Agriculture : les doléances des syndicats face à une crise multifactorielle

Les syndicats agricoles mettent la pression sur le gouvernement qui s'apprête à dévoiler des mesures d'urgence pour juguler la fronde. Thierry Pouch, économiste pour les Chambres d'agriculture, estime que les mesures d'urgence ne régleront pas tout car les grands enjeux se posent à Bruxelles.

 

Après avoir reçu les syndicats en début de semaine, le Premier ministre Gabriel Attal doit annoncer des mesures d'urgence pour répondre à la colère des agriculteurs, ce vendredi. Après avoir commencé la semaine dernière en Occitanie, la fronde s'est rapidement étendue à tout le territoire, traduisant un mouvement d'exaspération sur lequel Chambres d'agriculture France tirait déjà le signal d'alarme fin août (voir notre article). Cette crise repose sur une série de causes, analyse Thierry Pouch, économiste, chef du service études et prospectives à Chambres agriculture France. "Après deux années fastes, le revenu agricole a baissé de 11% en 2023 par rapport à 2022, et la valeur ajoutée, c'est-à-dire la création de richesses, a baissé de 9%, ce sont des signes préoccupants", explique-t-il à Localtis. A cela s'ajoute le contexte européen où des signes annonciateurs s'étaient déjà fait sentir en Pologne, en Hongrie ou en Roumanie, du fait des importations de céréales ukrainiennes. Et plus récemment en Allemagne où un mouvement d'ampleur a pris corps après la remise en cause des avantages fiscaux sur le gazole non routier (GNR). Même chose en France avec la décision d'augmenter progressivement la taxation sur ce carburant utilisé pour les tracteurs... Les agriculteurs se plaignent aussi des retards dans le paiement des aides de la Politique agricole commune (PAC), de normes envahissantes et contradictoires avec la multiplication des accords de libre-échange…

"La question de la concurrence revient souvent, détaille l'économiste, et notamment de la concurrence intra-européenne. Le principal fournisseur de la France en volailles, c'est la Pologne, qui est parmi les grandes puissances agricoles européennes." Selon Thierry Pouch, si on remet souvent en question les accords de libre-échange au niveau international, l'urgence est de traiter cette concurrence au sein même de l'Europe.

Autre point de crispation : le "Green Deal" porté par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en 2019. Sauf que le contexte a radicalement changé depuis, avec la guerre en Ukraine. Et il mériterait à tout le moins un toilettage. Ce qui pourrait être le cas avec le "dialogue stratégique" lancé ce 25 janvier (voir notre article).

"Tous les indicateurs de souveraineté alimentaire montrent que nous décrochons"

"En France, tous les indicateurs de souveraineté alimentaire montrent que nous décrochons, des décisions de relance de la production sont impératives ! En Europe, la philosophie même du Green deal qui assume la décroissance est à revoir pour redonner de la visibilité aux agriculteurs", soulignent la FNSEA et Jeunes agriculteurs dans leur cahier de doléances remis au Premier ministre. Un paquet de 140 demandes "sur lequel nous ne transigerons pas", a asséné le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, jeudi, cité par l'AFP. Ce cahier porte sur trois axes prioritaires : "la dignité des agriculteurs dans l'exercice", "la juste rémunération de leur travail", "la nécessité de rétablir des conditions d'exercice du métier acceptables". Les deux syndicats demandent des "mesures d'urgence" comme le respect absolu des lois Egalim", "la compensation intégrale pour tous sur le GNR", le paiement immédiat de toutes les aides de la PAC, le paiement "dans les plus brefs délais" de l’ensemble des indemnisations sanitaires et climatiques (MHE, Tuberculose, grippe aviaire, inondations, etc.). Ils exhortent le gouvernement à faire de l'élevage "une grande cause nationale", de refuser les accords de libre-échange… Alors que le ministre de l'Agriculture a déjà annoncé le report de la présentation de son projet de loi (prévue initialement pour le 24 janvier) pour y adjoindre un volet "simplification", les deux organisations réclament une "pause normative" avec la sécurisation de tous les projets et de "désarmer" les agents de l’OFB (Office français de la biodiversité)…

"Un plan de licenciement massif"

Pour la Confédération paysanne, troisième syndicat agricole (après la FNSEA et la Coordination rurale), "l'agriculture française tourne en rond depuis des décennies derrière la sacro-sainte 'compétitivité' chère à l'agrobusiness et aux marchés mondialisés". "Résultat : un plan de licenciement massif dramatique qui tue nos campagnes", a-t-elle fustigé, dans un communiqué, mercredi, après avoir rejoint le mouvement, mettant dos-à-dos les "gouvernements successifs et la FNSEA qui "ont mené conjointement l'agriculture dans l'impasse actuelle". Elle demande "d'urgence" une loi "interdisant tout prix agricole en-dessous de nos prix de revient" et "la fin immédiate des négociations d'accord de libre-échange".

Les annonces de vendredi risquent d'être "des réponses de court terme", estime Thierry Pouch. "Je ne suis pas sûr que cela règle tous les problèmes. Et même la pause environnementale réclamée n'est pas simple à mettre en œuvre car nous sommes dans le cadre du pacte vert européen, il faut donc négocier au niveau européen, et a priori rien ne se fera avant les élections européennes du 9 juin."

Du côté des collectivités, les trois grandes associations d'élus ont apporté leur soutien au mouvement cette semaine (voir notre article). Chez les maires ruraux, il n'y a pas eu de prise de position nationale. C'est par le biais de sa section ariégeoise que l'Association des maires ruraux de France s'est exprimée, mardi, après le drame survenu à Pamiers. "Nous appelons l’Etat à écouter leurs revendications et répondre aux attentes de l’ensemble des agriculteurs : petits et grands, bios et conventionnels, éleveurs ou céréaliers, maraîchers ou semenciers, en fait, tout ce que l’agriculture peut comprendre de diversité", souligne Marie-Cécile Rivière, présidente de l’AMR09.

Thierry Pouch rappelle que "la loi Egalim impose une proportion de 20% de produits locaux et bio dans les cantines scolaires" et qu'"on en est qu'à 7%". "Si chaque collectivité s'engageait à réaliser les objectifs, ce serait déjà un débouché des productions intéressant".