Cour des comptes - Aides des collectivités aux entreprises : une répartition des compétences inaboutie
Répartition des compétences peu claire, contrôle partiel ou superficiel, évaluations peu fréquentes… dans son rapport annuel publié ce 10 mars, la Cour des comptes pointe les carences des collectivités dans la mise en œuvre de leurs aides aux entreprises. Le rapport critique aussi le manque de coordination entre elles et l'État. La recette proposée ? S'inspirer des pratiques vertueuses mises en place durant la crise sanitaire dans le cadre du plan d'urgence et du plan de relance notamment.
Une répartition des compétences de développement économique pas claire, ni aboutie, des aides aux entreprises peu contrôlées et évaluées… dans son rapport annuel publié ce 10 mars 2023, la Cour des comptes n'y va pas de main morte pour critiquer la gestion de la compétence du développement économique par les collectivités territoriales.
La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) et la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notr) devaient clarifier la répartition des compétences de développement économique entre les collectivités - régions, départements, EPCI, communes - et permettre de rationaliser les structures et leurs financements. Mais l'objectif n'est pas atteint. Car si les aides aux entreprises sont bien passées du côté des régions et le foncier du côté des EPCI, le tourisme et le commerce restent des domaines de compétences partagés entre les quatre échelons. Et la loi autorise aussi les départements à octroyer par délégation ou à cofinancer tout ou partie des aides. Résultat : l'ensemble des échelons continue à développer des actions relatives au développement économique. Même chose avec le transfert du financement des structures de développement économique des départements vers les régions et EPCI. "Si une cinquantaine d'agences départementales ont été supprimées, une vingtaine ont été maintenues en faisant évoluer leur domaine d'intervention vers l'attractivité ou le tourisme, qui constitue un domaine de compétence partagée entre les collectivités territoriales", signale ainsi le rapport, qui plaide pour élargir la clarification des compétences au secteur du tourisme pour rationaliser les structures et leurs financements.
Les dépenses des départements restent élevées
Au total, la Cour des comptes évalue à 8,5 milliards d'euros par an entre 2014 et 2020 le montant moyen des dépenses consacrées par les collectivités au financement d'actions de développement économique. Avec la nouvelle répartition des compétences, les régions et le bloc communal ont vu leurs dépenses progresser dans ce domaine (de 66% à 80% du total), mais le mouvement ne s'est pas accompagné d'une baisse des dépenses des communes et des départements, qui restent élevées.
Au total, les dépenses annuelles des régions sont en hausse, après un repli lié en 2016 au cycle électoral et à l'impact administratif des fusions prévues par la loi Notr. Les régions ont consacré en moyenne 2,5 milliards d'euros par an entre 2017 et 2019 à l'action économique, contre 2,1 milliards entre 2013 et 2015. Des dépenses qui ont augmenté en 2020 (+1,2 milliard d'euros) pour accompagner les entreprises durant la crise et qui se sont maintenues en 2021 à un niveau supérieur de 18,6% à celui de 2019. Même chose pour les dépenses des EPCI qui ont augmenté sur cette période. Elles s'établissent à 2,5 milliards en 2021, contre 1,7 milliard en 2013. En parallèle, les dépenses des départements ont diminué de 30% entre 2013 (1,5 milliard) et 2021 (1,08 milliard) mais leur niveau reste supérieur à 1 milliard depuis 2019… Les communes continuent quant à elles de développer des actions de développement économique, puisqu'elles peuvent intervenir en faveur du commerce de proximité au nom de l'intérêt communautaire.
Un manque de pilotage et d'évaluation
Autre critique de la Cour des comptes : un manque de pilotage et de contrôle des aides aux entreprises. L'institution publique observe déjà que le montant des aides aux entreprises est minoritaire dans les dépenses de développement économique des collectivités : sur les 8,5 milliards dépensés par an entre 2014 et 2020 par les collectivités en matière de développement économique, seul 1,3 milliard d'euros est consacré aux aides aux entreprises, soit 15,4% des dépenses d'action économique. Une somme qui se concentre à l'échelon régional (4,1 milliards sur toute la période, soit 87% du montant total recensé). Et le pilotage de ces sommes tout comme l'évaluation de leur efficacité sont peu aboutis.
Côté coordination d'abord, les outils en place, les schémas régionaux de développement économique (SRDEII) et les conventions ou délégations de compétences pour les aides aux entreprises, n'ont pas permis de limiter la complexité de l'organisation des compétences. "Le SRDEII n'a pas de caractère prescriptif à l'égard des autres collectivités territoriales et décrit le plus souvent la stratégie de la région sans retracer celle des autres acteurs ni les modalités précises de coordination de leurs actions", détaille ainsi le rapport, qui explique aussi que les conventions s'en tiennent quant à elles à décliner les aides régionales par des conventions types avec leur financement.
Un contrôle des structures de développement souvent partiel ou superficiel
Le contrôle par les collectivités des structures de développement est jugé "souvent partiel ou superficiel", même si certaines ont engagé des démarches d'amélioration (des lettres de cadrage du budget, un comité de suivi opérationnel et un comité d'audit pour la métropole de Nantes, un contrôle sur l'agence régionale AD'OCC pour la région Occitanie). La Cour estime qu'il faut renforcer le contrôle du respect des critères d'éligibilité et d'attribution des aides pour éviter la fraude. Le suivi des aides aux entreprises est aussi limité. Au cœur des difficultés : l'impossibilité pour les collectivités d'isoler les montants versés aux entreprises parmi leurs dépenses aux personnes privées, un recensement limité des aides aux entreprises fournies par les collectivités (il n'est pas contraignant) et un recensement national des aides qui a cessé depuis 2016 au niveau national…
Le nombre de dispositifs de soutien aux entreprises mis en place par l'État et les collectivités, qui a diminué au fil des années, reste énorme : 2.100 en 2022, dont 1.640 émanent d'acteurs locaux, contre 2.550 en 2007. Une diversité à double tranchant : d'un côté, elle permet de disposer d'une offre aux entreprises variée, de l'autre, elle est source de complexité pour les porteurs de projets et peut freiner la diffusion des aides et nuire à leur efficacité économique. "Aucune région n'a, à ce jour, mis en place un 'parcours usager' fluide, regroupant les dispositifs de la région, des autres collectivités, de l'État, des réseaux consulaires, avec par exemple un référent unique sur la durée du parcours, ou encore un système d'information partagé", insiste la Cour des comptes.
"Seules quatre régions ont été en mesure de fournir un bilan des indicateurs des SRDEII"
Enfin, les évaluations des aides mises en place sont peu fréquentes. "Seules quatre régions ont été en mesure de fournir un bilan des indicateurs des SRDEII : Île-de-France, Occitanie, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte d'Azur, indique l'institution publique, des contrôles récents attestent de ce déficit d'objectifs et d'indicateurs pour suivre l'efficience des stratégies de développement". Seules aides qui sortent un peu du lot : celles octroyées dans le cadre du fonds européen de développement régional (Feder). Représentant 23,7% des aides versées aux entreprises par les régions, elles font l'objet d'un suivi et d'évaluations régulières. La Cour souligne d'ailleurs la bonne gouvernance structurée mise en place dans le cadre de la programmation et de la gestion du Feder, "qui influence en retour le cadre stratégique des régions". Elle propose de s'inspirer de ces bonnes pratiques pour piloter le développement économique, mais aussi des pratiques les plus efficaces de gouvernance développées par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et Régions de France pendant la crise, lors de la mise en œuvre du programme d'investissements d'avenir (PIA), du plan d'urgence et du plan de relance.