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Assises des départements : Jean Castex fait valoir une politique des petits pas

Les Assises des départements se sont conclues ce vendredi 3 décembre à Bourg-en-Bresse par la venue du Premier ministre qui, reconnaissant les ambitions modestes du projet de loi 3DS, a mis en avant deux sujets sur lesquels un compromis devrait selon lui satisfaire les élus départementaux : les gestionnaires de collèges et les routes. Sur le terrain financier, il s'est dit favorable à deux propositions de l'Assemblée des départements de France : autoriser les "provisions contracycliques" et instaurer une "clause de sauvegarde". Les attentes de l'ADF en matière de décentralisation et d'autonomie financière restent toutefois entières. En s'appuyant sur ses "102 propositions", l'association entend maintenant les faire entendre en vue du prochain quinquennat.

Depuis la veille, les élus réunis dans l'Ain pour les Assises des départements avaient très largement échangé sur leurs multiples attentes. Une bonne partie d'entre elles se retrouvant naturellement parmi les "102 propositions" élaborées par l'Assemblée des départements de France (ADF) et présentées le 2 décembre en fin de journée (voir notre article du 2 décembre). Une longue liste dans laquelle il est question d'environnement, de patrimoine, de logement, de ruralité, de mobilités, de numérique, d'eau, de jeunesse, d'insertion, d'autonomie, de sécurité… et, de façon plus transversale, de gouvernance, de citoyenneté et de finances (document à télécharger ci-dessous).

Une constante au fil des prises de parole : le vœu d'une "vraie" décentralisation qui donnerait aux départements une "capacité à agir". Certes, ce vœu, c'est un peu celui de chaque congrès annuel de l'ADF. Voire de chaque congrès d'association d'élus locaux. Les fondamentaux varient peu… Mais alors qu'il y a quelques années, l'enjeu pour les départements était pratiquement de "sauver leur peau", en cette fin 2021, ils ne sont guère directement menacés. Certes, ils ont "de plus en plus le sentiment d'être considérés comme des services extérieurs de l'État", pour reprendre les termes de François Sauvadet, le président de l'ADF. Mais dans le fond, ils estiment qu'ils "sortent renforcés par l'épreuve des faits". La gestion de la crise, notamment, aurait conforté leur utilité et démontré leur "agilité".

Les élus départementaux peuvent de ce fait opter pour une posture plus offensive. Et politiquement, on a connu des congrès plus agités, plus divisés (en sachant toutefois qu'une partie des élus de gauche avait, pour cause de cinquième vague Covid, décidé de ne pas participer aux Assises). Sur l'essentiel, tous sont plus ou moins sur la même longueur d'ondes. Jean-Luc Gleizes, le président du groupe de gauche de l'ADF (31 départements) a bien exprimé des "réserves" sur les 102 propositions : son groupe se dit d'accord sur 60 d'entre elles, considère que 35 sont à retravailler ou reformuler et se dit "radicalement hostile" à 6 propositions. Il y a des désaccords liés à des sujets comme le RSA ou la vidéoprotection, mais la liste des terrains de convergence est bien plus longue. Et il plaide bien lui aussi, comme les 71 départements du groupe DCI (droite, centre et indépendants), pour "un nouvel acte de décentralisation, avec des transferts de compétences qui aient du sens". Sans oublier que la voix des départements se mêle à celles de l'Association des maires de France et de Régions de France, dont les présidents étaient venus jeudi soir à Bourg-en-Bresse prôner une nouvelle fois une "République des solutions" portée par les collectivités et s'engager à établir d'ici fin janvier un corpus commun de propositions ("non pas un programme unique, mais une plateforme commune" sous l'étendard Territoires unis, précisera David Lisnard pour l'AMF). Avec, in fine, le projet d'auditionner ensemble les candidats à la présidentielle.

3DS : "Une somme de petites améliorations"

Aller clairement plus loin en matière de décentralisation ? Venu ce vendredi 3 décembre clore les deux jours d'Assises, Jean Castex ne le dit pas vraiment. Il dit en revanche une chose : ce n'est pas le moment. Oui, l'exécutif "veut donner plus de responsabilités aux territoires". Mais sur les sujets de santé notamment, "il n'aurait pas été raisonnable, tant que la crise sanitaire est encore là, de changer les règles du jeu", a expliqué le Premier ministre. Oui, lorsque cette crise sera révolue, "il faudra faire un bilan" et "il y aura sûrement des choses à changer". Mais ce n'est pas ce qu'il faut attendre du projet de loi 3DS, a reconnu Jean Castex : "C'est vrai, ce n'est pas une révolution, cette loi, on n'a jamais prétendu ça. C'est une somme de petites améliorations, je l'assume." Ensuite, quand viendra l'heure de la campagne électorale, "il y aura un grand débat, nous verrons si nous devons aller plus loin". Pour le moment, "en fin de quinquennat, il s'agit seulement d'améliorer tout ce qui peut l'être, sans changer profondément les règles", a-t-il insisté.

Jeudi soir, Gérard Larcher, invité des Assises, était revenu sur ce projet de loi 3DS et sur le fait que l'Assemblée nationale ait rejeté en commission les principaux apports du Sénat (voir notre article du 1er décembre) : "Je partage aujourd'hui, avec les deux corapporteurs du Sénat, Françoise Gatel et Mathieu Darnaud, de réelles inquiétudes quant aux travaux réalisés en commission par nos collègues députés", a affirmé le président du Sénat. Et celui-ci de citer plusieurs points de divergences, dont "le transfert de la médecine scolaire" aux collectivités ou la "question de l'autorité véritable des présidents de département sur les gestionnaires des collèges". "Sur tous ces points, je vous le dis, nous ne pourrons accepter un tel recul", a-t-il prévenu.

Gestionnaires de collèges : une "autorité fonctionnelle"

Le chef du gouvernement a précisément fait un petit pas en direction des départements s'agissant des gestionnaires de collèges. Mais cela risque fort d'être jugé insuffisant. En commission, les députés ont prévu qu'à titre expérimental, une convention puisse autoriser le département ou la région à "donner des instructions" au gestionnaire de collège ou lycée. La ministre Jacqueline Gourault avait alors indiqué qu'il était encore possible de "clarifier les choses". Jean Castex a fait savoir vendredi qu'un amendement gouvernemental allait donner aux collectivités "l'autorité fonctionnelle sur les gestionnaires". "J'espère que l'Assemblée le votera", a-t-il ajouté. Sauf que "autorité fonctionnelle", cela signifie que l'autorité hiérarchique sera bien l'Éducation nationale. Autrement dit, pas de transfert. Une convention entre l'établissement et la collectivité précisera "les modalités d'exercice des compétences respectives du chef d’établissement et du président du conseil départemental ou régional", avec "un volet relatif à la restauration scolaire", explique l'exposé sommaire de cet amendement effectivement déposé le 2 décembre.

Autre avancée mise en avant par le Premier ministre, cette fois sur le sanitaire : "Nous avons acté le fait de renforcer la place des départements dans la gouvernance des agences régionales de santé, en leur donnant une vice-présidence." Également actée, "la possibilité de recruter du personnel soignant dans les structures de soins de proximité, notamment les centres de santé gérés par les départements".

Parmi les demandes fortes des départements concernant 3DS : le sujet des routes, avec le transfert initialement prévu de 10.000 kilomètres de routes nationales aux régions. Là-dessus, Jean Castex a tenu à expliciter l'objectif du gouvernement au terme de ses discussions avec l'ADF et Régions de France, estimant qu'un "accord" a été trouvé. Tout d'abord, il s'agit bien de "réaffirmer que la compétence de droit commun pour les routes, c'est le département". Ce qui signifie notamment que le département restera aux manettes "sur la maintenance et l'entretien", car pas question "que les régions recréent des services". Ensuite, l'idée est "d'impliquer les régions pour les travaux dont l'itinéraire dépasse les limites d'un département, pour les travaux structurants – des travaux pour lesquels les départements n'ont pas toujours les moyens de faire". Autrement dit, faire en sorte "que la région puisse, si elle le souhaite, sur une base expérimentale, intervenir sur ces travaux".

"Retrouver une liberté fiscale"

Face aux nombreuses doléances de l'ADF sur le terrain des finances, Jean Castex a d'abord tenu à rappeler tout ce qui a été fait depuis 2020 (avances sur les droits de mutation, prolongation des fonds de stabilité…) et ce que prévoit le projet de loi de finances pour 2022 (stabilité de la dotation globale de fonctionnement, fond de péréquation, réforme de la DSID…). Puis s'est dit favorable à deux points figurant dans les "102 propositions" : d'une part, le fait d'"autoriser les provisions contracycliques" pour faciliter les plans d'investissement pluriannuels ; d'autre part, "l'instauration d'une clause de sauvegarde" pour pallier dans le temps les variations de charges et de dépenses, notamment lors de crises. Jean-Léonce Dupont, le "monsieur finances" de l'ADF, avait expliqué cette idée de clause de sauvegarde : une sorte de "système assurantiel, de bouclier, lorsque les charges explosent, sous forme d'avance sur recettes avec clause de retour à meilleure fortune".

Reste que la demande de fond des départements est ailleurs. Celle de "retrouver une liberté fiscale" réduite à néant avec la perte de la taxe sur le foncier bâti. Comme il l'avait évoqué la veille, François Sauvadet a alerté le Premier ministre sur le fait que le haut niveau actuel des DMTO – une ressource par définition "extrêmement volatile" – "ne durera pas". Et par conséquent que "sans amortisseur fiscal, nous courrons à la catastrophe". Au-delà de la situation actuelle, les départements en font naturellement une question de principe : "La perte de notre autonomie fiscale est un pur scandale", avait lancé Jean Deguerry, le président de l'Ain, dès l'ouverture des Assises. Alors, si dans l'immédiat, les départements demandent "une petite marge de manœuvre sur les DMTO", à moyen terme, c'est bien une nouvelle "remise à plat de la fiscalité locale" qu'ils appellent de leurs vœux.