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Réforme de la fiscalité locale - Alain Richard : en perdant la taxe foncière, des départements promis à une "dévitalisation financière"

Le président (LaREM) de la mission sur les finances locales a vivement critiqué, le 18 septembre, la solution d'un transfert de la taxe foncière des départements vers les communes et les intercommunalités, qui figurait pourtant dans le rapport qu'il a remis en mai, et qui a la préférence du gouvernement.

La compensation de la suppression de la taxe d'habitation par le transfert d'une part de TVA serait "plus équitable" et plus satisfaisante que le transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties, a estimé à titre personnel Alain Richard, sénateur et président - avec le préfet honoraire Dominique Bur - de la mission sur les finances locales mise sur pied par l'exécutif.
Actuellement, les départements peuvent faire face à une soudaine hausse de leurs dépenses, en particulier dans le domaine social, en actionnant le levier de la taxe foncière, a expliqué l'ancien ministre lors d'un colloque organisé le 18 septembre par le Forum métropolitain du Grand Paris. Si on leur retire cette possibilité en échange d'un impôt national, certes dynamique, mais sur lequel ils n'auront aucun pouvoir de taux, "certains départements seront dans une espèce de dévitalisation financière" et nous serons donc face à des "crises à répétition", s'est-il alarmé.
En outre, le transfert de la taxe foncière départementale au secteur communal conduira à des "déséquilibres", a-t-il mis en avant. Les territoires "surcompensés" seront avantagés, puisqu'ils bénéficieront d'une assiette fiscale plus étendue. Un dispositif de garantie corrigera, certes, les situations au profit des territoires sous compensés. Mais, gelé à la date de la réforme, il révélera très vite ses limites.

Maires bâtisseurs

En transférant au bloc communal la taxe foncière aujourd'hui perçue par les départements, on s'attaque au "phénomène du passager clandestin", a toutefois reconnu Alain Richard. C'est un bon point, selon lui. Lorsqu'une partie des départements ont augmenté fortement, ces dernières années, leurs taux de taxe foncière, ce sont les élus du bloc communal et non ceux des départements, qui ont recueilli les mécontentements des contribuables, a-t-il expliqué. Mais si les communes et les intercommunalités partagent, seules, l'assiette de la taxe foncière, on va "repousser" le problème du passager clandestin au sein du bloc communal, a-t-il dit.
Le rapport qu'Alain Richard et Dominique Bur ont remis, le 9 mai, au Premier ministre a avancé deux pistes pour compenser la perte de la taxe d'habitation : concentrer toute la taxe foncière sur le bloc communal (voire sur les seules communes) et compenser les départements par une part de TVA, ou bien allouer une partie de cet impôt d'Etat directement aux communes et à leurs groupements. Au cours des jours suivants, les associations de maires et présidents d'intercommunalité ont jugé que seule l'option d'un transfert de la taxe foncière sur les propriétés bâties des départements au bloc communal est envisageable. En dépit de la vive opposition des présidents de départements, c'est bien cette option que le Premier ministre a retenue. Lors d'une réunion le 4 juillet avec les élus locaux, il "a proposé" que les communes deviennent les seules bénéficiaires de la taxe foncière et que les établissements intercommunaux se voient affecter "des ressources dynamiques". Mais la concertation qui avait eu lieu ce jour-là n'est pas close, puisque le sujet sera au cœur des débats de la prochaine réunion de la conférence nationale des territoires, le 15 octobre.
Parmi les membres du gouvernement, le secrétaire d'Etat auprès du ministre chargé de la Cohésion des territoires défendrait ardemment l'option de la "redescente" de la taxe foncière. Julien Denormandie "est sur l'idée selon laquelle le maire bâtisseur est gagnant à tous les coups avec le système de la taxe foncière", a confié Alain Richard. Qui tente de le dissuader de ce choix, mais en vain pour l'instant. "On peut trouver une solution sur la TVA qui donne aux maires bâtisseurs autant d'avantages [que la taxe foncière], soutient le sénateur du Val d'Oise.

"Usine à gaz"

Pour Philippe Laurent, président de la commission finances de l'Association des maires de France (AMF), qui participait lui aussi au colloque, le transfert au bloc communal de la taxe foncière des départements est "de bon sens". Mais il conduit à monter une "usine à gaz" pour calculer ce qui revient à chacune des 35.000 communes. Globalement, ce transfert va "provoquer un très grand nombre de difficultés", a-t-il jugé. Devant l'ampleur de la tâche, l'exécutif pourrait, selon lui, être tenté de compenser les communes et leurs groupements par des dotations. "On n'est pas à l'abri de coups très durs contre l'autonomie [locale, ndlr]", a prévenu le maire de Sceaux. L'affectation d'un impôt national évolutif aux communes est "une solution intéressante qu'il faut regarder, car elle est presque plus protectrice", a-t-il conclu.
A sa suite, plusieurs élus municipaux d'Ile-de-France ont dit "leur inquiétude" pour les communes dans le contexte de la réforme. "Comment faire de la politique sans bénéficier de la stabilité des recettes ? Ça va être terrible d'être candidat en 2020", a pointé l'un d'eux. De son côté, Marie Chavanon, maire de Fresnes, s'est interrogée sur l'intérêt pour les communes de créer des logements sociaux du fait des exonérations de taxe foncière dont ceux-ci bénéficient.

En Ile-de-France, la réforme aurait des conséquences très contrastées
L'hypothèse d'un transfert de la taxe foncière départementale aux communes n'est pas franchement favorable à la zone la plus dense de l'Ile-de-France. C'est ce qui ressort d'une étude de la Banque postale présentée lors du colloque. Pour la capitale et les communes environnantes situées dans la petite couronne, la taxe aujourd'hui perçue par les départements ne suffira pas à compenser les recettes de taxe d'habitation qui vont disparaître. Ces collectivités vont donc percevoir des montants élevés de compensation sous la forme du mécanisme de garantie qui pourrait être mis en place et qui s'apparenterait à une dotation figée.
Parmi les "perdants" de la réforme - si celle-ci voit le jour -, la ville de Sceaux. Celle-ci aurait à encaisser une perte de 10 millions d'euros de recettes de taxe d'habitation, bien mal compensée par 3 millions de taxe foncière départementale. Le taux de la taxe départementale est "très bas", tandis que le taux de la commune s'appliquant à la taxe d'habitation est "relativement élevé", explique le maire, Philippe Laurent. Le fonds de garantie permettrait de combler l'écart de 7 millions d'euros. Un montant qui représente plus du quart des recettes totales de la commune (25 millions d'euros).
Les communes qui seraient surcompensées, et donc gagnantes, sont principalement situées en Seine-et-Marne, ainsi qu'au Sud de l'Essonne et des Yvelines. "Les petites communes sont globalement gagnantes et les communes plus peuplées sont globalement perdantes par rapport à la situation actuelle", décrypte Luc Alain Vervisch, directeur des études de la Banque postale collectivités locales. Avant lui, la mission Richard-Bur avait déjà établi ce constat pour l'ensemble de la France, dans le rapport qu'elle a remis en mai. Sur ce point, la situation francilienne n'est donc pas spécifique.
Deux communes membres d'une même intercommunalité pourraient connaître des évolutions totalement inverses, comme ce serait le cas, par exemple, dans la communauté d'agglomération Roissy Pays de France (42 communes).
Plus le potentiel financier actuel de la commune est élevé, plus son gain "est réel", observe par ailleurs le spécialiste des finances locales. Il en déduit qu'en Ile-de-France, "il y a un effet légèrement contre-péréquateur de la réforme". "Ce n'est pas rédhibitoire", dit-il en rassurant. "C'est simplement un élément à prendre en compte dans l'adaptation des dispositifs de péréquation".
En voyant leur potentiel financier croître, certaines communes perdraient leur éligibilité aux dispositifs actuels de péréquation. "Cela veut dire que derrière la réforme, il faut envisager de traiter l'ensemble des impacts indirects", conclut Luc Alain Vervisch.