Attirer de nouveaux habitants : comment profiter de "l'effet covid" ?
Saint-Etienne, Vichy ou Laon : trois villes aux caractéristiques très différentes sont parvenues à enrayer la spirale du déclin et à attirer de nouveaux habitants, souvent venus des grandes métropoles, profitant aujourd'hui d'un "effet covid". Extraits de leurs témoignages recueillis lors d’une webconférence organisée le 31 mars par l’association Centre-ville en mouvement.
"Serendipity", l’autre nom de la providence. C’est aussi le nom évocateur d’une pâtisserie qui a ouvert en décembre 2020 à Laon. A sa tête, un jeune couple de Versaillais séduits par la cité médiévale de l’Aisne. Malgré un patrimoine très riche, cette ville préfecture de 25.000 habitants d’un département rural en déprise démographique a beaucoup souffert des récentes réformes de l’Etat, comme la fermeture en 2000 de trois casernes. Rattachée au programme de revitalisation Action cœur de ville (ACV), elle fait beaucoup depuis quelque temps pour améliorer sa notoriété (bien moins connue que sa voisine Soissons, elle est en outre souvent confondue avec Lens) et profiter du regain d’attractivité des villes moyennes observé avec la crise du Covid (voir aussi notre article du 29 novembre 2021). "On essaie d’attirer de nouvelles populations, on a lancé pour cela une grande campagne d’attractivité avec une agence de Limoges, Laou, qui a notamment l’habitude de travailler avec les régions", a expliqué son maire Eric Delhaye, lors d’une webconférence organisée le 31 mars par l’association Centre-ville en mouvement et son Observatoire de l’environnement et de la vie urbaine sur le thème "Comment les villes attirent-elles de nouveaux habitants ?". La ville et l’agence ont profité du passage du jeune couple de pâtissiers dans un documentaire sur M6 ("Plus vertes, moins chères : la grande revanche des villes de province") début mai 2021, pour lancer cette grande campagne. Un site internet "Venez vivre à Laon" a alors été mis en ligne. Pour cibler le public, l’agence a croisé de nombreuses données d’habitants cherchant à quitter les métropoles, utilisé des mots clés de moteurs de recherche ("métiers en tension", "soignants", "maintenance"…). Près d'un million de personnes ont vu la campagne sur internet et les réseaux sociaux, sans compter les nombreux affichages : abribus, bus, métro... Environ 400 familles se sont inscrites sur le site, l’objectif était d’en sélectionner une dizaine en fonction de leur profil, de leur motivation et de la maturité de leur projet. Chaque famille a été contactée par l’agence et a pu venir visiter la ville le temps d'un week-end, tous frais payés. Au programme : visite touristique de cette belle ville médiévale, mais aussi de biens immobiliers, échanges avec les professionnels, les différents services de la ville, Pôle emploi. Il est vrai que le prix de l’immobilier : 1.000 euros le m2 a de quoi faire rêver des Parisiens à l’étroit dans leur appartement. Convaincus, ces candidats au déménagement ont ensuite bénéficié d’un véritable accompagnement dans leurs démarches. "Il n’est pas simple de changer de vie, ce sont des projets qui demandent un peu de temps, on continue d’accompagner ces familles", explique l’édile. Le coût de l’opération ? 60.000 euros. "Un coût modeste compte tenu des retombées en termes de notoriété", juge-t-il. L’opération a en effet eu beaucoup d’échos médiatiques (télé, presse écrite, web) et le succès semble au rendez-vous, même si la municipalité n’a pas encore de données chiffrées sur l'arrivée de nouveaux habitants. "On avait repéré un jeune médecin gériatre, qui après un passage à Privas était installé en Ile-de-France, il est revenu avec une proposition d’embauche de l’hôpital de Laon, notamment pour travailler dans les Ehpad. Aujourd’hui, il se plaît énormément dans la ville", témoigne Eric Delhaye. Il constate aussi l’arrivée d’investisseurs ou de salariés qui travaillent sur la plateforme aéroportuaire de Charles-de-Gaulle. Son souhait : faire en sorte que le TER Paris-Laon opère une "virgule" vers l’aéroport. La ville est lancée dans une vaste opération de revitalisation à travers ACV, mais la question du transport reste "essentielle", "ce sont de vraies batailles à mener avec la région, la SNCF".
"Changer de vie, changer de ville"
La presse a fait des gorges chaudes de la "revanche des villes moyennes", même si le phénomène est moins marqué que certains se plaisent à le croire (voir notamment notre article du 21 février 2022). "L’épidémie est venue briser les habitudes, un mouvement de fond s’est enclenché, de nombreux habitants sont prêts à changer de vie, à changer de ville. Et certaines villes ont su mieux que d’autres tirer leur épingle du jeu", souligne l'ancien maire de Montrouge Jean-Loup Metton. Pour Centre-ville en mouvement, le marché immobilier atteste de ce changement. Les ventes de maisons ont augmenté de 13%, les acquéreurs d’appartements demandent terrasses, balcons, jardinet… "On assiste à un tassement énorme sur les prix de l’immobilier à Paris (+1%), alors que les stations balnéaires de Normandie ou les communes rurales ont pris 2%", argue Pierre Creuzet, le directeur de Centre-ville en mouvement. Même si rien n'est acquis d'avance. A Vichy (Allier), c’est le classement à l’Unesco parmi les onze "grandes villes d’eaux d’Europe" en juillet 2021 qui a marqué un tournant (voir notre article du 26 juillet 2021), couronnant ainsi les travaux entrepris dans le cadre du programme Action cœur de ville. De nouveaux habitants arrivent. "Ce sont souvent des retraités parisiens et lyonnais qui s’installent", explique Foudil Meddahi, conseiller municipal à l'animation commerciale, qui reconnaît toutefois qu’il est plus difficile d’accueillir de jeunes familles (qui recherchent un bout de terrain). Un travail qui doit être coordonné avec les villes environnantes de l’intercommunalité. La ville travaille à élargir son offre de logements (identification du foncier "mutable", ravalement de façades…) tout en améliorant l’offre commerciale. Il s’agit aussi de "faire de Vichy la ville du 'mieux vivre', en s’appuyant sur le thermalisme, le sport et la pleine santé", insiste Foudil Meddahi.
"Avant, on ne m’appelait jamais"
Mais les métropoles n'attendent pas les bras croisés le départ de leurs habitants et cherchent aussi à renforcer leur attractivité, quand elles ne se font pas concurrence entre elles. Ancienne cité minière, "Saint-Etienne a toujours eu une très mauvaise image, celle de la 'ville noire'. Il y a le foot certes, mais cela ne fait pas tout", plaisante Pascale Lacour, adjointe au commerce, montrant là aussi l’ampleur de la tâche pour la municipalité arrivée en 2014. Ici, la ville n’a pas eu recours au marketing territorial mais s’est appuyée sur des transformations profondes, notamment d’importantes opérations de déconstruction-reconstruction (775 logements démolis, 1.664 reconstruits dont 198 maisons individuelles), en misant sur la qualité de vie et sur des logements de luxe en centre-ville (certains immeubles ont même une piscine intérieure). La municipalité est aussi connue pour ses investissements dans la sécurité (doublement du nombre de policiers municipaux, triplement du nombre de caméras). Le maire Gaël Perdriau est d’ailleurs co-président de la commission Sécurité de France urbaine. Depuis 2014, la ville a ainsi enregistré une augmentation de 14,2% du nombre de cadres supérieurs, l’ouverture de 99 classes de primaire, et une augmentation de 26% de la capacité du logement étudiant… "Le Covid nous a aidés. Beaucoup de Lyonnais sont venus habiter sur Saint-Etienne", constate Pascale Lacour. Avec le groupe Biltoki, la municipalité a aussi investi dans des halles gourmandes inaugurées en septembre 2021. Les flux ont progressé de 18,6% en centre-ville, jusqu’à 30% aux alentours des halles et 50% pour le parking attenant. "J’ai vu un vrai changement depuis septembre. Aujourd’hui ce sont les enseignes qui arrivent à nous. Avant, on ne m’appelait jamais", témoigne Pascale Lacour. La ville s’appuie aussi sur une foncière de redynamisation et peut aujourd’hui se montrer sélective dans ses choix. "Je n’ai pas peur du vide, je préfère attendre six mois de plus pour avoir quelque chose de beaucoup mieux", assure l’édile qui sait aussi jouer au VRP : "Le Stéphanois est quelqu’un de très accueillant, de très sympathique."