Yann Pesando (président du Syndicat national des patinoires) : "Si on continue comme ça, on va dans le mur"
Alors que les piscines publiques connaissent actuellement des turbulences en raison de la forte hausse des prix de l'énergie, en témoigne la fermeture d'une trentaine d'établissements gérés en délégation de service public par la société Vert Marine, qu'en est-il des patinoires ? Yann Pesando, directeur du parc olympique de Méribel et président du Syndicat national des patinoires, qui tenait son congrès annuel à Anglet du 12 au 14 septembre, fait le point pour Localtis.
Localtis - Quelle est la situation des patinoires au regard de la crise énergétique ?
Yann Pesando - Ce n'est pas un sujet uniquement aujourd'hui. Cela fait des années qu'on est dessus, que l'on suit nos consommations, que l'on optimise. Car, clairement, le plus gros poste budgétaire d'une patinoire après les ressources humaines, ce sont les énergies, même si cela est variable selon les patinoires, les contrats signés et les gestionnaires. En vérité, nous avons tous réussi à faire des économies en termes de consommation depuis des années, mais malheureusement, ces économies ne se voient pas sur la facture car nous subissons un marché de l'énergie qui n'est pas régulé. On va donc payer plus cher alors qu'on essaie de consommer moins en passant à des éclairages LED dans toutes les patinoires de France, en optimisant les plannings, en n'ouvrant pas quand il n'y a pas de créneau réservé, en essayant de contraindre clubs et usagers. Ce n'est donc pas nouveau, mais cela prend plus de place car le prix du kilowatt s'est envolé. Et si on continue comme ça, on va tous dans le mur. Des élus vont se demander s'il faut arrêter l'exploitation ou réduire l'offre.
Sur quoi repose aujourd'hui le modèle économique des 140 patinoires publiques françaises, dont 75% sont gérées par une régie municipale ou intercommunale ?
Nous n'avons pas de gros budgets. Nos revenus, ce sont les subventions publiques. Le grand public occupe un tiers des créneaux. Les deux autres tiers sont des activités subventionnées au profit des clubs et des scolaires. Nos recettes n'augmentent pas au regard de la hausse de la fréquentation, qui a été de 22% cette année. Nous avons du monde, les exploitations sont à saturation, mais en septembre 2022, on se demande comment on va pouvoir payer nos factures.
On imagine aussi que la réponse à cette question ne pourra pas être uniforme…
Il y a autant de solutions que de patinoires en France. On ne pourra pas comparer une solution prise dans une patinoire de montagne, où faire de la glace quand il fait froid ne coûte rien, à celle d'une patinoire à Paris ou encore à Anglet, où il existe la contrainte climatique de l'humidité et de l'air salin. Les décisions seront prises localement par les élus et les gestionnaires en fonction de chaque contrat. Grenoble aura la capacité de payer son énergie à l'échelle de la métropole, mais une petite ville aura plus de difficultés à assumer l'augmentation des charges. Et si la patinoire est gérée par un délégataire, comme c'est le cas de 15% d'entre elles, la question va également se poser.
Justement, quelles relations entretenez-vous avec les autres acteurs du secteur ?
Cela fait des années que je discute avec les présidents de fédérations [Fédération française de hockey sur glace et Fédération française des sports de glace, ndlr] et que je ne suis pas entendu. Ils sont dans leur bulle, avec une volonté de développer leurs activités sportives. Aujourd'hui, on est tous dans le même bateau et nous constituons un groupe de travail avec les fédérations, l'AMF et l'Andes pour trouver des solutions ensemble. A-t-on besoin d'ouvrir la patinoire avec tous les moyens quand on a trois gamines sur la glace ? A-t-on besoin d'ouvrir le dimanche soir pour un créneau loisir de hockey sur glace ? Ce sont de vrais choix stratégiques qui peuvent permettre de comprimer le planning et éviter d'allumer une patinoire alors que l'éclairage est, après les groupes frigorifiques, le second poste de consommation d'énergie. Nous étions à 150 euros HT l'heure d'exploitation, on va exploser pour arriver à 300 euros. Or aujourd'hui, nous n'avons pas 300 euros en face de chaque heure d'utilisation d'une patinoire.
Quelles pistes allez-vous mettre en avant dans ce groupe de travail ?
Sur la planification annuelle, je milite depuis des années pour arrêter d'ouvrir absolument en septembre. Actuellement, à Anglet, il fait 35 degrés. Ne peut-on pas se concentrer sur une saison, comme au ski, entre la Toussaint et Pâques ? On peut se dire que la glace est une activité nordique et qu'elle se pratique en hiver. Au niveau des patinoires, on sait faire ça. Beaucoup n'ouvrent pas l'été et déglacent. Des solutions, il y en a. Il faut qu'on se mette autour de la table avec les fédérations, les partenaires, les bureaux d'études. Pour optimiser l'isolation des bâtiments ou la production frigorifique, il y a encore des investissements à faire. Maintenant, il faut mettre la main au portefeuille, car rénover une patinoire cela coûte tout de suite plusieurs millions d'euros.
En attendant ces investissements, il faut passer l'hiver…
Les élus iront dans le sens de la raison. Ils se demanderont s'il vaut mieux chauffer une piscine, l'école communale ou la patinoire. La réponse, nous la connaissons tous, notamment avec les délestages et les pertes de charge en production énergétique qui sont annoncés. Nous avons déjà des scénarios dans nos équipements où l'on ne fait pas de production de froid à certaines heures. On sait aussi diminuer l'épaisseur de la glace pour diminuer la puissance nécessaire. On sait aussi moins chauffer une patinoire, car il faut avoir en tête qu'on chauffe une patinoire pour limiter la condensation et diminuer l'humidité résiduelle qui pourrait abîmer la structure du bâtiment. Ce sont des ajustements permanents.
Qu'avez-vous pensé du coup de force de Vert Marine, un délégataire de service public qui a brutalement et unilatéralement annoncé la fermeture d'une trentaine de piscines publiques le 5 septembre (lire notre article du 8 septembre) ?
Je le trouve courageux, mais j'espère pour eux qu'ils sont couverts juridiquement en ce qui concerne l'obligation de continuité de service public liée à leur DSP. Cela a le mérite de faire réagir. On le savait, cela fait six mois qu'on le sentait venir. J'avais alerté les fédérations, les pouvoirs publics. Ce n'est pas qu'on soit de mauvais gestionnaires, c'est une question de capacité à payer. On subit une situation qui n'est pas de notre fait.
Avez-vous des informations concernant de possibles fermetures de patinoires publiques gérées en DSP ?
Non, je n'ai aucune remontée sur des fermetures par Vert Marine, dont fait partie le vice-président de notre syndicat. Un délégataire a une obligation vis-à-vis de sa collectivité, mais il a aussi une contrainte forte, il n'achète pas l'énergie au même prix que la collectivité. Là encore, je vois que des solutions sont discutées entre les collectivités et Vert Marine, en rattachant la DSP au contrat d'achat d'électricité de la collectivité pour abaisser la charge [la piscine de Versailles a rouvert suite à des négociations prévoyant l'achat du gaz et l'électricité par la mairie, dont les contrats de fourniture d'énergie sont plus avantageux, et leur revente au même prix à Vert Marine, ndlr]. Pour les patinoires, les délégataires vont se poser les mêmes questions que pour les piscines. Que ce soit pour les DSP ou les régies, on est en train de réagir alors que la saison débute, mais les solutions seront différentes d'un territoire à l'autre. Chez moi, à Méribel, nous avons un groupement d'achat d'énergie à l'échelle de la Savoie. Notre contrat n'a pas bougé en 2022, il n'y a pas eu d'augmentation cet été malgré la chaleur. Au 1er janvier 2023, on va subir une hausse importante, mais moins que si nous négociions de gré à gré avec le fournisseur. Le groupement d'achat est une vraie bonne solution.
En termes économiques, une patinoire est-elle comparable à une piscine ?
Il y a quelques années, quelques patinoires étaient à l'équilibre. Une patinoire coûte en moyenne beaucoup moins cher qu'une piscine, et d'autant plus si elle fournit de l'énergie à la piscine, comme c'est le cas à Annecy, Megève, Méribel ou Courchevel. La patinoire peut donc avoir un système vertueux. En piscine, vous consommez de l'énergie pour chauffer un bassin. Nous, nous produisons de la chaleur avec de gros groupes frigorifiques et nous avons énormément de chaleur à récupérer, entre 45 et 50 degrés, qui permet de chauffer l'eau des bassins, les douches, la ventilation, les radiateurs. À Méribel, notre bâtiment est quasiment autonome en production de chaleur la moitié de l'année.
Moralité, si on veut des piscines, il faut des patinoires...
C'est d'une évidence totale. Ce modèle est reconnu, il fonctionne. Piscine et patinoire sont extrêmement complémentaires. Il y a eu de l'intelligence dans la construction des bâtiments quand on a réussi à mettre ensemble les deux. Là, il y a pertinence. Même au niveau des personnels, on est sur des saisonnalités différentes et on peut transférer les personnels d'un équipement à l'autre. J'ai par exemple un accueil commun pour la piscine et la patinoire.
La Commission d'examen des projets de règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (Cerfres) a approuvé le projet de modification du règlement fédéral des patinoires présenté par la Fédération française de hockey sur glace (FFHG) et la Fédération française des sports de glace (FFSG), nous apprend le Bulletin officiel de l'Education nationale, de la jeunesse et des sports du 8 septembre. On se souvient que l'élaboration du premier règlement des patinoires avait été très long à se mettre en place : pas moins de quatre ans (lire notre article du 16 novembre 2015). La nouvelle version – qui intervient après une première modification (lire notre article du 12 juin 2019) – porte plus sur la forme que sur le fond. Selon nos informations, des difficultés d'interprétation demeuraient. C'est pourquoi la FFHG et la FFSG ont souhaité apporter des éclaircissements, notamment à l'aide de nombreux schémas explicites. On notera toutefois une modification du tracé de la zone de restriction des gardiens de but à la suite d'une modification du règlement de la Fédération international e de hockey sur glace. La mise en conformité devait intervenir avant le 1er septembre 2022 pour les 56 patinoires classées A et B ainsi que celles accueillant des équipes en Magnus, D1, D2, moins de 17 ans élite et moins de 20 ans élite ; et devra intervenir avant le 1er septembre 2023 pour les 45 patinoires classées C, D et E ou non classées. |