Alimentation durable : convergence d'appels à accélérer la transition
Alors que le confinement a eu un impact fort sur la chaîne alimentaire, les consommateurs et certaines enseignes de grande distribution se sont davantage tournés vers la production locale. Pour que cet élan ne retombe pas et permettre les investissements nécessaires, des sénateurs appellent à un "portage politique plus ambitieux de la transition alimentaire". Dans une autre étude sur l'alimentation, France Urbaine et ses partenaires mettent en avant les réponses déployées dans l'urgence pendant la crise par les villes et agglomérations afin d'en tirer des enseignements. Dans le cadre du projet "Tressons", l'Avise et le RTES valorisent des initiatives sur lesquelles les collectivités peuvent s'appuyer pour s'engager plus avant sur leur territoire.
Alors que la Commission européenne a récemment présenté sa stratégie "De la ferme à la table" dans le cadre de son pacte vert (voir notre article du 26 mai 2020), la délégation à la prospective du Sénat vient d'adopter un rapport intitulé "Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France". Les rapporteurs Françoise Cartron (LREM, Gironde) et Jean-Luc Fichet (Socialiste, Finistère) demandent un "portage politique plus ambitieux de la transition alimentaire par les pouvoirs publics" et un engagement de l'Etat "à soutenir dans la durée les transformations du système alimentaire pour aller vers plus de sobriété et de végétal".
Diffuser les pratiques de consommation durable et rééquilibrer la politique foncière
Estimant que cette transition "sera tirée par la demande", ils appellent à "diffuser les pratiques de consommation durable au-delà des milieux aisés ou diplômés grâce à un programme national Nutrition Santé et Environnement plaçant la lutte contre les inégalités au centre de ses objectifs". Parmi les propositions destinées à aller dans ce sens : la taxation de certains aliments du fait de leur mauvaise qualité nutritionnelle - à l'instar de la taxe soda - et le financement, avec le produit de ces taxes, de "chèques alimentation saine". Des producteurs locaux ont été mis en avant pendant le confinement, tant par le développement de circuits courts que via des moyennes et grandes surfaces. "Est-ce qu'après l'engouement du Covid, cette même attractivité va rester ?", s'est interrogée Françoise Cartron le 28 mai 2020, lors d'une visioconférence de presse de présentation du rapport, alors que ce dernier avait été lancé avant le début de la crise sanitaire.
Insistant sur l'enjeu d'indépendance, de sécurité d'approvisionnement qui est apparu encore plus prégnant pendant le confinement, les sénateurs demandent un soutien accru aux projets alimentaires et agricoles de territoire et l'impulsion d'une politique foncière favorable à l'installation de producteurs locaux. "Beaucoup d'initiatives qui sont prises se heurtent à la disponibilité des sols", a observé Jean-Luc Fichet , estimant nécessaire de "réinterroger toute cette organisation" pour supprimer ce "goulot d'étranglement" du foncier. Les rapporteurs considèrent en particulier que la réorientation de surfaces cultivées, "aujourd’hui majoritairement consacrées aux céréales" destinées à l'élevage, vers la production de légumineuses est la "clé de voûte de la transformation des systèmes alimentaires".
Les villes et agglomérations ont des leviers pour agir
Dans cette transition, les collectivités territoriales peuvent agir, et les villes l'ont démontré depuis le début de la crise sanitaire. C'est l'objet de l'étude réalisée par France Urbaine avec les associations Resolis et Terres en villes publiée le 28 mai 2020. A partir d'une enquête à laquelle ont répondu 30 villes et agglomérations et cinq chambres d'agriculture, l'étude met en avant les diverses réponses déployées en urgence par les grandes villes et intercommunalités pour "remplacer les segments des circuits affectés par les décisions sanitaires, tout en renforçant les actions de solidarité à l’égard des publics fragilisés".
Parmi les solutions mises en œuvre : le rapprochement de l'offre et de la demande essentiellement via des outils numériques de recensement, la création de nouveaux débouchés pour compenser la fermeture des marchés et restaurants (prises de contact avec les grandes et moyennes surfaces pour intensifier les collaborations avec les producteurs locaux, relais des initiatives émanant de la société civile sur de la vente directe notamment, mobilisation des marchés de gros), l'organisation de drives et de points de retrait avec la mise à disposition d'équipements municipaux ou communautaires (parkings, collèges, gymnases…), l'appui logistique à des démarches de vente déjà existantes, les actions de solidarité envers les personnes vulnérables (avec par exemple la réouverture de cuisines centrales pour fournir des repas aux personnes isolées et précaires, comme à Grenoble et à Nice), le soutien au commerce de proximité, etc.
L'étude valorise la capacité des villes et agglomérations à "actionner des réseaux et mettre en place une synergie d'acteurs" pour soutenir les différents publics touchés par la crise. Ainsi, à Bordeaux, le Conseil consultatif de gouvernance alimentaire durable installé depuis 2017 "se révèle d’une importance majeure dans le cadre de la crise sanitaire", pour orienter les décisions de la ville notamment dans l'organisation du déconfinement.
Appelées probablement à "une nouvelle étape de leurs engagements dans le renforcement de la résilience et dans l’accélération de la transition alimentaire et agricole", les collectivités pourront s'appuyer sur plusieurs enseignements de la crise, selon les auteurs du rapport. Parmi eux : la nécessité d'une "alliance des territoires" – "la crise est un rappel à l’ordre du bienfondé des ceintures vertes et des campagnes alentours" -, l'importance de développer des "synergies" entre acteurs du territoire, le caractère "incontournable" du numérique comme celui des "mobilisations citoyennes", avec des acteurs appelés à peser davantage dans les débats. Les villes devront enfin plus que jamais utiliser les leviers dont elles disposent pour aller dans le sens de la demande alimentaire favorable aux produits frais et locaux : commande publique, restauration collective, aide au redéveloppement des marchés et appui aux circuits de proximité.
Le Bocal local : conjuguer insertion et "capacité alimentaire des territoires"
Dans sa fiche dédiée à une "alimentation durable et accessible à tous", le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) illustre la façon dont les collectivités peuvent s'appuyer sur des acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS) pour soutenir la structuration de filières, développer un projet alimentaire territorial solidaire ou encore "favoriser l'accès de tous à une alimentation de qualité et soutenable".
Organisé par l'Avise et le RTES dans le cadre du projet "Tressons" (voir notre article du 15 mai 2020 et celui du 3 mai 2019), un webinaire dédié à ces questions s'est tenu le 27 mai 2020. L'occasion de présenter plusieurs démarches d'ESS portées en milieu rural, dont le Bocal local, un atelier chantier d'insertion de Gironde ayant pour objectif de "favoriser l'insertion de personnes très éloignées de l'emploi en travaillant sur la capacité alimentaire des territoires", selon sa directrice Stéphanie Dartigue. L'association qui emploiera bientôt neuf salariés déploie plusieurs projets liés à la lutte contre le gaspillage alimentaire, la valorisation de la surproduction, l'accès du plus grand nombre à une alimentation saine. Sollicitée par des collectivités, elle accompagne certaines d'entre elles à la mise en place de nouvelles chaînes d'approvisionnement pour la restauration collective répondant aux nouvelles obligations fixées par la loi Egalim.
Réorienter les aides de la prochaine PAC
De la loi Egalim justement, il a été rapidement question par les sénateurs, Françoise Cartron estimant que cette loi "laisse aujourd'hui un certain nombre de frustrations" et qu'un bilan devra être réalisé dans six à huit mois. D'ici là, "nous allons proposer une résolution qui puisse inspirer les choix de la PAC", a poursuivi la sénatrice. Selon le rapport, il s'agirait notamment de réorienter les aides de la politique agricole commune pour "rémunérer les services agro-systémiques rendus par les légumineuses (réduction de l’usage de l’azote de synthèse et donc des pollutions agricoles diffuses, maintien du couvert des sols, maintien de la biodiversité)" et plus globalement "favoriser la diversification des cultures, l’allongement des rotations, reconnecter géographiquement les productions animales et végétales et être allouées en fonction d’un travail agricole plus important et non des surfaces cultivées".