Activité des autorités environnementales : faiblesses persistantes sur l’eau, l’artificialisation et la transition énergétique

L'absence d'artificialisation nette et les premiers grands projets de la transition énergétique s'invitent à la table des autorités environnementales, qui présentaient ce 28 juin, le bilan de l’année écoulée. Dans un contexte de crises profondes (bouleversements énergétiques, incendies de forêt, sécheresse, etc.), deux écueils sont à éviter : l’absence de décisions, ou, à l'inverse, les décisions précipitées. Loin d’être un luxe de procédure réservé au temps calme, l’évaluation environnementale doit donc permettre de hiérarchiser les enjeux et de favoriser l’émergence de choix éclairés.

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, l’adage pourrait résumer à lui seul le dernier rapport annuel de l’Autorité environnementale (Ae), présenté ce 28 juin, concomitamment à la synthèse de la Conférence des autorités environnementales, qui se veut avant tout une piqûre de rappel. Les constats des années précédentes sont, "pour une bonne part, encore et toujours d’actualité en 2022". L’évaluation environnementale est "encore trop perçue comme une contrainte réglementaire, sans valeur ajoutée, alors que c’est un outil indispensable pour éclairer les choix et définir un cadre vertueux pour les projets", martèle ce dernier bilan.

Durant l’année écoulée, l’Ae a rendu 120 avis, répartis entre 72 projets et 48 plans et programmes, et 121 décisions de cas par cas, dont 71 soumissions (59%). Une baisse marquée après l’année record de 2021. Avec 1.994 avis, dont 686 sur les documents d’urbanisme et les deux-tiers relatifs aux projets éoliens ou photovoltaïques, 2.044 décisions relatives aux plans et programmes et 143 avis conformes, les mission régionales d’autorité environnementale (MRAe), dont la production a continué d’augmenter, n’ont pas chômé non plus. 

Instabilité et complexification du cadre des évaluations environnementales

Plusieurs évolutions sont par ailleurs venues leur compliquer la tâche, à commencer par la réduction des délais de production des avis sur projet (2 mois au lieu de 3, suite au décret "Asap" n°2021-1000 du 30 juillet 2021). "Des délais à la fois très courts pour traiter des dossiers parfois complexes (nucléaire, parcs éoliens en mer, ports, nouvelles lignes à grande vitesse, canaux..), mais qui restent faibles au regard du calendrier des opérations, même réputées très urgentes (à l’exemple des investissements sur l'eau à Mayotte en pleine crise)", relève Alby Schmitt, président par intérim de l’Ae. Les positions se veulent aussi "de plus en plus différenciées" sur la qualité des projets et les conclusions à en tirer, et l’Ae contribue au besoin à la consultation du public pour l'alerter sur l'absence de réponse du maître d’ouvrage à ses questions. 

Cerise sur le gâteau, aux trois autorités environnementales existantes est venue s’ajouter la création d’une autorité spécifique chargée du "cas par cas" pour les projets. La mission en revient provisoirement aux préfets et devrait à terme basculer aux MRAe pour répondre aux exigences de Bruxelles. Apparition d'un droit de plus en plus dérogatoire pour certains types de projets, en particulier industriels, modification des plans programmes et des projets soumis à évaluation, création de l'avis conforme pris par les MRAe pour les évolutions mineures de documents d’urbanisme, ont également apporté leur lot d’incertitudes et de difficultés.

Des critiques récurrentes

Point positif : "de plus en plus de dossiers de projets encourageants aux méthodologies solides", se félicite Alby Schmitt, qui note dans le même temps "aucune réelle inflexion sur les planifications et les programmations". Les bilans des plans précédents ne sont pas toujours présentés, voire même réalisés (à cet égard le plan de protection de l’atmosphère-PPA de l'agglomération lyonnaise fait figure d’exception). Les plans sont en outre "peu prescriptifs" (cas des schémas régionaux de gestion sylvicole-SRGS, et plans climat-air-énergie territorial / PCAET), "se limitant à des recommandations ou des rappels réglementaires", là encore à de rares exceptions (SRGS Bretagne et Pays de la Loire, par exemple). Et bien souvent les plans et programmes renvoient aux études d'impact des projets qui en découleront, sans faire leur propre évaluation environnementale avec les moyens pour réduire les impacts qui sont recensés. 

Changement climatique : un décalage entre ambitions et actions déployées

L’Ae note des faiblesses persistantes sur les dossiers de projets qui sont encore "peu ambitieux sur le changement climatique". Les bilans carbone restent les "parents pauvres" des évaluations environnementales. La sobriété énergétique y est absente. Idem s’agissant des mesures de réduction de la vulnérabilité aux risques naturels. Par ailleurs, "trop de projets présupposent qu’une dérogation à la protection des espèces protégées et de leurs habitats leur sera accordée, moyennant des mesures de compensation", insiste Alby Schmitt. Des constats appuyés par la synthèse de la Conférence des autorités environnementales : la réflexion sur l'adaptation au changement climatique reste "embryonnaire" dans les PCAET et les documents d’urbanisme. "On voit des PCAET aux objectifs plutôt ambitieux mais peu crédibles en raison de programmes d'actions pas assez efficaces et peu opérationnels", souligne Philippe Viroulaud président de la MRAe de Bretagne.

Les documents d'urbanisme sont également "sans action concrète" pour développer les énergies renouvelables. Même absence de volonté du côté des porteurs de projets d'aménagement (zones d’aménagement concerté / ZAC par exemple), l’initiative étant laissée aux maîtres d'ouvrage ultérieurs successifs (particuliers ou autres). Un attentisme des plans et projets déjà épinglé dans le précédent rapport. Et le bilan n’est guère plus satisfaisant sur le traitement de la thématique "eau". La réflexion en termes d'économie de la ressource et d'équilibre des usages de l'eau y est "encore trop peu développée", y compris compte tenu des incidences du changement climatique. 

Artificialisation : de gros efforts à faire

"Les documents d’urbanisme ne se situent pas vraiment encore dans la trajectoire du ZAN [zéro artficialisation nette] et l’on peut se demander si le point de passage à dix ans, en 2031, où la consommation d’espace doit être divisée par deux par rapport à 2011-2021, sera respecté", s’interroge Philippe Viroulaud. Globalement, il y a aussi un penchant à "surestimer les besoins". Pour les projets d’aménagement, il pointe notamment "une recherche encore insuffisante de formes architecturales et urbaines permettant de réduire les surfaces artificialisées". S’agissant des ZAC, le mot d’ordre est de "reconstruire la ville sur la ville". "Le défaut de cette qualité, c’est qu’il y a dès lors le risque d’aggraver l’exposition de la population aux pollutions, nuisances ou risques", alerte Alby Schmitt. Or, la tendance est de "préaffecter des usages avant d’avoir déterminé les risques qui sont associés au secteur concerné". D’autres projets sont implantés dans des zones agricoles ou naturelles, soulevant cette fois la question de l’artificialisation des sols, des atteintes à la biodiversité et des effets du changement climatique.

Les projets routiers, objet d’un zoom du rapport, sont loin d’être des élèves modèles. L’Ae soulève un sujet moins pris en compte, celui de "l’urbanisation diffuse" du fait de déplacements facilités vers les métropoles. La liaison autoroutière Castres-Toulouse (LACT) est "malheureusement exemplaire à ce titre", note Alby Schmitt. "Sa réalisation entraînera à elle seule une importante artificialisation, de l’ordre de 600 hectares, et devrait renforcer l’évolution tendancielle de l’urbanisation déjà constatée dans ces territoires", souligne-t-il. Quelques lueurs d’espoir émaillent toutefois le rapport, qui porte un message plus optimiste : "l’artificialisation sans limites n’est pas une fatalité". De nombreux exemples d’aménagements routiers montrent ainsi "qu’il est possible de la contenir par la réutilisation d’anciennes infrastructures, une meilleure maîtrise de l’urbanisation dans ces secteurs, la réduction du nombre d’échangeurs sur les autoroutes". "On trouve aujourd’hui des projets avec une désartificialisation nette positive grâce à la déconstruction d’ouvrages et de routes", relève Alby Schmitt. 

Sous le vernis de la transition énergétique

Dans un dernier focus, l’Ae s’attarde sur les premiers grands projets de la transition énergétique : agrivoltaïsme, Gigafactory Renault à Douai, développement du fret fluvial au port du Havre, canal Seine-Nord Europe. Quel coût environnemental pour quel bénéfice?, s’interroge le rapport, qui questionne entre autres la compatibilité entre la mobilisation de surfaces importantes par l’agrivoltaïsme, les usages agricoles et la protection de la biodiversité, le bilan environnemental du véhicule électrique en analyse du cycle de vie ou la capacité des projets fluviaux à générer des transferts massifs entre route et fluvial. "On ne peut pas considérer tous ces projets comme positifs simplement parce qu’ils sont estampillés ‘projets de la transition énergétique’", estime Alby Schmitt, car "comme pour les autres projets leurs impacts doivent être étudiés en profondeur pour les éviter, les réduire ou les compenser tout en recherchant à maximiser leur externalités positives".

 

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