Apprentissage : les régions attentives à son impact sur la voie professionnelle
Bien que privées de la régulation du nombre de centres de formation d'apprentis, certaines régions se montrent vigilantes quant à l'impact du développement de l’apprentissage sur les lycées professionnels.
Fin 2021, plus de 3.000 organismes ou centres de formation opéraient par le biais du contrat d'apprentissage*. Un chiffre qui aurait triplé depuis la loi "Avenir professionnel", selon la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Couplée à une explosion du nombre d'effectifs d'apprentis, cette évolution a transformé l'équilibre des formations sur les territoires, posant la question de la concurrence entre filières.
Certaines régions se montrent vigilantes quant à l'évolution des effectifs en lycée professionnel. "La loi de 2018 ne prévoit pas de distinction entre les politiques visant les lycées professionnels et les CFA, bien que les deux modèles se valent", regrette Océane Charret-Godard, vice-présidente en charge des lycées, de l'offre de formation, de l'apprentissage et de l'orientation de la région Bourgogne-Franche Comté. Alors que la formation en apprentissage est désormais libéralisée, celle des lycées professionnels ne l'est pas, fragilisant un modèle demeurant selon elle "une très bonne voie d'accès à l'emploi". "La région doit voter une carte des formations sur des moyens appartenant au rectorat. Donc quand on ouvre quelque part, on doit fermer ailleurs", regrette-t-elle.
Stagnation des effectifs en lycée professionnel
Un rapport datant de mars 2022, publié par l'association "Inspecteurs de l'éducation sans frontières" et diffusé par l'agence de presse AEFinfo, constate des "pertes d'élèves" au sein de lycées professionnels et techniques dans certaines académies.
Dans la région Grand Est, on suspecte aussi un "effet d'aspiration de l'apprentissage par rapport aux contingents que l'on retrouve en lycée professionnel", comme l'a reconnu son président, Jean Rottner, lors d'une séance plénière du conseil régional. L'Observatoire régional emploi formation (Oref) scrute de près ces évolutions pour mieux anticiper la gestion immobilière des établissements. Début 2022, il publiait un épais état des lieux des effectifs et formations en CFA localisant l'intégralité des CFA à la rentrée 2020. En effet, l'évolution de la carte des formations "peut poser question sur le maintien de classes", explique le responsable de l'Oref, Julien Leclerc. Car le nombre de candidats à l'apprentissage n'est pas infini. "Dans certaines zones du Grand Est, il y aura moins de jeunes d'ici 2050", ajoute-t-il.
Difficulté à repérer la concurrence
Chargé de mission se consacrant à la carte des formations professionnelles initiales à la région Centre-Val de Loire, Jérôme Baron estime toutefois qu'il est plus difficile de repérer les éventuels doublons depuis la mise en place de la réforme. Comme d'autres, la région tient compte d'une carte "cible" des formations prioritaires en apprentissage, élaborée en coopération avec les opérateurs de compétences et les branches professionnelles afin de choisir les établissements qui pourront bénéficier d'aides au fonctionnement ou à l'investissement. Avec cette limite que "les CFA n'y candidatent que s'ils le souhaitent", reconnaît-il.
S'il se montre vigilant sur les effets de la réforme sur les lycées professionnels, il n'a eu connaissance que d'un seul cas problématique : celui d'un établissement dans le domaine des services à la personne qui n'avait plus d'élèves, mais dont les difficultés seraient aussi à resituer dans un contexte plus large marqué par la crise sanitaire. Pour l'instant, "il y a de la place pour tout le monde", estime-t-il.
Développer l'apprentissage dans les lycées professionnels ?
Tenant compte de l'attractivité de l'apprentissage, certaines régions penchent pour l'évolution des lycées professionnels. "La question, maintenant, c'est de voir avec l'Éducation nationale comment certaines formations en voie scolaire pourraient s'ouvrir à l'apprentissage, pour maintenir l'offre sur le territoire et diversifier les voies de formation", estime Jérôme Baron. De son côté, la Bourgogne-Franche-Comté a lancé l'expérimentation "2+1", qui permet aux lycéens en bac professionnel d'effectuer une partie de leur formation en apprentissage, sans avoir à choisir entre les deux voies de formation.
"Une réflexion s'impose sur le sort des lycées professionnels qui ne s'engageraient pas dans l'apprentissage pour au moins une partie des formations", estime aussi l'association IESF, pointant le risque qu'ils ne deviennent des établissements "accueillant uniquement des publics en difficulté". Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a manifesté l'ambition de faire "du lycée professionnel une voie d'excellence" en rémunérant les jeunes pour leurs périodes passées en stage. Mais il souhaite également faire le tri parmi les filières n'assurant pas de débouchés vers l'emploi.
* D'après la liste publique des organismes de formation déclarant une activité d’apprentissage, disponible en open data ici.
Dans son livre blanc, Régions de France réclame la maîtrise de la carte des formations initiales de la voie professionnelle sous statut scolaire et par l'apprentissage. Une demande appuyée par l'Association française pour le développement de l’enseignement technique. D'utilité publique, cette association agréée par l'Éducation nationale, regroupant des acteurs du monde économique, de l'éducation et de la formation, invite également à une 'indispensable concertation visant la mise en cohérence, de l’évolution de la Carte des formations professionnelles initiales, scolaires, étudiantes". Dans un rapport publié en juin 2021, elle recommande une concertation annuelle à l’échelle d’une instance spécifique, qui pourrait être, par exemple, le Crefop (Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles). Dans son rapport datant de mars 2022, l'association Inspecteurs de l’éducation sans frontières constate également que le pilotage régional des formations "évitait la concurrence". |