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Accord de Paris sur le climat : le gouvernement pressé par le Conseil d'Etat de justifier le respect des engagements

Saisi par le maire de Grande-Synthe, une commune littorale du Nord qui s'estimait menacée de submersion par "l'inaction climatique" du gouvernement, le Conseil d'Etat a jugé recevable ce 19 novembre la requête de la collectivité. Sur le fond, la haute juridiction administrative relève que si la France s'est engagée à réduire ses émissions de 40% d'ici à 2030, elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d'émissions qu'elle s'était fixés et qu'un décret du 21 avril dernier a reporté l'essentiel des efforts après 2020. Avant de statuer définitivement sur la requête, le Conseil d'Etat demande donc au gouvernement de justifier, dans un délai de trois mois, que son refus de prendre des mesures complémentaires est compatible avec le respect de la trajectoire de réduction choisie pour atteindre les objectifs fixés pour 2030.

Dans une décision rendue ce 19 novembre, suite à une requête de la commune de Grande-Synthe (Nord), le Conseil d'Etat a été amené pour la première fois à se prononcer sur une affaire portant sur le respect des engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour rappel, lors de la signature de l'accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015, conclu dans le cadre de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du 9 mai 1992, l'Union européenne et la France se sont engagées à lutter contre les effets du changement climatique induit notamment par l'augmentation des émissions de GES. Pour mettre en œuvre cet engagement, l'UE et ses Etats membres ont décidé de réduire leurs émissions de 30% par rapport à 2005 d'ici à 2030, un objectif de 37% étant assigné à la France. Cette dernière s'est fixé à elle-même, par la loi, un objectif encore un peu plus ambitieux de réduction de 40% de ses émissions en 2030 par rapport à 1990.

Plusieurs intervenants aux côtés de Grande-Synthe

Fin 2018, la commune de Grande-Synthe (Nord) et son maire de l'époque, Damen Carême (élu depuis député européen) ont demandé au président de la République et au gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour infléchir la courbe des émissions produites et respecter, au minimum, les engagements pris par la France. Un refus leur ayant été opposé, ils ont saisi le Conseil d'État, soutenus par les villes de Paris et Grenoble ainsi que par plusieurs organisations de défense de l'environnement dont Oxfam France, Greenpeace France et Notre affaire à tous. 
Dans sa décision, le Conseil d'Etat juge d'abord que la requête de la commune de Grande-Synthe est recevable, cette commune littorale de la mer du Nord étant particulièrement exposée aux effets du changement climatique. 
La haute juridiction administrative relève que la France s'est engagée, pour mettre en œuvre l'accord de Paris, à adopter une trajectoire de réduction des émissions permettant de parvenir, en 2030, à une baisse de 40% par rapport à leur niveau de 1990. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement a adopté par décret une trajectoire de réduction s'étendant sur quatre périodes (2015-2018, 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033), chacune comportant un plafond d'émissions (appelé "budget carbone"), progressivement dégressif.

Décalage de la trajectoire de baisse des émissions de GES

Le Conseil d'État constate d'abord que, pour la période 2015-2018, le plafond d'émissions prévu a sensiblement été dépassé. La France a seulement réalisé une baisse moyenne de ses émissions de 1% par an alors que le plafond fixé imposait une réduction de l'ordre de 2,2% par an. Par un décret du 21 avril 2020, le gouvernement a modifié les 2e, 3e et 4e plafonds d'émissions. Il revoit à la baisse l'objectif de réduction des émissions pour la période 2019-2023 et prévoit donc un décalage de la trajectoire de baisse pour atteindre l'objectif prévu pour 2030. "Une partie des efforts initialement prévus est ainsi reportée après 2023, ce qui imposera alors de réaliser une réduction des émissions en suivant un rythme qui n'a jamais été atteint jusqu'ici", relève le Conseil d'Etat.

Un nouveau délai de trois mois pour statuer définitivement

Face à ces nouvelles données, celui-ci estime donc ne pas disposer des éléments nécessaires pour juger si le refus de prendre des mesures supplémentaires est compatible avec le respect de la nouvelle trajectoire résultant du décret d'avril dernier pour parvenir à l'objectif de 2030. Il demande par conséquent au gouvernement, de lui fournir, dans un délai de trois mois, les justifications appropriées, et à la commune requérante ainsi qu'aux autres intervenants tous les éléments complémentaires.
Si les justifications apportées par le gouvernement ne sont pas suffisantes, la haute juridiction estime qu'elle pourra alors faire droit à la requête de la commune et annuler le refus de prendre des mesures supplémentaires permettant de respecter la trajectoire prévue pour atteindre l'objectif de –40% à horizon 2030.
Le gouvernement "prend acte", a réagi le ministère de la Transition écologique, "qui répondra évidemment à cette demande, qui n'est pas un jugement sur le fond mais une demande de preuves d'action". Et de défendre sa "politique offensive" contre le réchauffement, citant notamment les "30 milliards" du plan de relance affectés à la "relance verte", ou la future loi traduisant la Convention citoyenne pour le climat, qui "doivent permettre à la France d'atteindre les objectifs climatiques fixés".