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Accord de Paris sur le climat : le Conseil d’État tape du poing sur la table

En faisant droit à la demande de la commune de Grande-Synthe, le Conseil d’État met l’État au pied du mur concernant la trajectoire qu’il s’est lui-même fixé pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2030. Le gouvernement a neuf mois, d'ici au 31 mars 2022, pour prendre des mesures supplémentaires et réduire l’écart. 

Au lendemain de la publication du rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat (HCC) pointant l’insuffisance des efforts actuels de la France pour respecter ses objectifs climatiques en 2030, c’est un nouveau coup de semonce au gouvernement venu cette fois du Conseil d’État. La plus haute juridiction administrative vient d’enjoindre au Premier ministre de prendre, d’ici neuf mois (soit avant le 31 mars 2022), "toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national" pour atteindre l’objectif issu de l’Accord de Paris de -40% (par rapport à 1990) d’ici à 2030. Une décision sans précédent rendue ce 1er juillet dans le cadre du recours de la ville de Grande-Synthe, commune littorale du Nord particulièrement exposée aux effets du changement climatique, et de son maire de l'époque Damien Carême (élu depuis député européen), soutenus par les villes de Paris et Grenoble ainsi que par plusieurs organisations de défense de l'environnement, dont Oxfam France, Greenpeace France, fondation Nicolas-Hulot et Notre affaire à tous à l’origine de "l’Affaire du siècle" qui s’inscrit dans la même dynamique de contentieux sur l’inaction climatique dans une autre procédure.
La première manche s’était jouée le 19 novembre dernier. Avant de statuer définitivement sur la requête, le Conseil d’État avait alors donné trois mois au gouvernement pour justifier que la trajectoire de réduction des gaz à effets de serre pour 2030 pourrait être respectée sans mesures supplémentaires. Dans l’intervalle, courant février, le gouvernement, qui admet lui-même que les mesures actuellement en vigueur ne permettront pas d’atteindre l’objectif de 2030, a transmis au Conseil d'État de nouveaux éléments fondés principalement sur les mesures attendues du projet de loi Climat et Résilience en cours d’examen au Parlement. Suite à ce supplément d’instruction, une audience publique s’est tenue le 11 juin dernier au Conseil d’État, au cours de laquelle le rapporteur public Stéphane Hoynck a précisément demandé à la haute juridiction d’ordonner à l’État de prendre des actions supplémentaires pour le climat dans le délai de neuf mois. 

Baisse toute relative

Le Conseil d'État observe que la baisse des émissions en 2019 correspond au plafond indicatif annuel du deuxième budget carbone (2019-2023) tel qu’il résulte du décret n°2020-457 du 21 avril 2020. Cette diminution de l’ordre de 0,9% par rapport à 2018 apparaît toutefois "limitée" alors que le premier budget carbone (2015-2018) visait une diminution de l’ordre de 1,9% par an et que le troisième budget carbone (2024-2028) prévoit, selon la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) révisée par le décret, une réduction de 3% en moyenne par an, dès 2025. Quant à la baisse observée en 2020, elle est principalement attribuable aux mesures liées au Covid-19 et doit, ainsi que l’a notamment relevé le Haut Conseil pour le climat être regardée comme "transitoire" et "sujette à des rebonds" et ne permet pas, à elle seule, de garantir que la trajectoire fixée pour atteindre les objectifs de 2030 pourra être respectée. Des efforts supplémentaires sont donc nécessaires à court terme pour atteindre l’objectif de 12% de baisse des émissions fixé pour la période suivante (2024-2028), conclut le Conseil d’État, s’appuyant sur les avis publiés entre 2019 et 2021 par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), le Conseil économique, social et environnemental (Cese) et le HCC. Il met par ailleurs en perspective le rehaussement de l’ambition européenne de 40% à 55% en 2030, qui a fait l’objet d’un accord entre le Parlement européen et le Conseil en avril dernier et qui vient d’être formellement adopté par ces deux institutions. Une forme de péremption frappe la trajectoire nationale que les associations environnementales avaient déjà relevée lors de la parution du décret fixant notre feuille de route repoussant l’essentiel de l’effort de réduction à plus tard (lire notre article du 23 avril 2020). La légalité du décret n’est toutefois pas le sujet ici, souligne le Conseil d’État.  

Et maintenant ?

Matignon et le ministère de la Transition écologique ont indiqué en début de semaine en réaction à la publication du rapport du HCC que le gouvernement travaillait "pour muscler les objectifs français", envisageant l'annonce après l'été d'éventuelles "mesures complémentaires de façon à tenir nos ambitions". "Ce que nous demande le Conseil d'État c'est d'aller au bout de ce qui a été mis en oeuvre, notamment la loi Climat mais aussi les lois précédentes", a réagi la ministre Barbara Pompili, assurant qu’elle "veillerait personnellement à ce que tout ce qu'on doit mettre en oeuvre soit mis en oeuvre", tandis que l'avocate de Grande-Synthe, l’ancienne ministre de l'Écologie Corinne Lepage, se félicitait d’une "journée historique".
Ce constat de la nécessité d’une accentuation des efforts et de l’impossibilité, en l’état des mesures adoptées d’y parvenir "n’est pas sérieusement contesté" par la ministre, souligne le Conseil d’État, sachant que même en rajoutant aux lois existantes les mesures du projet de loi Climat et Résilience ainsi que les décrets d’application qui seront pris le moment venu le gouvernement estime que la baisse des émissions n'atteindra que "38% en 2030".
"L'étau se resserre autour de l'État", a commenté de son côté Celia Gautier, porte-parole de la coalition d’ONG de l'Affaire du siècle. "Un an et demi après l’adoption de la première loi Énergie-climat du quinquennat, moins de la moitié des décrets et ordonnances ont été publiés", relève-t-elle regrettant également que la SNBC ne prenne en compte que les "émissions territoriales" de la France, c’est-à-dire uniquement les gaz à effet de serre émis sur le territoire français. Elle ne comptabilise donc pas les émissions liées au transport international et les "émissions importées", celles générées par la fabrication à l’étranger de produits consommés en France, lesquelles représentent pourtant 57% de notre empreinte carbone.
L’exercice de la justice s’inscrit dans un temps long pas forcément compatible avec l’urgence climatique… Un suivi de l’exécution de la décision sera réalisé par le Conseil d’État, avec une instruction et une procédure contradictoire débouchant sur une nouvelle audience et in fine la possibilité d’une astreinte si les mesures ordonnées n’ont pas été prises, suivant le même processus que dans une affaire connexe s'agissant de contraindre l’État à prendre les mesures nécessaires pour réduire la pollution de l’air.

 
Référence : CE, 427301, 1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe et autres.