE), Agnès Le Brun (PPE) et Christophe Rouillon (PSE) – que le CdR a ajouté à l’avis initial la mention explicite à cet "Agenda rural européen", pendant de l’Agenda urbain lancé en 2015. Une initiative que le gouvernement français a promis de soutenir au cours de sa présidence (voir notre article du 10 décembre dernier).

Mobilité, numérique et énergies renouvelables

Sur le fond, le CdR érige au rang des "domaines les plus stratégiques" davantage de secteurs que la Commission : outre "la mobilité, la connectivité numérique et les énergies renouvelables", il évoque ainsi la "bioéconomie, et en particulier une agriculture respectueuse des ressources environnementales, les systèmes alimentaires régionaux, le dynamisme social et culturel ainsi que l’innovation en lien avec les services sociaux d’intérêt général".

En matière de mobilité, le CdR insiste sur l’importance que "l’amélioration de connexions de transport avec les zones périurbaines et rurales soit canalisée principalement à travers les autorités régionales". Il plaide également pour qu’une "attention particulière" soit accordée aux "infrastructures et à la coopération transfrontalière dans les régions frontalières rurales", en insistant plus largement sur "la nécessité d’améliorer les infrastructures et le système de services de transport public".

S’agissant du numérique, le CdR insiste sur le caractère essentiel du haut-débit, en rappelant que les investissements dans les infrastructures doivent d’accompagner "une offre suffisante de formation". Relevant également que les zones rurales ont singulièrement souffert du Covid compte tenu d’une "grande proportion de travailleurs occupant des emplois essentiels et d’une infrastructure internet médiocre", il plaide pour le développement du télétravail, en proposant notamment "des incitations fiscales pour encourager les entreprises privées à permettre aux salariés de travailler dans les zones géographiques de leur choix".

Rétribuer les zones rurales pour leurs services au monde urbain

L’avis recommande également de mieux valoriser, y compris financièrement, les apports des zones rurales aux zones urbaines. "Des progrès supplémentaires sont nécessaires en ce qui concerne l’évaluation des services écosystémiques fournis par la nature […], dont les bénéfices pourraient être attribués en partie aux communes rurales", défend l’avis. Et ce d’autant que "le déploiement rapide et à coûts avantageux des énergies renouvelables […] ne peut s’effectuer que sur le territoire des régions rurales et avec leur concours. Aussi est-il indispensable qu’elles soient associées à la réussite économique de cette démarche". Le CdR propose que cet "effet positif" apporté aux zones urbaines soit "pris en compte dans les calculs des montants des investissements par habitant et par type de région […], en accordant une attention particulière aux petites villes et villages". Il note en sus que "les investissements intercommunaux devraient bénéficier à toutes les collectivités locales et régionales, de telle façon qu’idéalement, ils profitent à parts égales aux zones urbaines et aux zones rurales".

Rural ne signifie pas agricole

"Le développement rural concerne davantage d’activités que la seule agriculture", scande par ailleurs l’avis. Le CdR appelle ainsi à ce qu’un "fléchage minimal des fonds européens dans les zones rurales en faveur des projets non agricoles soit mis en place, aussi bien dans les programmes opérationnels de la politique de cohésion que dans les autres programmes d’intervention directe (Horizon Europe, Mécanisme européen d’interconnexion ou Europe créative)". Plus encore, alors que l’avis initial indiquait que "l’agriculture doit continuer à jour un rôle central dans les zones rurales", la version définitive se contente d’indiquer qu’elle "doit pouvoir continuer à" jouer ce rôle.

Le Comité déplore par ailleurs que la Commission ne fasse "référence que par la tangente" aux opportunités "qu’offrent des secteurs tels que le tourisme rural durable, les loisirs et les activités culturelles". Il demande qu’il soit fait mention du rôle du patrimoine culturel et de la culture dans la construction d’un "avenir durable et prospère". Et de mentionner par ailleurs "le cyclotourisme, la chasse, la randonnée, la mycologie, le tourisme de bien-être, la gastronomie, les arts de proximité, ou encore les ateliers d’artistes et les maisons d’exposition, etc." comme activités pouvant être déployées "au-delà du secteur agricole".

PAC, occasion ratée

Le CdR regrette d’ailleurs que la communication de la Commission "arrive après la conclusion des négociations sur la PAC", alors que cette dernière "aurait pu contribuer à [s]a mise en œuvre, notamment via un meilleur équilibre financier entre les premier et second piliers". Il dénonce encore le fait que "les instruments de convergence entre la politique de cohésion et les politiques de développement rural aient été abandonnés lors de la réforme de la PAC", et particulièrement l’abandon du Feader dans le règlement portant dispositions communes de la politique de cohésion.

Il déplore enfin que "l’on a[it] raté", lors de l’élaboration de cette dernière, des plans stratégiques nationaux et des plans de relance (voir notre article du 26 janvier 2021), "l’occasion de veiller à ce que les futurs projets d’investissement dans les zones rurales soient véritablement calqués sur les besoins de chaque territoire, tels qu’ils ont été recensés par les acteurs eux-mêmes". Et le CdR de prévenir que "pour être couronné de succès, le programme rural ne peut se fonder sur une approche universelle" et "qu’il est nécessaire de procéder à une catégorisation précise des territoires et de reconnaître les spécificités locales".

Semestre européen et "test rural"

Dans le même but, CdR appelle à la mise en place d’indicateurs "particulièrement pertinents pour les zones rurales, par exemple en termes de pourcentage de la population ayant accès aux services publics de transport collectif, du numérique, de l’emploi, de la santé ou de la culture dans le contexte du Semestre européen". Et d’insister particulièrement sur "l’importance d’inclure des indicateurs sur l’accessibilité aux services sociaux et de soins ainsi qu’aux services de proximité en matière de protection sociale".

Il appelle également à "une simplification des règles de mise en œuvre des fonds européens et des aides d’État dans les zones rurales, une amélioration de leur combinaison et le passage à un modèle multi-fonds" ainsi qu’un "soutien technique suffisant" et une "simplification des conditions requises ou la mise en place de facilités ou d’initiatives spécifiques" pour les communes à faible population.

L’avis ne vise pas que la Commission. Le CdR invite ainsi les États membres et les collectivités locales et régionales à appliquer l’approche du "test rural" promue par la communication de la Commission (voir notre article du 12 juillet 2021) "à leurs stratégies et à leurs investissements au cours de la période actuelle de programmation 2021-2027 pour la PAC et les fonds de cohésion ainsi que pour les plans nationaux de relance et de résilience".

Prévenir l’abandon des terres et l’expansion des grands carnivores, entretenir les chemins ruraux

Pour autant, l’agriculture n’est pas ignorée. Un secteur où le "renouvellement des générations demeure une question urgente", alors que le Comité alerte sur "l’importance de prévenir l’abandon des terres". Singulièrement en montagne, où les grands prédateurs sont particulièrement visés, la multiplication de leurs attaques étant jugée telle que "les alpages cessent d’être exploités" alors qu’ils "contribuent de manière appréciable à empêcher que la forêt ne reconquière des régions entières". Le CdR appelle ainsi la Commission à l’établissement d’une "gestion européenne commune pour le loup et les grands carnivores, en particulier l’ours", tout appelant à étudier une modification de la directive Habitats aux fins de permettre un assouplissement/renforcement de leur statut de protection par pays ou "entité territoriale".

Le CdR, qui entend même mettre en exergue "le rôle important joué par les infrastructures agricoles", invite en outre la Commission à prendre des mesures en faveur des chemins ruraux – but également poursuivi par le législateur français (après leur rejet par le Conseil constitutionnel au motif qu’elles n’avaient pas à figurer dans la loi Climat – voir notre article du 30 août 2021 – , des dispositions en ce sens ont été reprises dans l’actuel projet de loi 3DS – voir notre article du 16 juillet 2021).