Agence nationale de la cohésion des territoires : les élus expriment toujours de fortes interrogations
Bénéficier d'une ingénierie de qualité, disposer d'un interlocuteur unique et pouvoir contractualiser avec l'Etat. D'après les représentants des associations d'élus (AMF, ADF et AdCF), réunis le 19 décembre 2018 lors d'une table ronde de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, l'Agence nationale de la cohésion des territoires répondrait aux besoins des territoires mais encore faut-il qu'elle dispose d'un budget et que son organisation sur le terrain permette une proximité des services de l'Etat avec les collectivités territoriales.
Créer une Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est une bonne idée, mais "le compte n'y est pas". L'expression employée par Pierre Jarlier, vice-président de l'Association des maires de France (AMF), lors d'une table ronde sur la création de l'ANCT organisée le 19 décembre 2018 par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale résume bien les critiques des représentants des collectivités territoriales face à ce projet. Annoncée par le chef de l'Etat en juillet 2017, la création de l'agence fait l'objet d'une proposition de loi déjà adoptée par le Sénat le 8 novembre 2018. L'ANCT doit permettre à l'Etat d'agir en partenariat avec les territoires afin de les aider à développer leurs projets en tenant compte de leurs spécificités et de leurs atouts. Elle doit coordonner et mobiliser les opérateurs de l'Etat intervenant dans le domaine de l'aménagement et de la cohésion des territoires. Elle doit ainsi intégrer l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca), l'Agence du numérique et une large partie du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), et passera des conventions avec les autres opérateurs de l'Etat œuvrant dans ces domaines.
Tous les territoires ne sont pas prêts face aux nouveaux enjeux
"Les élus locaux ont besoin d'un outil au service des territoires pour les aider à porter des projets", a affirmé Pierre Jarlier. Les territoires ont ainsi face à eux des enjeux importants de développement durable, de mobilité, d'urbanisme, de changement climatique et de transition énergétique, mais "tous ne sont pas prêts à répondre à ces grandes préoccupations, a-t-il insisté, on voit bien qu'on a là un vrai risque de fracture territoriale, avec d'un côté des métropoles qui sont mieux organisées pour répondre à tout cela et de l'autre côté, des territoires, notamment des territoires ruraux, de montagne, ou isolés, qui ne sont pas en mesure de relever ces défis, donc il y a un besoin d'ingénierie très important". Même son de cloche du côté de l'Assemblée des communautés de France, dont 80% des adhérents estiment que l'ANCT serait positive, même s'ils attendent de connaître les principes qui seront mis en œuvre. "Aujourd'hui, sur les territoires, la représentation de l'Etat est en miettes, on a un éclatement avec un certain nombre d'agences qui fait qu'on a énormément de mal à avoir une logique dans le développement de projet, a expliqué Alain Berthéas, président de la communauté de la communauté Loire Forez de l'AdCF, le besoin existe, mais l'agence ne doit pas être une espèce d'Epic mais plutôt une certaine forme d'administration interministérielle". "Est-ce que c'est un réseau d'acteurs hors les murs ou est-ce que c'est une structure unique et comment le décliner au niveau régional et départemental ?", a-t-il questionné. Attention aussi à une éventuelle tentation de recentralisation, à ne pas faire un doublonnage des guichets déjà existants, comme l'a souligné Philippe Herscu, directeur délégué de l'Assemblée des départements de France (ADF), ni à faire seulement "un habillage ou une réunion de quelques agences d'Etat pour les rendre un peu plus opérationnelles".
Avoir un interlocuteur unique de l'Etat
Autre demande forte des collectivités : avoir un interlocuteur unique de l'Etat lorsqu'elles sont en présence d'un projet territorial, pour pouvoir contractualiser et bénéficier des financements. "On rentre aujourd'hui dans une logique totalement surréaliste, avec, face à nous, un ministère qui s'occupe du Fisac (Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce), un autre du FNADT (Fonds national d'aménagement et de développement du territoire), et à chaque fois on va monter des dossiers multiples et variés pour bénéficier de ces financements, a détaillé le responsable de l'AMF, cette agence peut être de nature à répondre à ces deux sujets : bénéficier d'une ingénierie de qualité et d'un interlocuteur unique en matière de contractualisation". AMF comme AdCF sont pour cette contractualisation : "Aujourd'hui c'est : un territoire, un projet, un contrat. Et cela marche car les élus s'organisent, ils ont un projet et ensuite ils contractualisent avec l'Etat", a souligné Pierre Jarlier, tandis qu'Alain Berthéas a insisté sur l'importance pour l'agence d'être un ensemblier des programmes nationaux afin de "réduire cette pratique d'appels à projets qui est extrêmement néfaste pour la réalité de nos territoires", et de "revenir à une contractualisation refondée, qui permette de définir les objectifs et les moyens, de donner un cadre précis".
Des questions sur le budget, la gouvernance et l'organisation sur le terrain
D'autres interrogations persistent concernant le budget de l'ANCT et sa gouvernance. Il faut que cette agence soit dotée d'un budget, sans quoi "ce sera extrêmement difficile", a assuré Pierre Jarlier. D'après la proposition de loi, le budget de l'ANCT serait constitué des fonds issus de l'Etat et des différentes agences qu'elle coordonnerait. "Il y a besoin d'un budget qui soit précis, construit et lisible", a affirmé Alain Berthéas. Côté gouvernance, les associations ont demandé à ce que les élus y soient étroitement associés, en faisant partie du conseil d'administration, avec une parité entre représentant de l'Etat et des collectivités, et une représentation de tous les types de collectivités. "On doit essayer de mettre en place une gouvernance simple, avec un conseil d'administration comprenant un représentant de l'ensemble des parties prenantes", a assuré Alain Berthéas.
Pour l'organisation sur le terrain de l'agence, "pour que cela puisse marcher, il ne faut pas qu'on soit sur une agence uniquement nationale, a affirmé Pierre Jarlier, il faut évidemment qu'il y ait une proximité des services de l'Etat, qui doit être à minima à l'échelle départementale, avec le soutien des préfets et des sous-préfets, qui pourraient être de vrais interlocuteurs des collectivités et veiller à ne pas rester à l'échelle de la région".
Lors de son audition devant la même commission, fin novembre, le commissaire général à l'égalité des territoires, Serge Morvan, auteur du rapport de préfiguration de l'agence, avait indiqué qu'il souhaitait que les élus aient une "place majeure" mais "pas majoritaire" dans son fonctionnement. Il avait aussi déclaré vouloir un président choisi parmi les élus. Devant les maires réunis à l'Elysée à l'occasion du congrès des maires, Emmanuel Macron s'était montré favorable à une implantation du siège en région.