Contrats de distribution d'eau - 300 clauses abusives recensées par la DGCCRF
L'objectif de l'enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) était de pister les clauses abusives présentes dans les contrats de distribution qu'affichent les régies ou délégataires du service d'eau. Mais par quel règlement et quelle collectivité commencer ? Dans chacun des 23 départements visés, les enquêteurs ont procédé par échantillonnage et sélectionné une poignée de collectivités représentatives du "tissu sectoriel local" : petites et grandes collectivités, gestion du service de l'eau en régie ou par délégation, prestations effectuées par un major du secteur ou par une entreprise indépendante… "Ils ont ensuite réclamé les règlements de service et factures type délivrées aux consommateurs qui, dans l'ensemble, ont été obtenus sans difficultés", confie-t-on à la DGCCRF.
L'examen de leur contenu puis l'analyse des clauses qui y figurent ont été effectués à la lumière de deux cadres de conformité. En premier lieu, il a fallu vérifier l'application des 29 recommandations émises en 1985 et 2001 par la Commission des clauses abusives (CCA). Mais aussi relever les clauses qui, "sans être classées formellement non-conformes à ces recommandations, sont néanmoins susceptibles d'être considérées comme abusives aux termes des dispositions de l'article L.132-1 du Code de la consommation, dans la mesure où elles ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif". Ont également été repérées des clauses contraires à la réglementation du Code de la consommation, du Code civil ou du Code général des collectivités territoriales (CGCT).
Au total, pas moins de 300 clauses abusives ou illégales ont été recensées. "Ce chiffre paraît élevé mais recouvre en fait des situations relativement différentes selon les régions", rassure la DGCCRF. Pour les factures d'eau, le bilan est plus favorable : les collectivités et prestataires honorent de mieux en mieux leurs obligations. "Les rares factures non-conformes sont généralement le fait de petites et moyennes communes qui assument la gestion en régie directe et ne disposent pas de moyens suffisants pour assurer une veille juridique individuelle", indique-t-on. Les principaux défauts observés sur les factures concernent le manque d'informations pratiques et le manque de précision de leurs rubriques : distribution d'eau et collecte-traitement des eaux usées publics n'y sont ainsi pas toujours distincts, ce qui peut induire en erreur l'usager.
Des clauses non-conformes au profil varié
La DGCCRF classe les cas de non-conformité en deux groupes : ceux relatifs à l'abonnement au service et aux tarifs pratiqués et ceux relatifs aux obligations contractuelles et à la résolution des litiges. Dans le premier cas de figure, 29 collectivités ont omis de remettre le règlement de service à l'usager ou l'ont modifié sans lui notifier. Cette dernière clause est bien connue des associations de consommateurs : présumée abusive par le Code de la consommation, elle consiste à inciter l'abonné à accepter par avance des modifications au règlement unilatéralement décidées par le prestataire. Lorsqu'il souscrit à l'abonnement, l'usager peut aussi être contraint de régulariser les factures dues par le précédent abonné. Autre clause abusive repérée : celle visant à limiter l'accès à l'abonnement aux propriétaires en excluant de fait les locataires. Par ailleurs, l'enquête a révélé qu'une petite vingtaine de communes s'autorisaient à fermer le robinet de l'abonné sans mise en demeure ni explication préalable. Et qu'en cas de résiliation de sa part, on pouvait lui imposer abusivement des frais à payer.
Dix-neuf collectivités exigent aussi des cautions et dépôts de garantie formellement proscrits par la loi sur l'eau de 2006. Un constat que la DGCCRF tempère en précisant que "ces clauses ne sont toutefois plus appliquées et que les remboursements aux usagers ont été effectués ou sont en cours". Autres types de manquements relevés dans une vingtaine de communes : l'obligation d'information sur les prix du mètre cube d'eau, la possibilité pour l'abonné d'apporter la preuve, en cas d'arrêt du compteur, d'une variation de sa consommation par rapport à la période de référence prévue dans le règlement et le droit qu'il a de ne pas payer l'abonnement pendant une période d'interruption.
Autre grief : les collectivités cherchent souvent à imputer la charge des dommages de toute nature (gel du compteur, incidents en aval du branchement, incidents de vérification technique) à l'abonné, et ce même en dehors des cas de force majeure. Or des recommandations de la CCA visent justement à éviter ces cas de figure qui restent fréquents et ont été recensés dans une cinquantaine de collectivités sondées. "Ces non-conformités ont donné lieu à trente-huit notifications d'information réglementaires et à six rappels de réglementation. D'autres suites seront données prochainement", précise-t-on à la DGCCRF. Les clauses allant à l'encontre de recommandations formulées par la CCA sont aussi nombreuses lorsqu'il s'agit d'étendre de manière excessive les obligations et charges pesant sur l'abonné. Exemples : obliger l'abonné à signaler des fuites sur le réseau public, à prévenir le distributeur en cas de prévision de consommation élevée, imposer le remplacement des compteurs au bon vouloir de la collectivité, etc. Non moins variées et créatives, les clauses relatives aux litiges (délais de contestation de la facture, recours en justice) ont été jugées non-conformes dans vingt-deux communes, la plus farfelue d'entre elles allant jusqu'à exclure la possibilité pour l'abonné de formuler une réclamation sur sa propre consommation.
L'un des constats à tirer de cette enquête est que les petites collectivités opérant en régie ont nettement plus de mal à mettre en conformité leurs règlements. Leur besoin d'accompagnement est tel que la DGCCRF met en avant "l'effet pédagogique utile" qu'a eue son action de contrôle envers elles. Dans un premier temps, l'enquête a débouché sur une phase d'injonctions. Mais un nouveau contrôle sera effectué afin de voir disparaître ces pratiques illicites et clauses interdites.
Morgan Boëdec / Victoires-Editions