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Sécurité - Armement des polices municipales : les préfets recadrés

Si de nombreux maires font le choix d'armer leur police depuis les attentats du début d'année, ils sont nombreux, selon les départements, à essuyer un refus du préfet. Dans une circulaire sur la livraison des 4.000 révolvers promis aux maires qui en feront la demande, Bernard Cazeneuve se montre ferme à l'égard des préfets : leur refus devra être "exceptionnel" et "motivé", et ils devront avoir rencontré le maire. Cette circulaire intervient peu de temps après celle sur l'intéropérabilité des réseaux de communication. Deux des annonces fortes du début de l'année en réponse aux attentats sont désormais cadrées.

L'armement des policiers municipaux : le sujet divise les élus par-delà des clivages politiques. Les gouvernements successifs ont toujours soigneusement éludé la question, renvoyant au statu quo, c'est-à-dire à la décision du maire. Sauf que dans les faits, de nombreux élus se voient opposés une fin de non-recevoir par le préfet. Le débat a été relancé en début d'année après la mort de Clarissa Jean-Philippe, agent à Montrouge (Hauts-de-Seine), tuée par le terroriste Amedy Coulibaly. Elle n'était pas armée. Le maire d'Evry, Francis Chouat (PS), avait alors proposé de renverser la règle actuelle : généraliser l'armement en donnant la possibilité aux élus d'y renoncer.
Ce n'est pas le choix fait par le gouvernement. Mais, alors que de plus en plus de maires souhaitent armer leur police, avec une recrudescence des demandes depuis le début de l'année, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve se montre décidé, dans une circulaire du 29 mai, à faciliter les autorisations des préfets. L'objectif premier de cette circulaire est de préciser les modalités dans lesquelles l'Etat va fournir aux collectivités qui en feront la demande les 4.000 révolvers Manurhin qu'il a promis. Cette décision avait été prise au lendemain des attentats du début d'année, lors d'une réunion à Beauvau, le 26 janvier, avec les représentants de l'AMF et les syndicats, dans le but de protéger davantage les policiers municipaux sur le terrain. Un décret du 29 avril est venu modifier la réglementation en vigueur pour permettre aux policiers municipaux d'utiliser ce type d'armes. Dans la foulée de ce décret, le ministre insiste sur le fait que "l'usage des armes Manurhin remises par l'Etat aux communes est impérativement subordonné à l'utilisation exclusive de cartouches de calibre 38 special (ces revolvers sont en effet conçus pour être utilisés avec des cartouches de type 357 magnum ou 38 spécial, ndlr)". La circulaire pose deux conditions à la livraison des armes : les maires devront obtenir les autorisations préfectorales nécessaires pour armer leur police et signer une convention de coordination. Sur la base de cette circulaire, les préfets devront informer les maires du dispositif et recenser leurs besoins. Ils devront prioriser les demandes en fonction de la présence "d'un quartier prioritaire et de la gravité des actes de délinquance".

"On n'est plus dans le fait du roi"

Mais le texte ne s'en tient pas là. Le ministre insiste sur le fait que l'armement des polices municipales s'inscrit dans une "démarche plus globale tendant à assurer la protection des personnels". Les refus des préfets devront revêtir "un caractère exceptionnel" et donner lieu à une "argumentation motivée, après contact avec le maire demandeur". Un point souligné en gras qui n'a pas manqué de sauter aux yeux de Fabien Golfier, secrétaire national de la FA-FPT, un syndicat favorable à l'armement des policiers municipaux. "Le refus devient l'exception (…), on n'est plus dans le fait du roi", se réjouit-il. "Dans certains départements, le préfet oppose systématiquement un refus, voire laisse dans sa grande mansuétude un accès aux flashballs et aux tasers", ironise-t-il.
Aujourd'hui, dans les dérogations accordées par les préfets, c'est en effet le flou qui domine. Les syndicats pointent notamment le préfet du Val-de-Marne où huit communes, dont Joinville, Le Perreux ou Villeneuve-le-Roi, ont récemment essuyé un refus, alors que leur dossier était motivé… Le préfet aurait justifié son choix par la baisse de la délinquance observée localement. Dans les Yvelines, le préfet vient au contraire de donner son feu vert à cinq demandes. La circulaire permettra de rationaliser les décisions.
Seulement, les maires qui souhaitent pouvoir bénéficier du lot des 4.000 revolvers, vont devoir se presser. Les préfets devront en effet remettre au 16 juillet 2015 un tableau dressant la liste de toutes les demandes et la suite qui leur a été réservée. Une fois le dossier accepté, les mairies récupéreront leurs armes auprès du secrétariat général pour l'administration du ministère de l'Intérieur (Sgami) territorialement compétent. A noter que la distribution de ces 4.000 revolvers est une expérimentation de cinq ans. Dans ce cadre, les maires devront adresser chaque année au préfet un bilan de leur utilisation. Selon Le Parisien du 12 juin, huit communes se sont d'ores et déjà montrées intéressées : Marseille, Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), Roissy-en-Brie, Courtry (Seine-et-Marne), Loches, Monts (Indre-et-Loire), Bourg-Saint-Andéol (Ardèche), et Vias (Hérault).

Intéropérabilité des réseaux

La circulaire du 29 mai s'ajoute à une autre circulaire importante du 14 avril sur l'interopérabilité des réseaux de radiocommunication entre les polices municipales et les forces de sécurité de l'Etat. Lors de la réunion du 26 janvier, il avait en effet été décidé de généraliser l'expérimentation menée depuis septembre 2013 à Evry, Nancy, Libourne et Annecy-le-Vieux pour améliorer les échanges d'information. Il s'agit de "faciliter les transferts d'information, particulièrement dans les situations d'urgence, tel que ce fut le cas lors du drame de Villiers-sur-Marne", rappelle la circulaire en référence à la mort de la policière municipale Aurélie Fouquet en mai 2010. Ce besoin d'échange "s'est révélé plus aigu encore à l'occasion de la vague d'attentats qu'a connue la France les 7 et 8 janvier 2015", poursuit Bernard Cazeneuve.
Le ministre explique que les maires auront le choix entre trois options en fonction de leurs ressources : l'accueil complet sur l'un des réseaux radio du ministère (INPT ou Rubis), solution privilégiée par la place Beauvau mais plus coûteuse, la création d'un réseau radio local rattaché à un réseau du ministère et permettant de couvrir une ou plusieurs communes, ou encore la connexion du réseau de radio existant de la police municipale à un réseau du ministère. Les deux dernières solutions, "bien que ne répondant pas à l'intégralité des besoins, ont significativement amélioré la coopération opérationnelle des forces".
Bernard Cazeneuve rappelle que les mairies bénéficieront d'une subvention de 30% du coût de terminaux portatifs, dans la limite de 420 euros par poste. Cette subvention est prise sur le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Mais la mairie devra encore acquitter les 500 euros de redevance annuelle, 4.500 euros pour l'achat d'une "passerelle" par véhicule et 3.000 euros pour l'achat de terminaux mobiles. Cette généralisation demandée bien avant les attentats a été unanimement saluée par les syndicats. Même s'ils jugent les moyens insuffisants. "On aurait préféré une offre égale pour tous et rendue obligatoire", regrette Fabien Golfier. "Là on aura une intégration à plusieurs vitesses en fonction des choix et des moyens des collectivités. Voire pas d'intégration du tout."